L’Institut français du Tchad (Ift) explore les possibilités d’accompagner et de soutenir les artistes en cette période de la pandémie de la Covid-19. Son directeur délégué, Pierre Muller, fait un état des lieux deux mois après l’arrêt des activités, et informe des perspectives qui s’offrent dans le contexte actuel.
Quel état des lieux faites-vous deux mois après l’arrêt des activités, suite aux mesures de prévention contre la Covid-19?
L’institut est fermé depuis le 20 mars, date retenue pour une soirée exceptionnelle autour de la francophonie, avec un grand concert de l’artiste Maoundoé entouré des enfants et de ses collègues étrangers. Cela nous a pris énormément de temps de travail, et du jour au lendemain tout s’est arrêté. Passé la stupeur, on s’est posé la question de savoir comment continuer et surtout comment être utile pour le public qui a l’habitude de venir nombreux aux spectacles divers, à la médiathèque. D’une manière générale, en Afrique mais aussi ici au Tchad, la situation économique et sociale des artistes est extrêmement fragile, parce que l’écosystème économique de la culture est relativement limité. Il est très difficile de vivre exclusivement de son art. La plupart des artistes qui viennent ici sur scène, ont plusieurs métiers à côté de l’activité artistique pour faire face au quotidien. Cette situation est surtout compliquée par sa dimension économique, car toute l’économie de la culture s’est arrêtée, pas simplement au Tchad ou en Afrique, mais à travers le monde. La situation des artistes indépendants, notamment en France aussi, est aujourd’hui économiquement dramatique. A l’échelle de l’ensemble des pays, il faut que les autorités publiques prennent en compte, le fait que la culture en ce moment est absolument fondamentale. C’est le sel de la vie parce qu’elle transmet des valeurs du vivre ensemble, la joie de vivre, l’égalité, la liberté de penser, etc. C’est absolument fondamental de soutenir les artistes. Si chaque institution intervient à sa petite mesure, ensemble on peut solutionner le problème d’appui aux artistes. La dimension économique est extrêmement importante.
Comment vous adaptez-vous au contexte actuel?
C’est ce que nous essayons de faire pour répondre à la forte demande des artistes en cette période très singulière. Comment être utile? La réponse est assez vite venue, et se décline en deux choses. Primo, ceux pour lesquels il est plus facile d’organiser quelque chose sont les musiciens et on a pris partie assez vite de créer et d’organiser des web concerts. L’artiste invité vient faire son show pendant 45 mn tout seul, devant les caméras dans une salle vide avec une équipe technique. Puis le concert est publié sur la page Facebook de l’institut une fois par semaine. A l’exemple des concerts réalisés avec Maoundoé, Cidson, Mélody, Massoud, Abdoulaye Nderguet jusque-là, l’impact est phénoménal sur le public, avec des vues de l’ordre de 15 à 20 000 personnes. C’est largement plus que les spectacles en salle ici et permet d’entretenir une petite flamme culturelle. On va continuer de le faire tout le mois de juin, parce qu’a priori il n’y aura pas de spectacles avec le public. Ceux qui ont la possibilité de se connecter ont à tout moment 45 mn de concert sur notre page. C’est très utile pour l’artiste qui signe un contrat dans lequel il donne le droit de publier sur notre page Facebook. Ce qui est intéressant, on lui donne le fichier du concert, il en fait ce qu’il veut, c’est sa propriété qu’il peut utiliser à des fins promotionnelles. C’est une façon aussi de faire connaître les artistes musiciens et chanteurs tchadiens à l’étranger. Une option qui me semble être la plus raisonnable. Vis-à-vis des danseurs et comédiens, l’institut a toujours été à leur côté. Nous avons des engagements qui sont pris, des contrats signés, des spectacles qui sont interrompus, etc. A la rentrée, j’espère qu’on pourra reprendre. Secundo, en prenant en considération que la culture au Tchad n’est pas que musicale, nous avons décidé de créer une petite émission appelée “Aquaculture” qui est mise en place il n’y a pas longtemps, pour mieux faire connaître les artistes, qu’ils soient musiciens, cinéastes, danseurs, comédiens. On les enregistre en cette période incertaine de confinement, puis on les met sur le site. C’est ce qui va donner plus de résonance à la diversité culturelle tchadienne.
Comment voyez-vous l’après Covid-19 ?
C’est une très grande question avec un élément de réponse absolument certain. Il y aura l’après Covid-19, mais à partir de quand? Nous avons imaginé une programmation nouvelle, à partir de septembre. Mais elle est compliquée à mener puisque beaucoup de spectacles et concerts ont été annulés depuis mars. Il faut reprogrammer quand c’est possible. On n’a pas attendu juin pour faire la programmation des mois de septembre, octobre, novembre et décembre. Des engagements sont déjà pris avec des artistes pour cette période, avant la pandémie. Il faut voir si ces artistes sont toujours d’accord pour jouer aux dates convenues. S’ils sont ici au Tchad, il n’y aura pas de difficultés. Mais pour les artistes d’ailleurs, tant qu’on a cette quarantaine, je ne sais pas si on va faire beaucoup de concerts ou de spectacles. Nous avons fait plusieurs scénarii. Le premier est que tout redevient comme avant et on fait venir sans difficulté des pays africains et d’Europe, des artistes qui restent huit jours et repartent. Le deuxième concerne tous les artistes étrangers qui ne peuvent pas venir pour des raisons sanitaires, ce qui est légitime. Dans ce cas, on aura une programmation qui sera 100% locale tchadienne. L’Institut français reste toujours un lieu de rencontre et des débats entre artistes et public peut-être exclusivement tchadien, ou entre artistes africains, européens et le public tchadien. Tout dépend de l’évolution de la situation dont je ne maîtrise pas les tenants et les aboutissants.
Interview réalisée par Roy Moussa