Africa Mélodie 50 ans (1974-2024)

Le 28 novembre 1974 est la date du premier concert du lancement du mythique orchestre Africa Mélodie au bar La Concorde. 50 ans après, il en reste un patrimoine musical que le temps n’a pas altéré, et dont les airs continuent d’être diffusés sur les ondes des stations radios, et deux survivants, notamment le benjamin du groupe à la création : Hassan Biani alias Tchopba tchadien, ainsi que le fondateur, Djibrine Térap.

Quelques passages ou extraits de leurs deux témoignages, recueillis il y a quelques années, dans le cadre du projet d’un livre à paraître sur La musique tchadienne moderne, prennent tout leur sens à la veille de la célébration du cinquantenaire de l’orchestre. Ils permettent d’apprécier le parcours du groupe.

 

Hassan Biani témoigne (juin 2019)

(…) Africa mélodie a été créé en 1974. Le premier concert avait eu lieu le 28 novembre 1974 au bar La Concorde qui appartenait à Bou Etienne. A l’origine de la création de l’orchestre, il y avait Kopax qui était arrivé de Bongor. C’était le chanteur lead de Kebbi Succès, un orchestre qui évoluait là-bas au bar Uni Africa détenu par Mme Padanou Haroun, qu’on appelait Maman Thérèse. Un groupe composé en grande partie par des musiciens étrangers (Kopax, Drimous, Wendo, Bavon Marie-Marie, Johnny Portugal) et trois tchadiens (Gentleman, Yohana et Ndol Raymond). Arrivé à N’Djaména, Kopax s’était rapproché de Hennessi Malao qui avait un ami du nom de Djibrine Térap. C’était un vétérinaire et petit-frère de Hamat un commerçant qui vivait au Zaïre, et que Hennessi avait fait découvrir le milieu musical zaïrois jusqu’à l’orchestre Afrisa International de Rochereau. Djibrine Térap n’avait pas hésité et avait accepté du coup de prendre en charge l’orchestre. Il avait par la suite tout fourni : instruments, local et salaire des musiciens. Cela, malgré la pression familiale qui voyait d’un mauvais œil cet investissement. Il fallait constituer le groupe. A cette période, la plupart des musiciens de Chari jazz était parti à l’initiation. Excepté Ramadingué et Ndingabé Daniel qui étaient des anciens initiés. En attendant le retour des initiés, Chari jazz avait fait appel à d’autres musiciens pour pallier le besoin des absents. J’étais parmi eux tout comme Michel Yalim, le grand-frère du regretté Talino Manu. Djibrine Térap et Kopax venaient régulièrement suivre les répétitions de Chari jazz. Mais leur objectif était de débaucher Ramadingué qui épatait tout le monde avec ses partitions musicales. Une fois que Ramadingué avait marqué son accord, il avait été question de choisir un accompagnateur entre Michel Yalim et moi. Mais Michel n’était pas vraiment intéressé parce qu’il cherchait à aller en France étudier. J’avais donc été retenu. Donc, nous les membres fondateurs étions : Ramadingué Lazingar (soliste et chef d’orchestre), Pierrot Tekpa (mi soliste), moi-même (accompagnateur), Gatou Vampire (bassiste), Kopax (chanteur 1ère voix), Madou René (chanteur 2ème voix), Démon (batteur) et Bernard (percussion). Le groupe était prêt pour lancer son premier concert. Beaucoup parmi nous voulait une sortie immédiate, et d’autres avaient opté pour les fêtes de fin d’année. Les avis étaient partagés. Finalement, c’était la date du 28 novembre qui avait été retenue. Mac Laou Ndildoum, journaliste animateur à la Rnt avait activement pris part à la campagne du lancement du groupe, par un tapage médiatique formidable. Dans la ville, les commentaires allaient bon train, si bien qu’à la date du 28 novembre, le bar Concorde avait fait le plein à craquer. Ce qui nous avait obligé à jouer deux jours d’affilée, le samedi et dimanche en bal du jour à partir de 15 h et bal de nuit à partir de 20 h.

A la suite des deux concerts, les supporters et mélomanes avaient été priés de choisir le nom du groupe, entre Tchad Mélodie voulu par la majorité des musiciens tchadiens et Africa Mélodie par les deux étrangers du groupe. Finalement, il avait été décédé de garder les deux noms. Notre succès avait été si grand qu’à la fin, on n’avait pas pu rester au bar La Concorde comme le souhaitait Bou Etienne (…) Djibrine Térap était toujours à nos côtés et avait continué à nous appuyer jusqu’à ce que l’orchestre gagne en popularité. Après le départ de René Madou en 1976, Africa Mélodie avait fait appel à des musiciens, notamment à Nouba Millet. Mais il y avait un problème de leadership qui l’avait opposé à Kopax. Donc, il était resté une année avant de repartir à Chari jazz. Dans la même période étaient arrivés Abakar Dindon, Bonaventure et Gazonga. Puis Salvador qui était arrivé de Bangui avec son orchestre Dragon jazz à l’invitation de Mme Haoua Ngaba. Au moment de repartir à Bangui, il avait fait défection pour nous rejoindre. Ensuite, c’était au tour de Stève, chanteur lead de Vibro Succès de Bangui, en tournée à N’Djaména pour continuer sur le Nigeria, avait quitté ses amis pour intégrer Africa Mélodie. C’étaient ceux-là les membres arrivés en 1976 (…).

