Ainsi s’exprime le Pr Avocksouma Djona Atchénémou, président du parti Les Démocrates et membre du Groupe de concertation des acteurs politiques (Gcap), pour analyser les résultats de l’élection présidentielle du 6 mai 2024.
Monsieur le président, quelle lecture faites-vous de l’élection présidentielle qui vient de se passer ?
Personnellement, je ne suis pas surpris. Ce qui est arrivé, c’est ce qu’on vous décrit pratiquement depuis 2021. Ce n’est rien d’autre qu’un coup d’état qui continue. Il a commencé en avril 2021, puis s’est renforcé avec le Comité d’organisation du dialogue national inclusif (Codni), puis le Dialogue national inclusif et souverain (Dnis), la Commission nationale d’organisation du recensement électoral constitutionnel (Conorec), le référendum constitutionnel et se termine aujourd’hui avec cette élection. Entretemps, ont été mises en place des institutions d’exclusion (liste électorale, code électoral, la constitution, l’Ange, le Conseil constitutionnel, etc.). C’est quelque chose de savamment planifiée depuis de longs mois. Nous savions depuis décembre que les élections vont avoir lieu au mois d’avril. Nous savions avant le référendum que Mahamat Idriss Déby Itno sera installé par ses parrains, particulièrement la France au mois de juin 2024.
Je ne suis pas étonné et d’autant plus étonné que dès lors que les institutions ont été mises en place, il s’est passé quelque chose de très insidieux. C’est le choix des gens qui doivent faire la compétition avec lui. C’est la seule fois au monde où le candidat doit choisir ceux qui doivent faire la compétition avec lui, et il les a choisis sur la base d’un certain nombre de critères, ce qui fait qu’il n’a pas eu en face de véritables challengers. Qu’est-ce qui pouvait opposer le président de transition, le premier ministre de transition et un ancien premier ministre de transition ? Rien, ni dans le programme ni dans la façon dont on doit organiser le futur. Il n’y a absolument rien puisqu’un premier ministre était à la base de la Conorec qui a mis en place tout ce mécanisme, un autre, le plus récent était à la base de la mise en place d’autres institutions (Ange, Conseil constitutionnel). Bref, tout le monde s’est retrouvé en cogestionnaire, coresponsable ou copilote, par rapport aux institutions antérieures, pour pouvoir regarder dans la même direction par rapport au futur. Personnellement, je ne suis pas étonné, je trouve que la cause du Tchad n’a pas été bien défendue et je pense à mon point de vue, que cette dynastie qui va se mettre en place, n’est pas pour le bonheur du peuple tchadien.
Comment voyez-vous l’avenir du copilotage qui caractérise la gestion gouvernementale actuelle ?
Il n’y a pas d’avenir possible, ou alors il y a certes un avenir mais il est mauvais. C’est-à-dire quand vous voulez gérer un pays, vous projetez ce qui va se passer dans le futur. Vous vous dites, voici ce qui a été mal géré et voilà comment on va le gérer. A partir de quel moment les candidats ont dit qu’ils allaient se battre pour le relèvement du pouvoir d’achat ? Je ne l’ai pas entendu. Il n’y a pas eu de débats à ce sujet. On a juste parlé des 16 mesures, de l’augmentation des 41% du prix du carburant, c’est bien. Mais que l’augmentation du coût de la vie ne causait aucun problème. Personne n’est venue dire voici le problème, voici la solution. On s’acharne parfois sur les conséquences, mais jamais sur les causes. Si tu ne résous pas les causes, tu ne résous pas le problème lui-même. Pour moi, il n’y a pas une quelconque volonté politique de faire quoi que ce soit. Il n’y a pas des mesures fortes, pour faire en sorte que le conflit agriculteur-éleveur cesse, et vous savez bien que ce conflit est un crime économique, parce qu’il touche les deux mamelles de notre économie. Personne n’a voulu le résoudre. Quand un ancien premier ministre parle d’aller résoudre le problème d’enlèvement contre rançon, alors qu’il ne l’a pas fait quand il était premier ministre ! A mon point de vue, ce sont des vœux creux qui ne changent absolument rien. Dès lors que vous ne faites pas de grands débats avec des grandes propositions, sur le plan politique, économique social, et culturel, vous n’allez pas trouver de solutions. Est-ce qu’on peut avoir une véritable alternance, peut-on mettre en place des institutions fortes, ce n’est pas évident, puisque ce sont les mêmes qui continuent et qui ont permis de mater la population, je fais allusion aux quatre lois liberticides. Lorsqu’on assassine en plein jour un chef de l’opposition et que quelque part ça n’a pas soulevé un débat pour que cela ne cesse, ça veut dire pratiquement que tous les chefs politiques de l’opposition sont en danger de mort. Ce sont les mêmes acteurs qui ont tué en octobre 2020, en 2021 et 2022, etc. Personnellement, je suis pessimiste par rapport à l’avenir.
Votre discours actuel désarçonne par le fait qu’en tant que membre du Gcap, vous avez opté pour le boycott de cette élection, et en même temps vous avez suscité une candidature. Si cette dernière était retenue, ce discours tiendrait-il debout ?
