Appel à une révolte contre le destin

Le cinéaste et dorénavant écrivain Tchadien Mahamat Saleh Haroun fait sortir un deuxième ouvrage dénommé les Culs reptiles. Un roman décrivant la vie des Torodonais, pays fictif mais qui ressemble trait par trait à la vie des Tchadiens qui sont invités à ne pas attendre de Dieu un miracle. Il faut qu’ils se réveillent pour prendre leur destin en main.

Constitué de 206 pages et 16 chapitres, les Culs reptiles est un roman captivant qui laissent entrevoir la nudité des hommes qui ne foutent rien de leur vie et passent leur temps à se distraire dans les jeux et ne sont prêts qu’à indexer un système qui est déjà à terre, pris d’assaut par des vautours de toute espèce qui fait taire toute voix discordante au système.
Les premières pages décrivent, l’oisiveté des Torodanais nom fictif qu’a utilisé Mahamat Saleh Haroun. “Ces oisifs qui ne voulaient rien foutre au pays, des fainéants qui passaient la journée à même le sol sur les nattes à jouer aux dames ou aux ramis, immobiles tels des montagnes, ils ruminent les noix de cola sirotant à longueur de journée des litres de thé accompagnés des pains secs. Ils ne bougeaient leurs fesses qu’en fonction de la rotation du soleil disputant l’ombre aux chiens et aux margouillats” décrit-il. Ce qui n’a pas plu selon l’auteur à Bourma le principal personnage du roman. Las de faire partie de cette communauté nationale de la glandouille, accepte de relever un inimaginable défi, notamment celui de représenter son pays des sables aux jeux olympiques de Sydney de 2000 en natation car, les autorités plus que corrompues le lui imposent. “Alors qu’il sait à peine flotter dans un fleuve boueux, il plonge corps et âme dans l’aventure. C’est ainsi que d’Afrique en Australie commence l’extraordinaire odysée d’un Ulysse candide des temps modernes, avec aussi les magiciennes Circé des médias, et sa tant convoitée Ziréga, nouvelle Pénélope” souligne-t-il ainsi la non importance que l’on accorde au sport chez les Torodonais.
Poursuivant son observation, l’auteur nous fais découvrir également les différents personnages de ce roman. Il y a dans l’œuvre, monsieur Rigobert, président de la fédération national de natation dont le seul et unique athlète est Bourma. Il organise une rencontre avec Rémadji la communicante de la Fédération pour une prise de contact mais également pour travailler sur la nouvelle identité de Bourma. Rémadji va dire à Bourma à la page 65, “je vais faire de toi un nouveau personnage. Tu n’es pas né au pays mais à l’étranger, au Maroc par exemple. On dira que ton père a travaillé à l’ambassade du pays à Rabah. C’est là-bas que tu as appris la natation” ; “mais vous racontez n‘importe quoi. Ce n’est pas du tout la vérité” proteste Barma. “La vérité n’a rien à voir là-dedans, fais-moi confiance et tout ira bien” lui dit-t-elle nullement déstabilisée. “L’important ce n’est pas la vérité mais la crédibilité de la légende qu’on va créer. Pour le premier nageur du pays, il faut inventer quelque chose qui déchire, du lourd frangin, tu comprends?” insiste la communicante de la fédération. Malgré tout, Bourma accepte d’assumer ce nouveau rôle à lui dévolu car c’est pour l’honneur de la patrie quoiqu’il sache être embarqué dans un grand mensonge qui va lui coûter cher car, il est présenté par Remadji comme quelqu’un de très instruit et un grand sportif. Une mise en scène parfaite.
Un fait surprenant sort dans le roman. La place et l’importance de la lecture que Mahamat Saleh Haroun fait sortir dans les Culs reptiles. Dans une conversation entre lui et son père, Bourma entend une phrase tirée de l’œuvre de Camus qui le surprend. “Le propre de l’homme est de ne pas servir le mensonge” lui dit son père en citant Camus. Ce qui permis alors à Bourma de s’affranchir de ce mensonge qui se préparait. Il parviendra à dire non à la proposition de la fédération de natation. Mais parviendra-t-il à s’affranchir à quel prix ?

Le contenu de l’œuvre
Le contenu du roman, fait sortir que les culs reptiles est un roman écrit dans un style engagé. Il évoque la vie de Bourma à travers son vécu à Torodona; la révolte des Torodonais qu’il a initiée est matée dans le sang ; le déguerpissement du quartier Torodona pour chasser ses habitants à cause de leur insoumission à l’autorité, sa participation moins glorieuse aux Jeux olympiques de Sydney ; son retour au pays d’où il est abandonné par les responsables de la Fédération de natation et du ministère des Sports à cause de son comportement belliqueux. Dans ce pays où la mauvaise gouvernance est légale, comme à la page 12 où le premier ministre Torodanais demande au peuple de compter sur ses propres ressources ce, après plusieurs années d’exploitation de l’or noir. Selon lui, les nappes étaient desséchées depuis belle lurette c’est pourquoi, le pays n’intéressait plus les grandes compagnies. “Désormais, il nous faut compter sur nos propres forces, compléta le Premier ministre. Je vous demande donc de vous débrouiller” clame-t-il dans un discours tonitruant.

