Le nouveau vice-président de l’Association tchadienne pour la promotion des droits de l’homme (Atpdh), Djékourninga Kaoutar Lazare analyse avec lucidité la récente révision de la Constitution et aborde les priorités de son association.
Monsieur le vice-président de l’Atpdh, quelle appréciation faites-vous de la révision de la Constitution adoptée par les députés le 3 décembre 2020 ?
Une fois de plus la forfaiture est commise par l’Assemblée nationale du Tchad avec l’adoption des résolutions du 2ème Forum national inclusif. Je suis déçu, parce qu’il n’appartient pas à un Forum que ce soit le 1er ou le 2ème, de faire des propositions ou des projets de lois. A ce que je sache, l’initiative des lois selon la Constitution appartient concurremment au président de la République et à l’Assemblée nationale parce qu’ils tiennent leur légitimité du peuple tchadien. Tout acte tendant à faire des lois, si ça relève de l’exécutif, c’est un projet de loi, si c’est de l’Assemblée nationale, c’est une proposition de loi. Mais ici, c’est un forum qui n’a aucune légitimité qui se met à la place de l’Assemblée nationale pour proposer des lois. Comment peut-on appeler les actes proposés par le forum? Est-ce une proposition de lois par rapport à ce qui émane de l’Assemblée nationale ou un projet de loi par rapport à ce qui émane de l’exécutif? C’est un amalgame total. Ce qui m’emmène à demander s’il y a au Tchad, des spécialistes en droit constitutionnel et institution politique? Ceux qui tournent autour du président de la République en tant que conseillers, comme la plupart est diplômée de l’Ecole nationale d’administration (Ena), ils n’ont pas appris les notions fondamentales du droit.
Les résolutions du 2ème forum ont d’abord été approuvées en conseil des ministres avant d’être transférées à l’Assemblée nationale …
Oui mais est-ce que la plupart de ces ministres ont un cursus universitaire ? Il est bien vrai qu’il y a des jeunes compétents et autres. Mais le cursus ? En principe, un document qui doit aller en conseil des ministres est traité par le secrétariat général du gouvernement. Est-ce au secrétariat général du gouvernement que les gens ont de la compétence ? S’ils en disposent, on ne devrait pas aller de bêtise en bêtise.
Sur le fond maintenant. Pour le poste du vice-président, si nous sommes dans un régime présidentiel type, le président de la République doit être élu sur la même liste que son vice-président. De qui le vice-président qui doit être nommé par le président de la République tient sa légitimité? Sinon de celui qui l’a nommé, il est comme son secrétaire d’administration pour faire exécuter tout ce qu’il veut.
On voudrait faire une expérience du Sénat. Au Sénat, ce sont des gens qui connaissent le contour politique, social et économique du pays. Je ne sais pas comment ces sénateurs-là seront élus, ça serait par copinage. On prend le fils de tel qui a servi valablement Déby, qui n’est plus en vie ou qui a vieilli, il faut le remplacer. Or, c’est des gens qui n’ont aucune notion de l’Etat, d’une République, de la nation. On les mettra pour bousiller tout, parce qu’ils ne savent même pas les attributions des sénateurs. Le Sénat n’apportera rien de plus aux Tchadiens tout comme l’Assemblée nationale. Le contraire m’étonnerait. La Cour suprême, c’est la haute hiérarchie de l’appareil judiciaire au Tchad avec des chambres administrative, chambre constitutionnelle, chambre des comptes et autres. Maintenant la chambre des comptes devient la cour des comptes. Mais prenons par exemple la chambre des comptes, quel compte a-t-elle déjà audité ? Les gérants des comptes ont-ils écopé une fois de peine ? Tout ça pour moi c’est de la poudre aux yeux. On gaspille de l’argent pour créer des institutions et y mettre des gens qui ne font rien avec un salaire faramineux.
Que proposez-vous?
Si je fais des propositions, qui va les appliquer? J’ai servi ce pays en tant que haut cadre de l’administration, je connais bien les rouages. Dans la 1ère Constitution de 1996, il y a des bons textes qui ont été rédigés, mais qui les a appliqués? Si on appliquait le tiers de cette constitution, on serait déjà loin.