Si la candidature était retenue, on avait probablement plus de chance de gagner cette élection et pouvoir changer les donnes. Malheureusement, cela n’a pas été le cas, parce que tous ceux qui se sont retrouvés à la fin, c’est autour d’une vision commune de la gestion de la chose publique. Nous avions opté pour une candidature tout simplement parce qu’on avait eu toutes les pressions du monde. Depuis le système des Nations-unies, la Communauté économique des états de l’Afrique centrale (Cééac), la Communauté internationale, etc. On a voulu candidater tout en sachant que ça ne va pas marcher. Nous avons candidaté autour d’une personne qui, pour moi, incarnait la rupture avec une autre vision que celle de Pahimi, Kaka ou Masra. Hélas ! On ne nous a pas donné cette chance de faire cette compétition.
N’est-ce pas curieux ce silence de la communauté internationale et de la sous-région Afrique ?
Il y a quand même pas mal de gens qui le félicitent par-ci, par-là. Tout le monde est exaspéré et le cas du Tchad est le plus pathologique sur le plan politique qu’on puisse avoir. A mon point de vue, ce qui se passe ici est l’équivalent de ce qui se passe en Haïti ou en Somalie. C’est de la pagaille ! Tout ce qu’on observe, c’est que tout le monde sait qu’il va y avoir une déflagration, mais sera-t-elle interne ou de l’extérieur, je n’en sais rien. Tout ce qu’on sait c’est que plus jamais, rien ne peut être accepté par la communauté nationale. Mais sur le plan international, il y a quand même une puissance qui y veille et c’est la France. C’est elle qui a mis en place tous ces moyens diplomatiques et financiers d’influence, que ce soit au niveau de l’Union africaine et dans la sous-région. Plus personne ne peut mettre son petit doigt sur cette affaire du Tchad.
Nous avons effectué une tournée en Europe, on nous répond qu’il n’y a pas de problème au Tchad, la France dit que tout se passe bien, Kaka est le meilleur président, etc. Mais il n’y a que la France qui croit, parce qu’elle ne veut pas perdre la main sur la gestion du Tchad. Et vous ne pouvez pas vous imaginer combien c’est délicat ce que nous sommes en train de dire. La France est militairement au Tchad depuis 130 ans, alors qu’elle est très mal à l’aise avec ce qui se passe en Afrique de l’ouest, puisqu’elle ne peut pas contrôler la situation là-bas. S’il doit y avoir un changement quelconque, il faut que ce soit elle qui décide. En avril 2021, c’est Macron le seul président européen qui est venu ici pour dire “Tant que je serais là, personne ne touchera à un seul de vos cheveux” ! C’est la politique française qu’on appelle la Françafrique et le Tchad reste le dernier maillon qu’elle pense continuer à manipuler. Tout le monde regarde, quitte à ce que quelque chose arrive, ça ne sera pas étonnant. Nous avions eu pas mal de réunions avec tous les occidentaux qui sont ici, qu’on appelle le “Groupe des amis du Tchad”, présidé par l’ambassadeur des états-unis d’Amérique. Nous leur avions tout expliqué en présence des représentants de l’Union européenne. Ensuite, nous sommes allés en France à l’élysée, au Quai d’Orsay, à l’Assemblée nationale, puis à Santa Egidio à Rome, à la Commission européenne à Bruxelles, en Allemagne, etc. Tous nous ont dit que votre problème, c’est la France qui gère. Donc, c’est la France qui terrorise tous les politiques en Europe et en Afrique. M. Tshisekedi travaille selon l’Agenda de Macron, donc, tout ce qui s’est passé à mon point de vue, ce sont des choses bien planifiées. Je leur ai toujours dit en face, “vous la Communauté internationale, vous avez abandonné le peuple tchadien dans les mains de ses tueurs”. Le 27 avril 2021, on avait massacré 18 jeunes, ils n’ont rien dit ; le 20 octobre 2022, ils ont massacré des centaines, ils n’ont rien dit ; quand Yaya Dillo a été assassiné, ils ont dit “nous prenons bonne note”. C’est tout l’effort qu’ils ont fait. Demain, si on nous assassine, cela ne leur dira rien, pourvu que leur intérêt stratégique soit maintenu.
Au stade actuel des choses, est-ce le moment de mettre sur la table le projet de Dialogue a minima qui n’a point reçu d’oreille attentive ?
Il va falloir qu’on reparte sur les fondamentaux que j’appelle des institutions fortes, qui pour moi, sont des textes fondamentaux. C’est-à-dire la constitution, la loi électorale, ou le code électoral, les institutions de gestion, des élections, de gestion des conflits nés des élections. Nous ne sommes pas pour la dynastie. L’oncle a mis 8 ans, le père 32 ans et le fils veut mettre encore 30 ans ? Ce n’est pas possible !
Au-delà de tout ça, les éléments de la paix de demain, c’est lorsqu’on permettra la transition à proprement parler. J’avais cru comprendre que c’est une telle situation qui allait avoir lieu il y a deux ou trois jours, mais manifestement, ce n’est pas le cas. Vous voyez bien que la personne qui était la mieux placée n’est pas celle-là qui va présider à la destinée du Tchad de demain. Ou est-ce que vous allez trouver la paix avec ça ?
Interview réalisé par Roy Moussa