Depuis début août, la majeure partie de la capitale tchadienne subit un envahissement d’eaux après trois grosses pluies, replongeant la ville dans les mauvais souvenirs des inondations.
A N’Djaména, après la pluie, ce n’est pas le beau temps. C’est plutôt le calvaire ! Des rues submergées d’eau, des voitures bloquées dans la boue, des maisons envahies, des routes bitumées difficilement repérables après la pluie, etc. Ce sont entre autres les ingrédients qui font le cocktail de calvaire des n’djaménois; conséquences des deux grosses pluies qui se sont abattues sur la ville en début d’août. Après quelques jours d’accalmie permettant de sécher les vêtements mouillés et aérer les chambres, une autre grosse et longue pluie vient enfoncer le clou dans la nuit du 19 au 20. Une importante quantité d’eau qui a débordé les quelques rares bassins de rétention. Une grande partie de la capitale tchadienne se trouve dans l’eau qui a causé d’énormes dégâts. La situation a fait des sans-abris qui, parfois, prennent refuge chez des voisins, dans des écoles et lieux de cultes. Beaucoup ne savent où mettre la tête. Les habitants des 7ème, 8ème et 9ème arrondissement sont les plus touchés par ces inondations. On dénombre déjà plus de 4 décès suite à l’inondation. Après le décès d’un enfant au quartier Boutalbagara en début du mois, 3 autres enfants d’une même mère dont l’âge varie entre 7 et 14 ans ont perdu la vie suite à l’écroulement d’une chambre, le 20 août au quartier Dembé, alors qu’ils étaient en plein sommeil.
Dans le quartier Dembé 2, la majorité des maisons construites en matériaux non durables se sont écroulées. D’après Abdel Aziz, victime de cette inondation, au moins 18 familles dans ce quartier ont vu leur maison s’écrouler. Aujourd’hui, il est relogé dans autre maison dans la promiscuité. “Nous sommes plusieurs familles à vivre ici. La maison appartient à un monsieur qui réside actuellement en France. Comme le gardien nous connaît très bien, il nous a laissés habiter ici en attendant de trouver une maison à louer”, explique-t-il. Trouver une maison à louer, un autre problème à gérer en cette période des pluies doublée d’un contexte de crise sanitaire qui a rendu des ménages fragiles pendant plus de cinq mois. Abdel Aziz ne sait où trouver de l’argent pour louer une chambre, puisqu’en cette période, son travail de mécanicien ne lui rapporte pas grand-chose. Dans ce quartier, beaucoup de victimes des inondations ont rejoint leurs proches à Bakara, village situé à la sortie Est de N’Djaména.
Des rues inaccessibles
Les rues du quartier sont inondées. Pour circuler, il faut se déchausser, retrousser le pantalon, soulever la jupe ou le pagne jusqu’aux cuisses puisque c’est à ce niveau que l’eau parvient. Et ce n’est pas tout. Il faut marcher dans cette eau colorée et mousseuse, au fond boueuse, dans laquelle on déverse tous les déchets ménagers des lieux et qui draine l’ensemble des excréments de la saison sèche. Quand on en sort, on ressent des démangeaisons sur toutes les parties du corps. Dans un quartier où les rues sont transformées en rivières, les motos et les voitures n’y ont plus accès. Les personnes nanties ont déménagé. Les digues faites en sacs remplis de terre n’empêchent pas l’eau d’envahir les cours. “A chaque fois qu’il pleut, toute la famille est mobilisée pour évacuer l’eau au risque de voir nos maisons s’écrouler. Nous n’avons pas les moyens d’aller ailleurs comme les autres”, relate une dame en ceinte. Dépourvues de moyens, ces personnes sont obligées de passer leur nuit dans un concert de coassement des crapauds.
