Que doit faire le Président MAHAMAT IDRISS ITNO pour moderniser le Système sanitaire ?

Demain, le 23 mai 2024 marque la prise de fonction du président élu de la 5ème République pour couronner la fin d’une période tumultueuse qu’a connue notre pays, qui est la Transition. C’est aussi le point de départ de la refondation de notre cher et beau pays, le Tchad.

Pour gagner les voix des Tchadiens, le Président élu a soumis à l’électorat un programme ambitieux de 12 chapitres et 100 actions pour la refondation de notre pays. Et, un chapitre complet “Poursuivre la Modernisation de notre Système de santé” détaillé en 6 actions est dédié à la question de santé, faisant ainsi de la santé de la population, une priorité et une question de souveraineté nationale.

Ne dit-on pas que la semence précède le labour, le labour exige le travail ? Ne dit-on pas aussi que le bon traitement consiste à agir sur les causes de la maladie et non les symptômes ?

Au revoir l’euphorie de la victoire ! Et, bonjour le travail !

Car, le peuple qui a accordé sa confiance attend des résultats à la fin de ces cinq ans. Et c’est seuls ces résultats qui pourront nous servir d’arguments pour un éventuel renouvellement de la confiance du peuple.

Pour atteindre les objectifs visés à travers ces six actions relatives à la santé, qui constituent des grands axes pour la modernisation du système sanitaire. De manière concrète, le gouvernement que mettra en place le Président élu doit s’atteler sur quelques domaines qui constituent les piliers de tout système de santé.

Avant d’aborder le sujet, il est honnête de reconnaître les efforts soutenus et inlassables déjà fournis par le Ministère de la Santé.

Ma réflexion sera seulement orientée sur quelques-uns des piliers du système de santé afin de maintenir les acquis et améliorer les performances du système de santé.

Il s’agit entre autres :

1- Le Renforcement de la gouvernance Sanitaire :

La gouvernance du système sanitaire tchadien est souvent confrontée à l’absence d’un cadre normatif de gestion du personnel, de leur promotion à des postes et du suivi de carrière, l’instabilité des agents aux postes de responsabilité mais aussi et surtout de l’ingérence politique dans les nominations à des postes techniques. Ce qui a comme conséquence un impact négatif sur le bon fonctionnement et source de frustrations.

Pour juguler ces problèmes, nous devons :

  • Adopter et appliquer un plan de carrière définissant les critères des nominations aux postes de responsabilité. Bref, faire de la compétence et de l’intégrité, des éléments fondamentaux dans la gestion des ressources humaines ;
  • Instaurer une stabilité de l’organigramme du Ministère en charge de la Santé. C’est l’une des causes dans le dysfonctionnement du système sanitaire. Il est important de noter que dans ces dix dernières années, le Ministère a connu plus de dix organigrammes, ce qui est source d’instabilité institutionnelle ;
  • Mettre en place un système d’évaluation des performances et de redevabilité pour la promotion du personnel ;
  • Harmoniser les manuels des procédures de gestion administrative et financière pour tous les niveaux et communs à chaque niveau de la pyramide

 

2- Une ressource humaine en quantité et en qualité et un renforcement du plateau technique

Selon certaines sources du Ministère en charge la santé, les besoins en personnel soignant pour une prise en charge de la population s’élèvent à environ 22 000. Mais fort malheureusement, le recrutement pour le compte du Ministère de la santé est rempli de profils non essentiels. Outre l’insuffisance du personnel qualifié, le ratio du personnel vieillissant qui n’est pas souvent remplacé ne cesse de prendre de l’ampleur.

Alors, durant ce quinquennat, le Président doit mettre l’accent et s’impliquer pour :

  • S’assurer que le recrutement d’un personnel qualifié est basé sur les besoins réels du Ministère en charge de la Santé ;
  • Veiller sur l’équité dans la répartition des agents sur l’ensemble du territoire avec un système de rotation. A ce niveau, un accent particulier doit être accordé aux zones austères en particulier ceux du Grand Nord “BET, BARH-ELGAZEL et le KANEM”, qui sont souvent confrontés au manque des agents et l’abandon des postes. Ce sujet doit faire l’objet d’une réflexion profonde, réaliste et avec une objectivité ;
  • Renforcer les domaines de spécialisation et accorder des bourses ou facilités pour des spécialisations selon les besoins ; dans ce sens il serait judicieux de lancer un vaste projet de formations spécialisées pour les principales filières en santé ;
  • Encadrer les spécialisations des agents. Car nous constatons que la plupart du personnel soignant s’oriente beaucoup plus dans les domaines administratifs que techniques ;
  • Créer des pools des hôpitaux de références (CHU) dans les provinces pour désengorger ceux de la capitale. Une étude pour définir les besoins en termes d’équipement et personnel s’impose à ce niveau ;
  • Renforcer la coopération SUD-SUD en l’orientant plus sur le transfert des compétences et la formation continue ;
  • Rendre opérationnelle la télémédecine dans l’ensemble des hôpitaux des provinces.