La révolte
Après avoir suivi le discours du Premier ministre, les Torodonais sont sortis de leur docilité. Ils se sont levés et mis en guerre contre ces déclarations. Malgré l’interdiction de toute manifestation dans le pays, ils avaient décidé de passer outre en s’armant de gourdins, machettes et envahirent les rues en criant leur dégout. Ils scandèrent “Trop c’est trop”. A la page 13, même la grand-mère de Bourma répétait à qui voulait l’entendre “pourquoi le gouvernement nous prive-t-il d’électricité? Ne sommes-nous pas des citoyens comme les autres?”. Tout le monde s’est mis debout contre les iniquités intolérables du régime, quittèrent leurs quartiers et marchèrent en direction de la place de l’indépendance…. “Bourma s’était placé en tête du cortège. Il tenait le drapeau national pour faire comprendre aux autorités que même si la manifestation n’avait pas reçu l’aval du ministère de la sécurité publique, ne constituait en rien un trouble à l’ordre publique et encore moins une rébellion, mais juste une manière d’attirer l’attention du gouvernement sur leur vie de misère” lit-on dans le roman. A la page 15, Mahamat Saleh Haroun déplore que “sans tir de sommation, la garde présidentielle tira dans le tas…. Bourna s’aplatit ventre contre terre, et rampa sur une longue distance, le souffle court. …Hors d’atteinte de cartouche, il se releva et prit ses jambes à son coup. Sauve qui peut général. Débandade et victoire de la soldatesque. Elle ramassa les morts et les blessés et regagna ses casernes. Un communiqué officiel diffusé sur la télévision nationale signale qu’il y aurait un mort et quinze blessés. Or, en se basant sur leur décompte, les Torodonais savaient que le nombre de morts était plus élevé. Plongés dans le deuil, les Torodonais, unis par une communion exemplaire, pleurèrent longtemps leurs disparus privés de sépulture… cette épreuve les transforma et raffermi les liens déjà séculaires, entre les gens de Torodona”. Un simple mouvement titra avec mépris un hebdomadaire progouvernemental, propriété du beau frère du président de la République. Alors que c’était bien une révolte qui a subi un carnage. Du jamais vu dans ce pays où la population est connue pour son aptitude naturelle à la soumission.

Les abandonnés
Abandonné par la fédération de nation et déçu par le système tout court, Bourma finit par refuser de chercher du travail pour ne pas être exploité par quiconque que ce soit alors que les charges de sa famille ont augmenté avec l’arrivée de son bébé. A la page 202, il dit ceci “plus question de vendre mes forces à un patron. Je ne veux plus être esclave du salariat”. Il s’occupe des travaux domestiques pour permettre à sa femme de travailler même si la gent masculine lui adressait ses remontrances et finirent par le baptiser Faisant fonction d’épouse (Ffe). “Tu déshonores la race” lui criait-on.
Bourma a fini par rejoindre les culs reptiles avec lesquels, il passe des moments agréables sans oublier de s’occuper des travaux domestiques et de s’occuper de son fils. Il appartient donc à cette jeunesse, vive et pleine d’énergie, mais abandonnée à son triste sort. Elle affronte un horizon bouché dans un pays où tout développement est rendu impossible par une gestion désastreuse. “C’est la faillite et tout le monde le sait. Seuls les afro-optimistes soutiennent, péremptoires, que tout va bien alors que tout va mal. Pour autant, les autorités proclament le contraire, elles tonitruent partout que le développement durable, c’est pour bientôt. Que tout le monde aura du travail, que personne ne sera laissé au bord de la route”, tonne Bourma en se demandant à la page 225, ce que sera l’avenir de son fils dans ce pays qui marche cul par-dessus tête. “Quel monde vais-je lui léguer ?” s’interroge-il.
Brillants et ayant fait des longues études épuisantes, mais exclus d’un système politique inique basé sur le droit d’aînesse, les culs reptiles rêvent d’un grand changement. Ils aimeraient voir un jour une révolution. Une révolte qui sonnerait le temps de la rupture avec ce monde qui court à sa perte. Une révolte qui viendrait tout mettre en l’air, mettant fin au cauchemar permanent pour bâtir une société nouvelle basée sur la fraternité, la justice et la solidarité. MDE