Pour passer du quartier Dembé 2 au quartier Abena, il faut débourser 100 francs pour la pirogue, bien qu’une voie bitumée relie ces deux quartiers, mais engloutie par les eaux de pluies. Certains pêcheurs ont transposé leur pirogue du fleuve Chari pour faire ce travail. A Abena, la vie des riverains du bassin de rétention est semblable à la situation précédente. Le centre de santé du quartier n’échappe pas non plus. Non seulement sa cour est inondée mais la voie qui y mène n’est plus accessible. Conséquence, le taux de fréquentation des patients a baissé. Or, c’est en cette période de grosses pluies que les gens fréquentent plus les services de santé. “Dans ce centre, on ne reçoit plus comme avant les femmes enceintes qui viennent pour des consultations prénatales, à cause de son inaccessibilité. Cette situation est critique, et pour nous et, pour les femmes enceintes. Parmi nous, il y en a qui ont de bottes et d’autres qui en n’ont pas. Alors que c’est un danger que tout le monde court avec toutes les maladies hydriques”, se plaint le chef du centre, Maina Adoum. Son seul espoir réside dans le curage de caniveaux entrepris par des volontaires qui a le mérite de diminuer quelque peu la quantité des eaux. Peine perdue, la pluie du 19 août est venue rétablir la quantité des eaux.
Certaines activités économiques ne sont pas épargnées. “J’ai fermé mon bar il y a déjà deux semaines pour l’abandonner dans l’eau. A peine on reprend avec les activités, cette grosse pluie vient gâter tout”, déplore Mbairamadji, tenancier de bar.
Des prévisions inquiétantes
“Il faut s’attendre à des grosses pluies dans les jours à venir. Parce que le Front intertropical (Fit) qui est un indicateur au Tchad a connu une très forte remontée au nord du pays. Ce front oscille actuellement entre le 21ème et 22èmedegré de latitude nord. C’est vraiment très élevé. Et les zones qui sont situées au sud du Fit vont continuer à être arrosées”, prévient Djergo Gaya, ingénieur de conception en agro-météorologie, par ailleurs chef de division de l’agro-météorologie à l’Agence nationale de la météorologie (Anam). En plus, la saison pluvieuse de cette année va être plus longue que d’ordinaire. Surtout, la zone soudanienne doit s’attendre à recevoir des pluies jusqu’en octobre, souligne le météorologue. Un bourbier comme la ville de N’Djaména n’est pas exempt. “N’Djaména se trouve à 12 degré de latitude nord. Actuellement, le Fit est entre le 21 et 22. Donc, il y aura encore assez de pluies qui vont provoquer des inondations dans les quartiers”, insiste-t-il.
Une mauvaise répartition
D’après les prévisions, la particularité de cette saison réside en la mauvaise répartition des pluie. “Il y aura des zones arrosées qui recevront des grosses pluies et d’autres ne les recevront pas. Cela est dû simplement à la mauvaise répartition dans l’espace, parce que ça ne va pas couvrir toutes les zones et dans le temps, parce qu’il y aura des grosses pluies dans un endroit et rien du tout dans d’autres”, informe Djergo Gaya. Une mauvaise nouvelle pour les habitants des bas-fonds que le météorologue invite à déménager pour être à l’abri des dangers. “Les gens construisent dans les bas-fonds et quand il pleut abondamment, l’eau cherche à regagner son lit habituel. Dans les années à venir, il faudra que les niveaux de fondation d’habitations soient plus élevés. Dans l’immédiat, il faut déménager. Il n’y a rien à faire”, alerte-t-il.
Cette mauvaise répartition n’est évidemment pas bonne pour l’agriculture. “Nous trouvons qu’une grande pluie qui tombe en un temps record est un gâchis. Parce que ce n’est pas bon pour les plantes bien qu’elles aient besoin de la pluie, mais il faut des pluies qui ne sont pas aussi abondantes mais bien réparties dans le temps. Par exemple, 130 mm répartis en 10 ou 12 jours. Donc, les grosses pluies ne feront que nuire aux plantes”, déplore l’agro-météorologue. Mais, il serait encore prématuré d’évoquer un risque de famine, dit-il. Car, ces grosses pluies sont bénéfiques à la culture maraîchère.
Lanka Daba Armel
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