En ce qui concerne l’âge, lors des discussions au forum, la majorité a opté pour 35 ans mais selon les résolutions adoptées par l’Assemblée nationale, on a arrêté 40 ans. Et si à 35 ans on peut prétendre être député, et si on est député, on peut potentiellement être président de l’Assemblée nationale. Pourquoi on peut être président de l’Assemblée nationale et ne pas pouvoir être président de la République ? Et le président lui-même a des ministres de 29, 30 ans dans son gouvernement. Est-ce que ces ministres ne peuvent pas aussi être présidents? Est-ce qu’il ne prend pas leurs conseils pour diriger ce pays? Il y a quelque chose qui cloche. Et pourtant, la durée du mandat du président de la République est passée de 5 à 6 ans renouvelable une seule fois. Le président-maréchal a encore 12 ans d’ici avril pour exercer mais je ne sais pas pourquoi il a peur de laisser le pouvoir? Peut-être qu’il souhaite mourir au pouvoir de peur qu’il ne soit jugé un jour mais il y a le jugement dernier comme l’a chanté Talino.
Depuis fin novembre, vous faites partie de la nouvelle équipe dirigeante de l’Atpdh. Quelles sont vos priorités?
Les priorités de l’Atpdh c’est la promotion et la défense des droits de l’homme. La promotion va se traduire par la formation à l’intention de nos populations que ce soit les paysans, des gens instruits ou non, il est nécessaire de leur donner une formation en droits de l’homme. Pour ceux qui ne sont pas instruits, si nous avons des militants qui maîtrisent les instruments internationaux, on peut faire la formation en arabe, en Moundang, en Zagawa, dans n’importe quelle langue. De deux, la défense des droits de l’homme. Il serait souhaitable que l’Atpdh accompagne les victimes des violations des droits de l’homme devant les juridictions compétentes. Et la chose suivante est de faire des enquêtes de proximité. C’est-à-dire quand il y a violation, il ne faut pas dire qu’elle est mineure et qu’il faut laisser tomber. Il faut mener l’enquête pour que l’auteur réponde de ses actes.
L’Atpdh va aussi se donner un moyen de documenter la gestion du Tchad pour que ceux qui gèrent ce pays répondent un jour de leurs actes par rapport au détournement des deniers publics, aux violations des droits de l’homme. Pour ça, l’Atpdh y tient et en tant que vice-président, je souhaite longue vie à ceux qui gèrent le pays, qu’ils ne meurent pas vite pour répondre un jour de leurs actes devant les juridictions compétentes. Je vais vous dire une chose. Papon est un français qu’on appelait pendant la 2ème guerre mondiale “Boucher” de France. Mais quand les Français et leurs alliés ont vaincu l’Allemagne nazi, Papon qui était au service de l’Allemagne a fui en Amérique du sud. Il a changé de nom, a fait des tatouages mais on l’a cueilli il y a de cela 5 à 6 ans. C’est ce que l’Atpdh entend faire avec les dirigeants de ce pays le moment opportun. Quand bien même beaucoup d’entre eux sont des Canadiens, Français, Américains des Etats-Unis et autres grâce à la naturalisation, ils ne vont pas échapper à cela.
Le paysage tchadien vous permet-il de mener à bien vos objectifs?
La liberté s’arrache. Je me vois très mal quand le président tchadien dans son discours du 4 décembre 1990 disait que “je vous apporte la liberté et la démocratie” et on n’apporte pas la liberté et la démocratie aux gens. Peut-être que ceux qui gèrent le pays prétendent apporter ça mais les Tchadiens n’ont pas su vraiment, pleinement, jouir de cette liberté et de cette démocratie. Mais nous avons le devoir, en tant qu’association de défense des droits de l’homme, de le faire. Et nous étions les tous premiers à initier le dossier de poursuite de Hissène Habré et nous avons associé les autres associations parce qu’une lutte de telle envergure, nous ne pouvons pas l’engager seuls. Nous allons documenter tout ce qui se passe ici au Tchad pour que les éventuels auteurs répondent de leurs actes.
Interview réalisée par
LDA