Le Tchad a célébré le mois d’octobre urbain, instauré par l’Organisation des nations unies pour les établissements humains (Onu-Habitat). Dans cette interview exclusive, la ministre de l’Aménagement du territoire, du développement de l’habitat et de l’urbanisme, Mme Ammina Ehemir Torna fait le point du développement urbain au Tchad.
2020 est une année éprouvante caractérisée par la pandémie de la Covid-19 et une saison des pluies inhabituelle, qui a mis à nu les défis de l’urbanisation durable. Le thème de la journée mondiale de l’habitat 2020, “Logement pour tous: un meilleur avenir urbain” est-il bien pensé ?
La commémoration de cette journée constitue un cadre d’échanges et de débats des acteurs publics et privés afin de trouver des solutions communes aux enjeux liés à l’urbanisation et au développement urbain durable. La crise sanitaire mondiale du coronavirus et les inondations dues aux effets du changement climatique qu’ont connues aussi les villes d’Afrique subsaharienne, mettent non seulement à nu certains défis de l’urbanisation, mais nous interpellent quant à l’organisation et la gestion de notre habitat. Les mesures que nous ont imposées ces deux problématiques nous amènent inéluctablement à repenser notre mode de vie, les dimensions de nos logements, nos moyens et mode de transport, l’occupation de nos espaces de vie, bref, la forme urbaine. Cela a aussi remis en cause les réalités économiques, sociales, techniques et culturelles sur lesquelles nos villes ont été bâties et les modes de gestion que nous avons épousés jusqu’ici. Cette situation aura des conséquences directes plus fortes sur l’urbanisation et les établissements humains dans les années à venir. Les villes étant dynamiques, nous devons désormais intégrer dans la conception de notre habitat (lieu de résidence, de travail, de commerce, de loisirs, etc.) la question de la distanciation sociale et de confinement, donc revoir les normes en matière de densité urbaine. Nous devons également apprendre à vivre, si aucune solution définitive ne s’offre à nous, avec les inondations et obligatoirement à transformer cela en opportunité de développement. S’adapter à ces changements survenus de matière brutale, nécessite que les causes qui les produisent fassent l’objet d’information à travers des débats inclusifs afin que nous puissions, ensemble trouver des solutions les plus durables. Cela nous amène à revoir notre politique en matière de logement, sur le plan d’installation, d’occupation des sols, des types de matériaux de construction, qui ne peut trouver toute sa cohérence qu’à travers une bonne communication. C’est pour repenser notre avenir urbain que ce thème a été choisi.
Sur le plan institutionnel au Tchad, quelle incidence la célébration de la journée mondiale des villes, le 31 octobre (7ème édition), a-t-il eu en termes d’avancée par rapport aux textes des lois et autres règlements en vigueur ?
La célébration de la journée mondiale des villes est une occasion de passer en revue les enjeux liés à l’urbanisation et de mieux appréhender les questions liées au logement, à la sécurité foncière, à l’accès aux services urbains, à l’assainissement, etc. Les conclusions issues des différents échanges sont prises en compte dans la définition de la politique en matière des établissements urbains, sur le plan opérationnel et réglementaire. La 7ème édition a permis de manière concrète l’aboutissement du décret portant réglementation de la délivrance des actes d’urbanisme (permis de construire, permis de démolir, déclaration de travaux et certificat de conformité) pour les rendre plus accessibles, mais également assurer un habitat sûr. Les villes étant appelées à s’adapter à des réalités qui changent parfois rapidement, nous poursuivons ce processus pour que ces réalités ne soient pas de nature à saper les actions en matière de développement des établissements humains. Cette année, elle est célébrée dans une période spécifique, avec des nouvelles réalités qui nous imposent aussi de nouvelles mesures et règles de vie à prendre en compte dans la révision et l’élaboration des textes. Les débats qui ont été organisés au cours de cette célébration ont mis au centre ces préoccupations. La planification urbaine ne peut être effectivement mise en œuvre qu’à travers un cadre juridique. Nous ferons en sorte que ces questions soient prises en compte dans les projets de textes en cours de réactualisation, relatifs au code foncier et domanial, à la réglementation du lotissement, à la définition des normes d’habitabilité, aux mesures générales de protection et de sécurité applicables aux salles de séjour, aux appartements et aux constructions particulières. C’est pour que cela ne puisse mettre à mal les actions gouvernementales que les orientations du Maréchal du Tchad, Président de la République, Chef de l’Etat, IDRISS DEBY ITNO, ont permis de disposer d’un cadre juridique et des outils de mise en œuvre de la politique en matière de développement urbain.
