“Il n’y a qu’un seul gynécologue pour plus d’un million d’âmes dans le Mayo- Kebbi Est”

C’est ce que déplore le gouverneur de la province, Adelkerim Seid Bauche. Dans cette interview, il aborde avec NDJH, quelques sujets d’intérêt général liés au développement.

Monsieur le gouverneur, pourriez-vous succinctement présenter la province du Mayo-Kebbi Est

Je voudrais d’abord vous remercier pour l’opportunité que vous nous offrez. N’Djaména-Hebdo est l’un des plus grands et anciens journaux, paru depuis les années 1990, donc plus de 30 ans, c’est presque l’âge de la maturité (Ndlr : NDJH a été créé en octobre 1989, au temps fort de la dictature de Hissène Habré). Merci infiniment pour tout ce que vous êtes en train de faire pour le pays en informant les citoyens et je vous souhaite longue vie.

Le Mayo-Kebbi Est que nous avons l’honneur et le privilège d’administrer depuis 15 mois est une province qui a été créée depuis 2019 dans le cadre des réformes. Elle comprend quatre départements : le Mayo-Boneye avec chef-lieu Bongor, le Mayo-Lemié avec chef-lieu Guelengdeng, le Mont-Ili avec chef-lieu Fianga et la Kabbia avec chef-lieu Gounou-Gaya. La province comprend 17 sous-préfectures et 19 communes dont 3 (Bongor, Fianga et Gounou-Gaya) de plein exercice, car les élections communales s’y sont passées normalement. Nous avons 28 cantons, 20 groupements, plus de 1000 et quelques villages. Elle est située à 230 km de la ville de N’Djaména, elle est frontalière avec le Cameroun (Yagoua), frontalière avec la province voisine, le Mayo-Kebbi Ouest, avec la Tandjilé et au sud-est avec le Chari-Baguirmi. Elle est constituée d’une multitude d’ethnies dont les principales sont entre autres, les Massa, les Moussey, les Toupouri, les Kim, les Marba, les Peuls, les Kéra, les Mousgoum et les autres ethnies qui y vivent en harmonie. Cela fait que la ville de Bongor est une ville cosmopolite. Le dernier recensement date de 2009 et il n’y a pas eu un autre, et en faisant des projections, les services techniques ont estimé à présent que la population globale du Mayo-Kebbi Est peut être estimée à plus d’un million deux cents habitants, juste après N’Djaména et le Logone oriental.

Actualité oblige. Comment avez-vous géré les récents incidents survenus à Bongor entre les agents des douanes et les populations ?

C’est une situation malheureuse qui s’est passée le mois dernier précisément le 4 mars. C’est suite au meurtre d’un des fils de la localité et cela a causé des manifestations violentes. Grâce à nos forces de l’ordre, à la négociation et au dialogue que nous avons toujours privilégiés avec les sages de la localité, nous sommes arrivés à calmer la situation et à circonscrire les dégâts. Bien évidemment, il y a incendie des locaux de la douane et en de pareilles circonstances, certaines personnes profitent pour commettre davantage de dégâts ou pour perpétrer des actes criminels. Et donc des badauds se sont réunis et ont eu tendance à commettre des dégâts un peu partout. Après quelques heures d’échauffourées, nous avons pu instaurer le calme. Nous nous sommes portés auprès des parents de la victime pour présenter les condoléances, les rassurer dans la mesure où le meurtrier a été pris le même jour.

Qu’est-ce qui était à l’origine de ces conflits ? Aviez-vous situé les responsabilités ?