 

3- Accès à des médicaments de qualité

Le médicament est un pilier et à la fois le socle de tout système de santé et les produits de santé représentent 60-80% des dépenses en santé. L’accès à des médicaments de qualité est à la fois un droit et une nécessité pour la survie d’un pays. Car, il n’y a pas de développement sans la santé et la santé dépend de plusieurs éléments que sont l’accès à des médicaments de qualité et à moindre cout. Pour ce faire, ces actions concrètes sont un impératif pour faciliter l’accès de la population à des médicaments de qualité :

  • Rendre effectif et opérationnel l’ensemble des paquets de la couverture santé universel tout en pérennisant son financement et rechercher d’autres financements innovants ;
  • Sensibiliser la population pour son adhésion à se grouper en mutuelles de santé. Car, l’approche de la gratuité des soins a montré ses limites en termes de couverture et de pérennité ;
  • Développer la fabrication locale des produits de santé pour réduire notre dépendance sanitaire. Surtout en matière d’accès aux médicaments, c’est dans cette dynamique que doit s’inscrire l’ambition de mettre en place un technopôle pharmaceutique (les Zones de libre-échange sont déjà un acquis), véritable pôle économique permettant l’émergence et le développement d’entreprises modernes de fabrication de produits de santé de standing international, appuyé par des activités de recherche scientifique et de formation professionnelle. En effet, la survenue de la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid 19, a montré l’intérêt que représente la fabrication locale pour les pays enclavés comme le Tchad, qui devra contribuer à l’amélioration de l’accessibilité des populations aux produits de santé de qualité.

Sur le plan politique et institutionnel, ce technopôle offre un cadre à l’Etat de définir ses priorités en matière de produits de santé et de mutualisation des ressources humaines, matérielles et financières pour la mise en place d’industries pharmaceutiques résilientes et prospères respectant les normes internationales. Ce technopôle viendra aussi résorber le taux de chômage et offrira des opportunités de spécialisation dans divers domaines pharmaceutiques.

  • Mettre en place une agence autonome et indépendante de régulation du secteur pharmaceutique. Le développement de la production locale va de pair avec un environnement règlementaire propice et adéquat. Par ailleurs, la mise en place d’autorité de régulation pharmaceutique autonome est en harmonie avec les recommandations de l’Union Africaine et de l’OMS. Une mise en œuvre efficace des fonctions de réglementation pharmaceutique en dépend.
  • Renforcer la chaîne de distribution et des conditions de stockage. Ceci passe nécessairement par la Construction d’une nouvelle Centrale d’Achat et la construction ou la mise aux normes de ses succursales. A ce niveau aussi une attention particulière devrait être accordée aux zones austères “BET, KANEM, SALAMAT, BARH-ELGAZEL” pour l’amélioration des conditions de stockage, il est une impérative de doter graduellement les PPA et les Pharmacies dans les structures sanitaires d’un système solaire ;
  • Améliorer la gestion des produits médicaux dans les hôpitaux en mettant en œuvre un projet ambitieux de développement de la pharmacie hospitalière.

 

4- Une Gestion rationnelle des finances et leur sécurisation

  • Instaurer un système d’achats groupés d’équipements et appareils biomédicaux pour les hôpitaux avec autonomie de gestion avec au préalable la définition des spécifications techniques. Cela réduirait le coût d’acquisition et d’entretien et facilitera la maintenance ;
  • Mettre en place un système performant de sécurisation des recettes des hôpitaux.

 

5- Amélioration de la qualité du diagnostic médical en laboratoire

La qualité des soins est étroitement liée à la qualité du diagnostic de laboratoire et cette dernière est intimement liée à un bon fonctionnement des appareils biomédicaux et des conditions de stockage des réactifs. L’autre élément capital est le respect des normes en matière d’infrastructures de laboratoire. Il est important de rappeler que la plupart des hôpitaux construit ces 10 dernières années ne disposent pas de laboratoires répondant aux normes.

  • Doter les laboratoires des hôpitaux en système solaire pour la conservation des réactifs et le fonctionnement des appareils ;
  • Renforcer le Ministère de la Santé par un personnel spécialisé en maintenance.

 

6- Redéfinir le partenariat et encadrer l’intervention des partenaires dans le domaine de la Santé

L’apport des partenaires dans le domaine sanitaire est d’une importance capitale mais une amélioration dans la coordination des interventions des partenaires est nécessaire. Une forte concentration des partenaires dans certaines zones et de fois avec un doublon de certaines activités. Outre la concentration, des projets pilotes durent dans certaines zones sans faire l’objet d’extension dans d’autres ou finissent à l’Etat de projet pilote.

  • Elaborer une cartographie des zones d’intervention et domaines d’intervention afin que chaque partenaire se positionne en fonction du besoin du pays ;
  • Instaurer un mécanisme de suivi et évaluation régulier des performances des partenaires.

 

Et enfin, une stabilité à la tête du Ministère est un élément déterminant pour réussir cette mission de refonder le système de la santé par la poursuite de sa Modernisation.

Cette réflexion, constitue notre contribution à celui qu’on a soutenu, pour réussir sa mission.

Félicitations à toi, Monsieur le Président de la République. C’est avec cette minime et modeste contribution que j’ai souhaité vous féliciter tout en priant le bon Dieu de guider vos pas dans la sagesse.

Que le bon Dieu préserve notre pays de tout mal.

N’Djaména, le 22 Mai 2024

 

Conseiller National Président de l’Ordre National des Pharmaciens du Tchad

Dr HAROUN BADAWI MAHAMAT