Comment établir un lien entre le thème de cette année “Meilleure ville, meilleure vie” avec sous thème “Valorisons nos communautés et nos villes” avec la situation de l’urbanisation galopante de la ville de N’Djaména par exemple ?
Le Tchad comme les autres pays d’Afrique subsaharienne fait effectivement face à une urbanisation sans précédent, qui résulte de plusieurs facteurs (économiques, sociales, culturelles, sécuritaires, environnementaux, etc.). Les conséquences directes sont le déficit en logement et services de base, la dégradation de l’environnement, bref la détérioration des conditions de vie des populations. La politique et les actions qui consistent à améliorer les conditions de vie des populations, c’est-à-dire leur accorder une meilleure vie, ne peuvent être assurées que dans une meilleure ville. Avoir une meilleure ville, dépend incontestablement aussi bien des politiques publiques que des efforts de la population, sur le plan comportemental et de la contribution fiscale. La ville ne peut être meilleure que si elle peut, elle-même, financer au moins une grande partie de son développement, l’entretien et la gestion de ses services. Cela ne peut être fait que par ses habitants dont elle incarne les valeurs. C’est dire en un mot que ce lien peut être établi parce que, ce thème et sous-thème constituent un appel à la volonté de tous les acteurs à apporter des solutions idoines aux problèmes d’urbanisation.
Quels sont les réels problèmes ou difficultés que rencontre votre département pour rapprocher habitat, urbanisme et logement décent?
Les problématiques liées à l’urbanisme, à l’habitat et au logement sont étroitement liées et ne peuvent être traitées distinctement. Les solutions à leur mise en œuvre effective, méritent d’être adressées dans toute la hiérarchisation des politiques en matière d’aménagement du territoire, de l’urbanisme et de l’habitat. Et également prendre en compte les questions liées à l’accès à la terre et à la propriété bâtie, à l’assainissement et à la gouvernance urbaine. Au Tchad, les réponses apportées par le Gouvernement à ces problèmes et qui ont d’ailleurs permis de soigner l’image de nos villes et les conditions de vie des populations sont considérables. Elles sont entre autres : la réforme du cadre réglementaire en matière de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, de la construction et du financement de l’habitat; la mise en place des instruments de financement de l’habitat ; l’assouplissement et l’exonération des taxes sur les matériaux de construction pour permettre l’auto-construction ; la mise en place des unités de production des matériaux de construction ; etc. Malgré ces efforts et face à un accroissement démographique de plus en plus fort, certains problèmes et difficultés persistent et ne permettent pas au ministère de jouer pleinement son rôle. Il s’agit essentiellement de l’insuffisance des ressources humaines et financières ; l’urbanisation rapide et l’étalement des centres urbains ; la cherté des matériaux de construction ; le faible pouvoir d’achat de la majorité des ménages ; les occupations anarchiques des terres et l’implication de plusieurs acteurs dans la gestion foncière ; l’absence des promoteurs immobiliers nationaux ; la faiblesse du système bancaire tchadien qui ne permet pas le financement efficient de l’habitat ; etc.
