Le 11 juin 2021, l’Archevêque métropolitain de N’Djaména, Mgr Djitangar Goetbé Edmond, a adressé un message aux laïcs des églises catholiques dans lequel il a relevé l’entrepreneuriat, le commerce et la politique qui restent insuffisamment investis par ces derniers. Il revient dans cette interview pour mieux éclairer ses propos.
Expliquez davantage comment un chrétien doit s’engager dans les domaines autour desquels votre message a été axé ?
Cette lettre pastorale, comme les précédentes, a pour but d’édifier la foi des fidèles, de les éclairer sur certains aspects de la doctrine chrétienne et d’orienter leurs conduites dans l’exercice de leurs responsabilités familiales ou sociales. Elle permet notamment de lever l’équivoque sur l’engagement des chrétiens dans les trois domaines relevés à savoir l’entrepreneuriat, le commerce et la politique.
Comme citoyen, le chrétien doit s’assumer pleinement en prenant au sérieux ses responsabilités familiales ou sociales et à ne pas négliger ou se soustraire aux activités susceptibles de contribuer à son bien-être matériel et à son épanouissement spirituel. Il doit le faire en restant uni par la foi au Christ et aux autres chrétiens comme membre de l’Eglise, en privilégiant l’amour du prochain et du bien commun et en témoignant de sa foi par une conduite irréprochable auprès de ceux et celles qui ne la partagent pas.
Comment définir la frontière ou la limite entre la religion et la politique surtout que les Etats prônent la laïcité?
La laïcité définit la forme de l’Etat et oriente la ligne de conduite des autorités publiques par rapport aux confessions religieuses. Cela veut dire qu’il n’y a pas une religion d’Etat, fut-elle celle de la majorité des citoyens et cela ne veut pas non plus dire indifférence des autorités publiques par rapport aux confessions religieuses.
La politique est une noble activité humaine qui vise l’épanouissement de l’homme; la religion est constitutive de la personne du croyant et reste donc une référence importante pour soutenir celui qui s’engage en politique. On n’est pas musulman ou chrétien seulement un jour dans la semaine ou aux fêtes religieuses, mais c’est tous les jours et dans tous les aspects de la vie quotidienne qu’on manifeste sa vie de foi.
On ne peut donc pas couper au couteau le domaine religieux et le domaine politique. Par contre l’opportunisme politique peut conduire parfois les politiciens à faire des amalgames désolants comme ceux que nous avons connus avec le serment confessionnel et l’enrôlement des leaders religieux dans les partis politiques, notamment durant les campagnes électorales.
Dans l’Eglise catholique, il est formellement interdit aux prêtres et aux religieux de militer dans un parti politique mais comme citoyens, ils peuvent avoir leur opinion sur les questions qui touchent la vie de la société et l’exprimer, …mais tout dépend du cadre.
“…Nous ne devons plus laisser les autres décider à notre place et nous contenter de murmurer ou de gémir…”. Vous demandez aux fidèles laïcs de se frayer des nouveaux chemins … Que voulez-vous dire?
C’est un constat amer que je fais comme pasteur devant la réaction désabusée de certains chrétiens qui souvent, déçus par les tripatouillages autour des élections successives ou l’inconstance dans le comportement de leurs leaders politiques, décident de ne plus participer aux activités politiques, notamment aux consultations électorales. Ils perdent ainsi le seul moyen qui leur permet de s’exprimer, même s’ils se sentent trahis par leurs élus ou savent que leur voix ne sera pas entendue.
J’ai demandé donc aux chrétiens de s’engager activement en politique pour redonner de la noblesse à cette activité sociale importante dont l’objectif devrait être de favoriser et de promouvoir les valeurs susceptibles de garantir le vivre-ensemble harmonieux des citoyens. Comme vous le savez, ici chez nous, le mot politique est synonyme de “complot”, de “fausseté”, de “mensonge” de “coups bas”, de “trahisons” de “promotion non méritée”, d’“enrichissement illicites”, etc. Or, la politique est tout au contraire l’art de bien gouverner la cité pour le bien de tous les citoyens; les chrétiens ne doivent pas être absents de la scène politique.
“C’est maintenant le temps favorable”. A quoi faites-vous allusion?
C’est une citation de la deuxième lettre de St Paul aux Corinthiens au chapitre 6 verset 2. “Le temps favorable” que nous appelons “chairos” dans le jargon théologique…c’est le moment de l’intervention décisive de Dieu pour changer une situation de désespoir dans laquelle se trouve son peuple. En l’appliquant à notre contexte tchadien, nous voulons dire que tout ce que nous avons vécu et enduré durant des années par ignorance, par démission ou par peur, nous a préparés à ce moment décisif de notre Histoire et à la prise de conscience que les choses peuvent et doivent changer.
Les chrétiens ne doivent donc pas rester dans l’expectative d’une intervention miraculeuse du ciel, mais ils doivent s’engager activement avec une conscience renouvelée de leur responsabilité dans la transformation de la société où ils vivent, comme “sel” et “lumière”. Ils doivent le faire solidairement avec toutes les forces positives de changement qui sont nombreuses et avec toutes les personnes de bonne volonté, sans distinction.
Comment l’église catholique s’organise-t-elle pour participer ou accompagner le dialogue national qui se prépare?
A différentes reprises, nous avons exprimé notre disponibilité à participer comme Eglise à ce dialogue national que tout le monde attend. Nous nous y préparons en priant et en faisant prier avant tout pour soutenir ceux et celles qui ont en charge la lourde responsabilité de tracer l’avenir de notre nation.
Nous avons invité toutes les organisations chrétiennes à se rendre disponibles pour participer à tous les niveaux de préparation de ce rendez-vous national, en partageant avec d’autres, notre expérience de vie en Eglise-famille de Dieu et en témoignant que seule une vraie conversion du regard des uns sur les autres permettra aux fils et filles du Tchad de s’accepter dans leurs diversité et de parvenir par un dialogue sincère, à une réconciliation dans la vérité, gage d’un départ sûr pour la refondation de notre nation.
Interview réalisée par Modeh Boy Trésor