La mise en chômage des employés des Brasseries du Tchad (Bdt) sans mesure d’accompagnement et la fermeture des usines de Moundou depuis le 1er mai ont déclenché un bras de fer entre les délégués du personnel et les responsables administratifs. Le député du département de Ngourkosso (Logone occidental), Néatobeye Le Nasseguengar, exprime son incompréhension dans cet entretien accordé à NDJH.
La direction générale des Bdt invoque le motif économique pour fermer l’usine de Moundou et mettre en chômage technique les employés. En tant que député de la localité, que vous inspire cette situation?
Officiellement, le directeur général affirme que c’est pour des raisons économiques qu’il a procédé à cette mise en chômage technique massive sans mesures d’accompagnement, et finalement à la fermeture des usines de Moundou. Mais quiconque aura fait, objectivement, un petit travail d’observation conclura que cela est sous-tendu par un agenda caché. Car, de mémoire d’humains, il est inconcevable de croire qu’une société qui a fait des performances exceptionnelles tant en production qu’en vente, jusqu’à redistribuer en ruissellement une partie de ses bénéfices à l’ensemble du personnel soit en situation de crise au premier semestre de l’année n+1 (2020), au point de démarrer la mise en chômage de son personnel. En effet, comment comprendre qu’une société qui a procédé à un relèvement unilatéral des prix de tous ses produits dès le 1er janvier 2020, et ce, à des taux allant de 35 à 45%, puisse se déclarer un mois plus tard en situation de crise? En tout cas, je n’en suis pas convaincu. C’est en cela que je soupçonne un agenda caché.
La direction générale des Bdt a invoqué le non renouvellement de la convention d’établissement comme motif.
Au dernier semestre de 2019, la direction générale des Bdt a introduit auprès du gouvernement une demande de prorogation de sa Convention d’établissement. Notons au passage que depuis la reprise en gestion des Bdt par le Groupe Castel, l’État tchadien lui a concédé de manière consécutive trois conventions d’établissement. C’est la 4ème demande de renouvellement que la direction générale a introduite en début de l’année. Ce que le gouvernement ne lui a pas concédé.
En octobre 2019, les deux partenaires ont eu une rencontre à Paris au cours de laquelle, la direction générale des Bdt a été convaincue d’un redressement fiscal d’un montant de 5,7 milliards de francs CFA. Ce qu’elle a versé au Trésor public. Seulement, l’interprétation de ces 5,7 milliards diffère selon qu’on est du côté du gouvernement ou du côté de la société. Pour elle, c’était le gage à payer pour obtenir sa quatrième convention d’établissement, alors que ses partenaires voient en cela un redressement fiscal qui remet tout simplement leur partenariat à zéro.
Cela, une fois rentré au Tchad et ayant appris que la convention d’établissement ne lui sera plus accordée, le Dg des Bdt s’est mis dans tous ses états et a clairement déclaré aux délégués du personnel dès fin décembre que eux tous (gouvernement et personnel) entendront parler de lui. Et le 1er janvier 2020, il a ouvert les hostilités par l’augmentation des prix des produits Bdt. C’est pour pousser les grossistes et les consommateurs à la grève. Du côté des grossistes, il a réussi son coût: ils ont observé une grève de 36 jours, sans y entraîner les consommateurs. Mais le gouvernement n’a pas réagi.
En février, deuxième coup de semonce: une partie du personnel de N’Djaména (zone Nord) et de Moundou (zone Sud) est mise en chômage technique sans mesures d’accompagnement. Au cours d’une réunion, le Dg ne s’est pas empêché de lâcher: “si vous vous mettez en insurrection, le gouvernement sera amené à me signer la convention. Alors, je reprendrais tous ceux qui sont en chômage technique puis tout repartira normalement. Sinon, je procéderai à une seconde mise en chômage technique voire des licenciements sec”. Et comme le personnel ne s’est pas mis en insurrection, dès fin mars, il a annoncé la fermeture des usines de Moundou et le départ prochain en chômage d’autres membres du personnel. Ce qui fut fait dès fin avril. Depuis le 1er mai, les usines de Moundou sont fermées, le reste du personnel mis en chômage technique sauf 10 techniciens qui assurent la maintenance en attendant l’embouteillage du reliquat de bière restée dans des cuves.
En réalité, le Dg des Bdt entend se servir des employés comme monnaie de change pour faire plier l’État tchadien. À travers le licenciement et les mises en chômage en masse sans mesures d’accompagnement, il veut les amener à l’insurrection contre le gouvernement et obliger ce dernier à lui offrir sa quatrième convention d’établissement.
Pouvez-vous nous décrire ce que vous avez vu sur le terrain à Moundou?
La situation sociale à Moundou ne peut qu’être morose. Il vous souviendra que depuis la fin des travaux de construction du pipeline Komé-Kribi, des centaines de sociétés sous-traitantes qui employaient beaucoup de gens sont parties. Avec elles, leurs employés qui consommaient massivement et reversaient une partie de leurs revenus. Moundou s’est à nouveau contentée des revenus des travailleurs des seules unités de production que sont la Cotontchad, les Bdt, la Mct, Encobat, etc. Ce n’est déjà pas grand-chose. Mais si en un jour, on vient sabrer encore une partie constituée des travailleurs des Bdt et leurs grossistes, on imagine aisément que la misère s’installe à demeure, pas à Moundou seulement mais dans toute la zone Sud!
Selon vous, à quel impact socioéconomique peut-on s’attendre si rien n’est fait?
Une unité de production comme les Bdt emploie pour la zone sud une bagatelle de 130 agents. Elles sont en affaires avec 110 grossistes qui, eux, travaillent avec 15 sous-grossistes chacun. Lorsqu’on sait que chaque grossiste emploie 30 agents et chaque sous-grossiste emploie 15 agents, le calcul est facile pour savoir qu’au moins 10.500 personnes seront affectées dans toute la zone sud par la fermeture des usines de Moundou. Étant entendu que du salaire d’un travailleur tchadien, vivent au moins dix autres Tchadiens.
Mais le Trésor public ne sera pas épargné par les effets directs et collatéraux de cette fermeture. Parce que dans le budget général de l’État pour l’exercice 2020, l’État avait déjà budgétisé les impôts et taxes à prélever sur les activités des Bdt. Ce qui va aller en fumée. Sans compter que les anciens travailleurs des Bdt et des grossistes ne pourront plus consommer comme auparavant. D’où une contraction générale de la consommation et une baisse des entrées fiscales sur la consommation pourtant budgétisées.
Propos recueillis par
Alladoum leh-Ngarhoulem G.