A l’origine, tout s’est d’abord passé au niveau du fleuve. C’était un clandoman qui a pris derrière lui une femme avec quelques bambochons remplis de canettes. Le secteur mobile de la douane dans son habitude de sillonner pour contrer la fraude, les a aperçus. Le clandoman ne s’est pas s’arrêté. Les douaniers à bord du véhicule sont venus le percuter. Le monsieur et la dame sont tombés, mais les douaniers ne se sont pas arrêtés. Ce qui a un peu mécontenté le jeune qui a repris sa moto et a engagé une poursuite derrière les douaniers. Il a rattrapé le véhicule juste au niveau du rond-point devant la Justice. Et a entamé une altercation avec le conducteur. Le jeune a sorti son coteau et a donné un coup au bras du conducteur qui n’a pas supporté et a fait usage de son arme en tirant deux coups sur lui, il tombe et meurt. C’est devant cette situation que les manifestations sont parties. Sur le champ, les douaniers qui étaient à bord du véhicule ont été appréhendés et remis à la gendarmerie. Un procès-verbal a été rédigé et ils sont entre les mains de la justice. Ce qu’il faut regretter c’est que ce sont des marchandises qui n’ont même pas la valeur de 20 000 ou 25 000 francs malheureusement. Nous avons déploré cette situation. Les douaniers ont manqué de tact. S’ils avaient su gérer, on aurait pu épargner la mort d’un homme, c’est un tchadien qui est parti et cela nous fait tous mal. Il y a aussi des dégâts causés par cette situation qui sont évalués à plus de 160 millions francs. Des marchandises appartenant aux commerçants sont parties en fumée ; un véhicule carbonisé ; des matériels installés ont été détruits. Les personnes à l’origine de la situation ont été appréhendées et remises à la justice. Le directeur des douanes est arrivé, nous sommes allés rencontrer les familles endeuillées parce qu’en fin de compte, deux personnes ont trouvé la mort dans cet incident.

Quelles ont été les mesures prises pour faire en sorte que de tels incidents ne se reproduisent plus ?

En plus de l’arrestation du meurtrier et ses complices, une relève totale des responsables a été opérée et des instructions fermes ont été données à la douane secteur mobile de ne plus procéder à des poursuites des fraudeurs dans la ville. Selon les informations qui nous ont été rapportées, souvent ce ne sont pas vraiment des douaniers mais des bénévoles qui causent beaucoup de tort. Et la population était claire en affirmant qu’avec les douaniers bien formés et instruits, il ne s’est jamais passé pareille situation dommageable. C’est donc des gens non formés à qui on fait appel à leur prestation qui causent souvent de tort à la population. Le Dg des douanes a été ferme à l’endroit de nouveaux responsables en leur disant de ne plus faire appel aux bénévoles. Il a aussi promis d’envoyer des douaniers de carrière pour renforcer l’effectif. Je suis en train de suivre cette situation de prêt pour faire en sorte que de tels événements malheureux ne se reproduisent plus.

Votre voisine, la province du Mayo-Kebbi Ouest est en proie à d’énormes problèmes d’insécurité liés aux enlèvements contre rançon. Qu’en est-il au Mayo-Kebbi Est ?

Dieu merci, ici nous ne connaissons pas ce qui se passe dans le Mayo-Kebbi Ouest que nous déplorons. Et nous souhaitons le plus rapidement possible, que cette situation, qui a tant perduré, puisse être solutionnée. Dans les années antérieures, il y a quelques cas qui se sont produits, au niveau de la frontière dans la zone de Gamba, qui est une zone dense en forêt. Il y avait quelques malfrats qui ont opéré ce genre d’enlèvement dans la localité, mais Dieu merci, les autorités de l’époque, nos prédécesseurs, ont installé des postes militaires au niveau de Gamba. Un détachement y a été installé. Et depuis, ces malfrats ont abandonné la zone. Mais nous restons vigilants parce que les malfrats se déplacent toujours de forêt en forêt et des instructions sont données aux forces de défense et de sécurité pour ne pas permettre l’installation de ces genres de pratique sur notre territoire.

Comment Bongor et ses environs se préparent à accueillir la campagne électorale ?

C’est une course légale qui a été ouverte, un programme politique qui intéresse le citoyen tchadien, c’est celui-là, qui fera l’affaire. Nous, en notre qualité d’autorité administrative, nous sommes là pour observer que la campagne se fasse dans le respect des lois et règlements et du code électoral qui a été édicté et que chacun des candidats fasse sa campagne le plus librement possible.

Très souvent des conflits fonciers opposent les communautés de votre province. Comment les gérez-vous ?

