Le ministre de l’Education nationale, Moussa Kadam, a annoncé, le 15 septembre dernier, des frais d’inscription pour les établissements publics d’enseignement public dans les villes et dans les campagnes pour l’année scolaire 2023-2024. Il a justifié cette mesure par la loi n°16 du 13 mars 2006 portant sur l’orientation du système éducatif qui, selon lui, «admet la contribution des bénéficiaires», «mais aussi et surtout dans le souci de redonner une nouvelle image à nos écoles qui se trouvent, pour la plupart des cas, dans un état de délabrement criant, et présentant une image crasseuse».
Kadam fait preuve de mauvaise foi. Si nos écoles vont mal et sont crasseuses, ce n’est pas la faute des parents d’élèves, mais des pouvoirs publics qui s’illustrent par une navigation à vue, par des investissements colossaux qui accouchent des éléphants blancs, des ouvrages mal faits et qui atterrissent dans des comptes des privés. L’on se souvient du scandale des 2 milliards FCFA détournés dans le marché d’acquisition de manuels scolaires, en 2010, dans lequel des personnalités comme Harou Kabadi et Limane Mahamat, alors secrétaire général de la présidence et secrétaire général du gouvernement, ont été impliqués.
Ces trois dernières années, le système éducatif tchadien n’a cessé de tomber de Charybde à Scylla, d’aller de mal à pis. En juin 2018, une enquête parlementaire révélait que le système éducatif tchadien était en pleine déliquescence et miné par de multiples problèmes: mauvaise gestion des ressources humaines et matérielles, manque criard et récurrent d’enseignants et de matériels didactiques, pilotage et navigation à vue, multiples interférences politiques, absence de données statistiques fiables, absence de carte scolaire, prolifération d’établissements privés ne respectant ni les programmes ni les instructions officielles, etc.
«Il est temps d’agir. Et le meilleur que puisse faire l’Assemblée nationale, c’est de clamer haut et fort que l’école tchadienne est en panne et abandonnée à son triste sort», martelait un certain… Moussa Kadam, premier vice-président de l’Assemblée nationale et président de la commission d’enquête parlementaire. Kadam et consorts avaient proposé un plan Marshall résumée en 22 résolutions et 28 recommandations, incluant notamment l’augmentation du budget allouée à l’éducation à 18% du budget de l’Etat (hors dette) à partir de 2019 et de la part des dépenses de fonctionnement non salariales d’au moins 20% par an.
Cinq ans après, rien n’a véritablement changé, à l’exception notamment de l’instauration de la carte scolaire et universitaire et de la mise en place des académies, aucune action forte n’a pas été posée. L’éducation n’a jamais été une priorité pour feu Déby père, ça ne l’est pas non plus pour son fils qui a été imposé à sa place. La part misérable allouée à l’éducation dans le budget général de l’Etat, tous les ans, le prouve à suffisance. Aussi ce n’est pas la contribution financière des parents qui améliorera la situation. Ce n’est pas aux parents, qui vivotent dans la paupérisation, de financer l’école publique, pendant que les investissements sont mal réalisés.
«La démission de l’Etat a offert une occasion en or à des gens véreux de s’engouffrer dans la brèche pour faire prospérer leurs affaires. Ils ont détourné l’école de sa mission régalienne et sans scrupule, l’ont transformée en officine à sous», déclarait Kadam le député. Le même homme qui avait dressé ce diagnostic de l’école tchadienne, ne peut aujourd’hui célébrer son requiem alors qu’il est devenu ministre de l’Education. Il doit revenir sur cette décision aussi impopulaire qu’irréfléchie qui exacerbera inexorablement la situation de nos enfants, particulièrement de nos filles. Seules 43% des filles en âge de scolarisation vont à l’école, contre 77% pour les garçons. L’écart est encore plus grand dans les zones rurales où certaines pesanteurs sociales bloquent l’épanouissement de la jeune fille, notamment la pauvreté. Quoique la gratuité de l’école décrétée n’a été qu’un vain slogan et que des parents ont toujours payé, il est inadmissible que cette mesure sociale soit formellement retirée. Kadam ne devrait pas permettre à des individus qui ont pris en otage les associations des parents d’élèves depuis des décennies et s’y agrippent, de transformer l’école publique tchadienne en «officine à sous».
La Rédaction.