Le concert musical du 21 mai 2021 du côté de l’Institut français du Tchad (Ift) restera un moment unique dans les annales de la musique tchadienne. Trois instruments (saxo, cithare et balafon) ont, pour la première fois, cohabité dans un voyage musical exploratoire.
Le saxophone, la cithare baguirmienne à cinq cordes et le balafon (xylophone) sarakaba avec ses 12 lames posées sur des gourdes de calebasse aux formes et courbures inégales, se sont croisés pour s’exprimer ensemble pendant une heure 20 minutes. La scène, modestement aménagée, a présenté une vision (sahélienne) d’un paysage fait d’herbes sèches. Trois citharistes sont assis en surélévation, les jambes croisées, avec leur instrument couché, et derrière eux est assis un quatrième joueur de shaker (calebasse). Ils sont encadrés par un balafoniste à leur gauche et un saxophoniste à droite. Tous les six sont habillés de la même façon, avec des motifs différents selon les instruments.
Un duo s’engage entre le saxo et le balafon. Il dure le temps que prennent les joueurs pour échanger, chacun en s’illustrant de sa plus belle manière, comme pour se jauger et jauger l’autre. La passe de trois intervient dès le second titre, lorsque les citharistes donnent le ton. A travers la juxtaposition des phrasées croisées, la passe à trois a permis d’obtenir une musique à la sonorité roots, proche du blues, aux airs jazzy. Le balafon, d’habitude vivace et bouillant, lorsqu’il est joué, s’est aligné sur la douceur musicale qui caractérise la musique baguirmienne, au cœur de l’expérience. Une musique de royauté avec ses codes, qui s’ouvre enfin aux rythmes voisins (balafon) et celui lointain (saxophone). Sur les sept autres titres qui suivront, ces virtuoses, chacun dans son domaine respectif, se sont complétées en toute complicité sur chaque titre. Le saxo s’est incrusté savamment et a proposé par moment, des échappées solitaires dans des va-et-vient, ensuite tantôt avec le balafon, tantôt avec les cithares, et quelques fois, s’est placé en arbitre entre les deux airs. Pour permettre à ces musiciens d’un certain âge d’avoir un moment de répit, le conteur Mahamat Chaïbo est intervenu pour un intermède de 5 minutes.
Un concert au cours duquel le terroir est allé à la rencontre de ses rythmes et sons transformés dans le temps, lors de ce voyage centenaire, dans le cadre du commerce triangulaire entre trois continents (Afrique-Europe-Amériques), où les Noirs ont été déportés et vendus comme esclaves dans les plantations aux Amériques. Leurs plaintes se sont muées en complaintes, et feront naître le négro spiritual, le blues, le jazz, le gospel avec leur série de dérivées qui suivront, donnant lieu à divers autres rythmes. Un concerto unique en son genre, titré “Baguirmian jazz”, dont le comportement du public, silencieux ponctué d’applaudissements, a laissé entrevoir une adhésion à la démarche.
Pour le jazzman tchadien Doro Dimanta, l’initiateur de la démarche qui a obtenu l’agrément de Pierre Muller, le directeur délégué de l’Ift, “la particularité de ce concert est celui d’avoir réussi à faire jouer des instruments (balafon et cithare) qui ne jouent jamais ensemble au Tchad. Pendant la résidence, nous avons enregistré ces titres au studio. Je compte repartir en France avec cela, pour produire l’album, mais aussi démarcher auprès des festivals et salles de spectacle, pour proposer ce concert”, a annoncé le jazzman.
Aller à la rencontre des rythmes et sons perdus pour les ramener à la source, afin de les revivifier est la démarche de Doro, le dernier des mohicans ventistes tchadiens, dont le souffle est une lueur d’espoir pour les musiciens baguirmiens Amine (shaker man), Abakar, Mahamat et Haroun le chef du groupe (citharistes), Guindja Mah le balafoniste et Ferdinand Nanga le régisseur son et lumière qui a assuré la direction artistique. Roy Moussa