Effectivement, le conflit foncier dans le Mayo-Kebbi, le foncier occupe plus de 70% des affaires, que ce soit en justice, à la brigade, au niveau des chefferies et c’est très récurrent ici. Bien évidemment, nous sommes informés mais par le passé, la gestion n’a pas été bien faite et cela a occasionné des conflits qui se sont soldés par mort d’hommes. Je me souviens, quand je venais vers la zone de Kouri, Brigaza il y a eu des affrontements qui se sont soldés par mort d’hommes, mais depuis que je suis arrivé, de telles situations ne se sont pas produites. Toujours est-il qu’au niveau des instances judiciaires, les plaintes qui arrivent sont de nature foncière et même ici à Bongor, la ville n’est pas épargnée. Avec l’ancienne gestion au niveau de la commune, au niveau des attributions, souvent il y a ce problème de double attribution qui s’est posé, mais au fur et à mesure, les responsables du cadastre sont arrivés à gérer quand même certaines situations. Cependant, au niveau du village, les problèmes des champs, des limites, existent. Souvent, ce sont les autorités locales qui les règlent à l’amiable. Et quand c’est le cas, on adhère à travers des procès-verbaux et s’ils ne sont pas satisfaits, il y a d’autres recours comme la brigade, la justice. Nous prêtons main forte à la justice pour ces cas.

Monsieur le Gouverneur, que dites-vous de la crise qui secoue cette année le secteur de l’éducation dans votre province et comment l’école fonctionne-t-elle ?

Effectivement, la province n’est pas épargnée. C’est une crise latente qui date de quelques années, c’est une maladie qui nous fatigue, et nous avons très peu de chance qu’une année passe sans grève. Cette année par exemple, il y a eu une période de grève depuis le lancement de la rentrée où il y avait eu beaucoup de tergiversations. Les élèves n’ont pas eu la chance de débuter normalement les cours depuis le début de la rentrée en octobre. Le syndicat a lancé le mot d’ordre de grève, ce qui a eu cette répercussion. N’Djaména la capitale n’est pas épargnée, nous non plus, c’est ce qui s’explique même par la crise du syndicat des enseignants, et au sein de ce syndicat, il y a eu vraiment de problème, donc le comité de crise a pris les choses en main, et c’est récemment que les élèves ont repris les cours et nous osons croire que cette reprise va perdurer jusqu’à la fin des cours comme prévu par le programme scolaire. C’est une situation déplorable qui concerne tout le monde et le pays dans son ensemble. Ce n’est pas seulement une province et cela accentue la baisse de niveau qui a été décriée depuis des années. Aujourd’hui, notre système éducatif souffre de cette maladie et je pense que la prise de conscience doit être collective. Du côté des enseignants, il nous faut des efforts. L’Etat doit mettre à la disposition des enseignants ce qu’ils sollicitent, le minimum pour tenir jusqu’à la fin du cursus scolaire. Quand les enseignants font des requêtes et que ça tarde, c’est ce qui entraîne des grèves. Et quand on essaye de solutionner ces problèmes, il y en a d’autres qui se soulèvent. La grève est un moyen de pression pour les enseignants, mais il faudrait que ceux-ci se rendent à l’évidence que c’est un moyen légal qui leur est reconnu, toutefois, il ne faudrait pas que cela soit un cercle vicieux. Il faut réclamer quand c’est nécessaire et penser aussi à l’avenir des enfants. J’appelle à la conscience collective, puisque nous sommes tous concernés, il y a le gouvernement, les parents et les enfants.

Dans le domaine de la santé, se pose-t-il des problèmes spécifiques à votre province ?

Dans le domaine de la santé, plus la population croît, plus les besoins s’expriment. Nous avons besoin des centres de santé, des hôpitaux, des ressources humaines, mettre à la disposition de ces centres construits, du personnel soignant qualifié, malheureusement c’est le point faible ici. Nous n’avons qu’un seul gynécologue pour plus d’un million de population. C’est vraiment déplorable et déjà on me fait savoir que 80% du personnel soignant est contractuel et maintenant quand le contrat de celui-ci prend fin, il voit ailleurs. Avec la crise de l’Est, ou les ONG partent vers l’Est et tout ça, tout ceux qui sont en contrat ici décampent et un vide s’observe. Nous avons vivement besoin des médecins, des spécialistes bien qu’il faudrait déjà renforcer le nombre existant et essayer aussi de détacher quelques spécialistes parce que les gens ont seulement tendance à s’agglomérer autour de grandes villes telles que N’Djaména, Moundou, Abéché, … Ceci est une doléance des responsables sanitaires. Il nous faut des moyens, parce qu’on ne peut pas créer un district sanitaire sans pour autant chercher des moyens pour l’équiper. Les districts fonctionnent sans moyens roulants. Il n’y a pas d’ambulance en cas d’urgence pour référer un patient dans des grands centres urbains. Parfois, c’est l’ambulance des villes ici qui partent dans les sous-préfectures, cela a aussi des incidences sur la prise en charge des patients. Malheureusement, la maladie n’attend pas. Nous reconnaissons aussi l’effort que le gouvernement fait pour nous, récemment le gouvernement a disposé des ambulances pour toutes les délégations, nous avons aussi reçu 2 ambulances mais ce n’est pas tous les districts qui en ont bénéficié. Les manquements s’imposent toujours dans le domaine de la santé.