 

Djibrine Tréap témoigne (14 septembre 2019)

(…) Kopax était en ballotage entre les orchestres Kebbi Succès et Echo Tchad. Pendant nos promenades avec lui, lors des concerts ou soirées, j’ai eu à remarquer le sérieux de Ramadingué dans son travail et sa façon de faire. Il était allé en formation à Kinshasa avec le Chari-jazz comme accompagnateur et a fini par s’imposer comme soliste. Un temps, Kopax s’était retrouvé sans orchestre et sans travail mais avec son talent. On mangeait ensemble chez moi tous les jours. J’en ai profité pour discuter avec lui sur son cas. Il m’a demandé de l’aider à monter un groupe et qu’il allait compter sur certains musiciens qui étaient sûrs. Cela m’a satisfait parce que je savais que je pouvais compter sur lui pour créer un groupe qui puisse produire de la bonne musique. C’était ce que je voulais. Je m’en foutais de l’investissement (…) Un jour, Charles Blondeau m’avait dit qu’un type de la STEE (Ahmat Djémil) a acheté des instruments de musique et voulait revendre cela à 500 000 francs CFA. Sur le coup, j’ai pris Kopax et on est allé voir le matériel en question. Il y avait une guitare bass, 2 guitares accompagnement, 1 ampli, 1 congas, quelques micros, une batterie et la guitare solo (marque Goya) que Ramadingué va utiliser par la suite. J’étais sceptique parce que ce n’était pas du matériel neuf. Mais Kopax avait dit qu’on pouvait les prendre et les retaper. Je lui ai dit de trouver d’abord des musiciens. Nous sommes allés au bar Amical rencontrer Ramadingué avec qui on a convenu de discuter sur les conditions de travail. Mais je voulais d’abord son avis sur les instruments. Il avait dit que certains valaient la peine mais avaient besoin d’être réparés. Pour moi cela ne posait pas de problème. Ma préoccupation était d’avoir une bonne équipe qui puisse produire un travail professionnel.

J’avais donc acheté le matériel et ils l’ont confié à Ali Zaire, un menuisier aventurier, mais très efficace. Avec Tekpa Pierrot, ils ont tout remis en état. Puis un jour, on s’est retrouvé avec Ramadingué pour procéder au choix des musiciens. Comme je voulais de la bonne musique et un groupe professionnel, j’ai dit à Ramadingué d’aller consulter ceux qu’on a retenus et de discuter avec eux, avant de revenir vers moi. Le jour de la grande rencontre à la maison, j’avais fait faire un grand repas par mon cuisinier et acheter de la bière. Je savais que les musiciens étaient des gens dont beaucoup parmi eux ne mangent pas bien et ont des besoins élementaires qu’ils ne peuvent pas assurer. Comme s’offrir une bière, ou s’acheter un paquet de cigarettes. Lors de cette réunion, j’ai été clair avec tout le monde. J’ai besoin des musiciens sérieux qui peuvent faire un bon travail professionnel. Je n’ai pas besoin des musiciens qui font le tour des tables pour demander de la bière ou le reste d’une cigarette. C’est pourquoi je vais donner le salaire à chacun à la fin de chaque mois. Les recettes des concerts ne vous concernent pas. En plus du salaire, vous aurez des primes à chaque concert. Ramadingué a négocié les salaires au cas par cas. Cela allait de 35 000 francs CFA (batteur) à 40 000 francs CFA (l’accompagnnateur Hassan Biani). Ramadingué et Kopax avaient un salaire de 90 000 francs CFA.

Le lieu de répétition était dans la concession du commissaire Algadi, tous les jours de 20 h à minuit. Avec de la bière quand le morceau est très bien repété ou fini. A la fin des répétitions, je déposais chacun avec ma voiture. Tout le monde mangeait à sa fin et avait son argent de poche. Quand un morceau est fini, je le réécoute et fais mes observations et le groupe reprend s’il le faut. Par exemple sur les morceaux comme Dédé, Aziza ou KRL, j’aimais bien les accords d’Hassan Biani avec sa guitare mi-composé. Ils étaient pressés de donner leur premier concert, mais je leur avais dit que ce n’était pas le moment. Il fallait continuer à travailler. Cette façon de faire m’a aussi beaucoup arrangé dans ma pratique de la musique, surtout en ce qui concerne le travail des accords. Un jour, j’arrive à la répétition et je trouve l’animateur de la RNT Mac Laou Ndildoum en train d’enregistrer quelques titres : Masra, Aziza, Bonne année, etc. J’ai dit OK! Dans ce cas, il va falloir qu’on trouve des tenues avant le concert de lancement. Ils ont choisi une chemise orange style veste, pantalon noir et cravate verte.

J’ai encore insisté. Vous n’avez rien à voir avec les recettes du concert, je ne veux voir aucun musicien roder autour des tables des clients pour demander de la bière ou des cigarettes. Puis je suis parti en Libye, mais ils ont quand même forcé pour lancer le premier concert. A mon retour, on m’a présenté la recette du concert de lancement qui était de 284 000 francs CFA. Ce qui n’était pas mal pour un début. C’était en fin novembre 1974 (…).

Roy Moussa