2008-2020. Cela fait douze années que le secrétaire général du Parti pour les libertés et le développement (Pld), Ibni Oumar Mahamat Saleh, n’a plus redonné signe de vie après avoir été enlevé par la garde présidentielle le jour de l’attaque rebelle, le 3 février 2008, à son domicile. Ce sont douze années de deuil sans fin au sein de ses familles, mais également de mutisme complice des autorités gouvernementales.
“Pour nous qui sommes ses enfants, c’est très difficile chaque jour. Nous continuons à avoir mal au cœur, parce que nous avons encore perdu notre mère qui a souffert à cause da la disparition de notre père et qui est morte sans savoir la vérité. Mais si Dieu nous donne encore la vie, nous allons persévérer avec le soutien de tout le monde pour que la vérité puisse jaillir un jour”, confie Icham Oumar Mahamat Saleh, l’un des fils de Ibni Oumar Mahamat Saleh.
Cette année, son parti politique, le Pld a différé la célébration de la journée des martyrs de la démocratie. Au lieu de 3 février comme instituée par l’opposition démocratique et les défenseurs des droits humains, les douze années de disparition forcée du Pr Ibni ont été commémorées le 8 février au siège du Pld par ses amis, camarades et parents. Des déclarations et bougies allumées. L’essentiel de cette célébration se résume aux déclarations des leaders des partis politiques et associations des droits de l’Homme, et à l’allumage des bougies.
“Pour nous, Tchadiens, la date du 3 février restera à jamais un jour de grande perte pour le pays. Parce que, parmi les personnalités disparues ce jour, se trouve le Pr Ibni, un homme dont les qualités de grand intellectuel ont été enlevées par des hommes au service exclusif des forces du mal. Chaque jour qui passe nous éclaire un peu plus sur son sort et sur l’identité de ses bourreaux qui ne fait désormais aucun doute”, déclare Mahamat Nour Ibédou, secrétaire général de la Convention tchadienne pour la défense des droits humains. Pour lui, Ibni est mort uniquement parce qu’il réclamait quelque chose de meilleur pour les tchadiens. C’est pourquoi, il mérite l’attention de tous les instants. “Nous allons continuer toujours à rappeler à ses bourreaux qu’un crime de cette de nature ne restera jamais impuni. Car la disparition forcée est l’un des crimes les plus odieux que l’on puisse commettre”, martèle le défenseur des droits humains.
En tant qu’ami, acteur politique et compagnon de lutte d’Ibni Oumar Mahamat Saleh, le député Gali Ngothé Gatta, s’interroge lors de cette commémoration sur l’efficacité des actions entreprises jusqu’ici pour combattre le silence des autorités sur la disparition du porte-parole de l’opposition démocratique. “Jusqu’à ce jour, nous avons pensé seulement à l’action judiciaire et comme notre justice est aux ordres et en panne, nous avons tous perdu les repères. Nous devrons avoir de l’audace et agir en posant des actes concrets pour sortir de ce statu quo. Parce que nous avons l’obligation de faire encore plus pour que cet homme ne puisse pas tomber dans l’oubli de la jeunesse. Défendre Ibni pour moi, ce n’est pas seulement un devoir de mémoire mais une question d’humanisme”, exhorte le député Gali Ngothé Gatta.
“Victime immortelle du Pld”
Pour Jean-Baptiste Laoukolé, son compagnon de lutte, il est temps que le président Déby fasse une déclaration pour éclairer l’opinion sur ce qui est arrivé à son camarade Ibni. “Le défunt Lol Mahamat Choua, qui était arrêté le même jour que Ibni, nous a confié qu’ils se sont rencontrés avec lui dans la cour présidentielle. Ce qui confirme le fait que notre camarade est bel et bien arrêté par les éléments de la garde présidentielle. Un mois après cela, nous nous sommes rendus à l’ambassade de France au Tchad où l’ambassadeur nous a fait savoir que Ibni n’est plus et que, de leur côté, ils attendent que les autorités tchadiennes fassent une déclaration pour informer l’opinion. Paradoxalement, la justice saisie a rendu un verdict que vous connaissez tous, pour dire que Ibni n’est pas arrêté. Alors je me demande chaque jour mais, si tel est le cas, où se trouve-t-il?”, s’interroge Jean-Baptiste Laoukolé. L’ancien dirigeant du Pld reconnaît que l’opposition politique en général et le Pld en particulier ne sont pas allés plus loin pour savoir, ne serait-ce que la tombe de l’illustre disparu.
“Le jour où Ibni est arrêté, le 3 février 2008, la chaîne de commandement n’était pas rompue. C’est dire que la responsabilité du gouvernement et de son chef, Idriss Déby, est totalement engagée dans cette situation. Et son silence depuis tout ce temps est un élément qui l’accuse. Mais, à partir des réactions qui fusent de partout dans le monde, nous comprenons que Ibni est un patrimoine national, et que sa disparition ne restera jamais impuni”, renchérit Mahamat Ahamat Alhabo, l’actuel secrétaire général du Pld, le parti politique d’Ibni Oumar Mahamat Saleh.
Alladoum leh-Ngarhoulem G.