Les Bongorois s’apprêtent à célébrer la réception du pont sur le Logone reliant Bongor à Yagoua. A quel niveau en êtes-vous ?

Vraiment, la population attend avec impatience l’ouverture de ce nouveau pont. Personnellement, je me félicite du fait que ce pont que vous avez eu l’occasion de visiter est à 99% de sa finition. Il ne reste que la voie du contournement, la route du pont jusqu’au centre-ville qui fait une distance de 8 km et donc là aussi l’entreprise en charge de construction s’active. Peut-être d’ici la fin de ce mois, cette route sera reliée au rond-point de la ville de Bongor. C’est d’abord un ouvrage de qualité qui est aussi un peu moderne qui va désenclaver notre pays et va permettre l’accès aux pays voisins côtiers. Cela va beaucoup contribuer à l’essor économique de la province et du pays. La population est focalisée sur l’inauguration de ce pont, car par le passé, ce sont les pirogues et autres qui donnent l’occasion aux commerçants de transporter leurs marchandises à tous risques car des pirogues ont chaviré avec les marchandises et des pertes en vies humaines ont été enregistrées. Grâce à ce pont, le bétail va passer sans encombrement ; la population également et les commerçants ne subiront pas assez de dommage. Il y a aussi le projet connexe qui prend en compte les activités des riverains, mais seulement ce projet a connu un retard au niveau de l’éducation avec la création de quelques structures éducatives et au niveau de la santé. Il y a au total 7 projets connexes dont celui du pont, mais ces projets ont accusé un léger retard parce que les études n’ont pas été faites à temps. Actuellement, des négociations ont été entamées avec la Banque mondiale, les ministères des Infrastructures des deux pays pour que la banque puisse donner encore un délai pour présenter les études et ces projets-là verront le jour.

Comment avance l’urbanisation de la ville de Bongor caractérisée par le bitumage des voies urbaines ? Combien de kilomètres de voirie urbaine entendez-vous construire et/ou réhabiliter ?

Bongor a bénéficié de 10 km de voirie urbaine. Si vous avez fait un peu le tour de la ville, vous verrez que les travaux sont en cours. Quelques avenues sont déjà opérationnelles. Il ne reste plus que la canalisation et l’avenue la plus longue baptisée Maréchal Idriss Déby Itno longue de 3 km à peu près et l’avenue Routouang qui est la seconde avenue qui fait à peu près 1 km. Le délai prévu pour la fin des travaux est en septembre 2024.

Comme dans la plupart des villes tchadiennes, Bongor souffre-t-elle aussi des délestages intempestifs et de la coupure d’eau ?

Par rapport à l’électricité, la ville a bénéficié, vers le mois de juillet-août 2023, d’un nouveau groupe. Le groupe fonctionnait normalement, il avait une capacité d’un méga watt 100, un groupe de marque Caterpillar, c’est l’un des meilleurs groupes. Il a fonctionné normalement jusqu’à ce que les personnes chargées de son entretien manquent de compétences. Aussi, une panne au niveau du tableau d’alimentation est survenue. Aujourd’hui (15 avril), ça fait plus de 10 jours qu’on n’a pas d’électricité. Nous avons a alerté la direction générale pour que d’ici quelques jours, les pièces défectueuses qui ont occasionné la panne soient remplacées pour permettre au groupe de fonctionner à nouveau.

Pour l’eau (Ste) effectivement, il s’agit aussi des problèmes techniques, les groupes électrogènes qui doivent pomper l’eau au niveau des forages sont presque tous sans force. Ils ont été réparés plusieurs fois mais ce sont des groupes qui ont plus de 10 ans, donc très amortis. Ils n’ont pas la capacité nécessaire de pomper l’eau. Récemment, de nouvelles pièces achetées l’ont fait tourner un jour et çà lâché. Nous sommes habitués aux coupures d’électricité mais l’eau c’est un besoin vital qu’il ne faudrait pas s’en priver.

Propos recueillis par Nadjidoumdé D. Florent