Par rapport à la question du logement décent, c’est qu’outre ces facteurs et le nouveau mode de vie que nous impose la Covid-19, tout processus de production de logement est basé sur cinq principales conditions qui sont la disponibilité et l’accessibilité des matériaux de construction ; les ressources financières et les institutions de financement; la disponibilité des infrastructures et services de base (eau, assainissement, électricité, voirie, école, centre de santé, etc.); la disponibilité du foncier et la sécurité liée à son accès; et la main d’œuvre qualifiée pour les travaux de construction de logement. Malgré certains efforts conjugués par le gouvernement pour que ces conditions soient respectées, seule l’auto-construction par la classe moyenne a mieux prospérée. Cela est due essentiellement au fait que, face aux réalités propres à la ville, certaines de nos valeurs ne permettent malheureusement pas aujourd’hui de construire des logements qui respectent les normes à la majorité des ménages urbains. Ces valeurs faut-il les citer, sont d’ordre social et culturel parce que tout tchadien veut être propriétaire peu importe son revenu, ce qui ne permet pas de loger beaucoup de personnes sur un petit espace avec un faible coût de viabilisation ; démographique parce que la taille moyenne d’un ménage est de 6 personnes, ce qui est égal à au moins un logement de 3 chambres ; économique et financière parce qu’un logement décent nécessite des services que le revenu de la majorité des ménages ne pourra pas supporter en l’absence d’un crédit à long terme ; etc. Avec ces réalités, construire des logements décents et accessibles à tous revient en sorte à dire qu’il faut que l’Etat mette à la disposition d’un ménage, un logement de quinze millions à peut-être cinq millions francs CFA. Le logement social n’étant pas en réalité gratuit dans aucun pays, il est très difficile pour l’Etat de le subventionner du coup à plus de 60% parce que le besoin national se chiffre à plus de 370 000 unités. On ne peut arriver à l’absorber que pendant une longue période, en mettant en pratique toutes les options réalistes qui cadrent avec nos réalités. C’est pourquoi, le ministère envisage de valoriser les modes et matériaux de construction propres à nos réalités et à nos valeurs. Cela consiste à moderniser nos matériaux de construction, afin que les logements qui seront issus cadrent bien avec les revenus de toutes les catégories des ménages. Pour assurer l’accès adéquat de ces logements aux services de base, nous travaillons dans le sens de réduire au maximum sinon d’arrêter l’étalement urbain à travers la densification du tissu urbain. La mise en œuvre de cette nouvelle approche ne sera effective que si la population est soucieuse du devenir de sa ville, et donc disposée au changement de comportements pour s’adapter aux règles de vie en milieu urbain. Sinon, seuls les efforts de l’Etat et des collectivités ne suffiront pas.
Quelles sont les perspectives en termes de logements sociaux et partenariats fonctionnels pour le développement d’un meilleur avenir urbain au Tchad ? Et comment redynamiser votre département ?
Les perspectives en matière de logement sociaux sont multiples et les plus importantes sont l’opérationnalisation des fonds de promotion de l’habitat, de bonification des intérêts et de garantie des prêts au niveau de la Banque de l’Habitat du Tchad ; la promotion des matériaux locaux pour rendre le logement accessible à la bourse des ménages tchadiens ; le lancement à Toukra du projet de construction des logements par la SOPROFIM grâce au financement de Shelter Afrique ; l’actualisation des Plans urbains de référence (Pur) de 15 principales villes ; la finalisation du projet d’infrastructure des données spatiales sur le ville de N’Djaména et ses environs pour permettre une meilleure définition du niveau de viabilisation des quartiers ; l’aboutissement du projet de code foncier et domanial ; etc.
Pour la redynamisation, il faut savoir que le ministère est un département transversal, complexe et sensible. Des facteurs qui concourent à la méconnaissance de la part du public des missions qui lui sont dévolues, les limitant ainsi à la question de gestion foncière dont les enjeux entraînent beaucoup des conflits, des tensions sociales et d’interprétations de toute sorte. C’est le volet qui pose plus de problème au ministère et certaines pratiques méritent des changements forts. Je pense que la redynamisation doit d’abord passer par un débat sincère autour de cette question, pour situer nos services dans leurs vraies missions mais également permettre à la population de s’approprier le sort de nos villes. Je me fixe donc l’objectif d’organiser des journées portes ouvertes, pour inviter tous les acteurs à débattre avec nous des questions qui minent le fonctionnent et les actions de notre département. C’est au vu du diagnostic et des conclusions qui en découleront que j’engagerai la suite de la redynamisation qui consiste à mon avis à débarrasser le ministère de certaines pratiques qui n’honorent pas un service public ; mobiliser les ressources nécessaires à travers un partenariat en cours pour permettre au département de jouer pleinement son rôle ; poursuivre la réforme du cadre réglementaire, surtout en matière de l’urbanisme et du foncier, pour donner une base plus solide à nos actions ; rendre plus opérationnels et contraignants les différents outils de planification existants ; promouvoir l’usage de l’information géographique pour mieux assurer l’organisation et l’occupation des sols; etc.
Interview réalisée par
Roy Moussa