Les ressortissants de la province du Borkou à l’extrême nord du Tchad, sont montés au créneau, pour dénoncer l’ordonnance 001 du 31 août 2021, qui rattache une partie de leur territoire à la province du Tibesti. Documents à l’appui, lors d’un point de presse tenu le 20 septembre 2021, ils indexent les auteurs de ladite ordonnance.
Les ressortissants du Borkou sont frustrés. “Cette ordonnance est prise pour satisfaire l’exigence de certaines personnes de la province du Tibesti”, indiquent-ils à l’entame de leur déclaration. Ils relèvent que l’ordonnance incriminée ne précise pas la nouvelle limite entre le nouveau Tibesti et le Borkou. Ce qui constitue une source potentielle de problèmes administratifs entre cantons, préfets, gouverneurs, services de sécurité et de justice. Pour eux, cela occasionne un conflit de compétence entre les services de l’Etat et une confusion au sein des populations impactées. Plus loin, ils informent que la prise de cette ordonnance par le gouvernement a engendré l’incompréhension et le mécontentement. Des démarches de contestation et protestation, à différents niveaux des couches de la communauté ont été engagées (lettre ouverte, lettre d’information, mémorandum).
Une ordonnance divisionniste
Pour les ressortissants du Borkou, leur frustration a été exacerbée par l’attitude et les propos du gouverneur de la province, le général de division Ismak Issakha Acheikh tenus aux chefs de cantons et responsables des associations locales de la société civile, à la veille de la manifestation pacifique prévue le 19 septembre dernier à Faya. “(…) Vous les gens du Borkou, vous n’avez pas des cadres capables de vous défendre à N’Djaména, ils sont dormants et même vos chefs de cantons ne se sont pas exprimés. Maintenant que les cadres du Tibesti ont travaillé et réussi à arracher Miski, il est trop tard pour vous (…) Le pouvoir actuel est militaire pour les 18 mois et différent du régime de Déby. Ceux qui sortiront pour une marche seront arrêtés et transférés à la prison de Koro Toro. (…) Sachez qu’on ne met pas le doigt dans l’œil du lion au repos. Si vous voulez sortir pour soutenir le Cmt, je serais avec vous dans la rue, sinon circulez !”.
Remontant le cours de l’histoire, les ressortissants du Borkou rappellent, sur la base des documents coloniaux et actes politiques, que le tracé des frontières du Borkou a été fixé par arrêté du 22 septembre 1918. Cette délimitation du Borkou n’a pas été touchée au moment de la rétrocession au Tchad de cette circonscription, qui était plutôt nigérienne du Tibesti occidental en 1929. Déjà en 1957-1958, une tentative de rattachement de ce territoire au Tibesti par le commandement militaire français de l’époque avait échoué à cause du refus des populations du canton Teda-Oura (actuel département de l’Emi-koussi). Ainsi, les militaires coloniaux se sont rendus compte que “la frontière administrative n’était pas aussi absurde, et ont décidé de le laisser dans le même état”, peut-on lire dans le document qui rappelle également le retour légitime de la sous-préfecture de Yibibou dans le Borkou, après son rattachement éphémère au Tibesti (2004 à 2018) sans l’approbation du parlement, et son érection en département de la province du Borkou par ordonnance 001 du 11 février 2019. Ce qui a mécontenté des agitateurs originaires du Tibesti et d’ailleurs, qui ont tenté de défier l’autorité de l’Etat, en créant et entretenant le fameux “Comité d’auto défense”, pour continuer à perpétuer le désordre et avoir la main basse sur l’exploitation de l’or de Miski, situé dans le département d’Emi-koussi.
Les ressortissants du Borkou relèvent que depuis ces 30 dernières années, leur province est la cible principale des découpages et morcellements comme en témoignent la configuration de sa carte réduite de près de 60% au profit du Tibesti et de l’Ennedi. Il s’agit de “la création d’un canton dans la localité de Gouri situé à 20 km du chef-lieu de la sous-préfecture de Yarda (Borkou) et rattaché en catimini à la sous-préfecture de Gouro (Ennedi) situé à 130 km; l’ordonnance 001 du 31 août 2021, fait du prince, n’est basée sur aucun rapport motivé de l’administration établi suite à une tournée de terrain au niveau local; l’amputation actuelle du Borkou dépasse le territoire du département de l’Emi-koussi, car une grande partie du département de Borkou Yala (les communes de Wadi-Marou et Ogui), est pour la première fois rattachée au département du Tibesti-ouest; les 9 chefs de canton de ces territoires n’ont ni été consultés, ni informés; la logique du gouvernement de transition à prendre des décisions aussi fondamentales par ordonnance, etc.”
Prévenir vaut mieux que guérir
De ce qui précède, les ressortissants du Borkou affirment que les notables et dignitaires de la province, sont dans la confusion, la honte et le désarroi. Ils considèrent ces comportements et actes administratifs comme un mépris à leur égard. Ils demandent au Conseil militaire et au gouvernement de transition de “suspendre les effets en cours de l’ordonnance en question pour le plus grand intérêt des populations; de préserver l’ancien découpage administratif de la province du Borkou dans l’intérêt de l’Etat et des populations concernées”. Et si éventuellement une nécessité de révision du découpage territoriale s’impose, il serait judicieux, nécessaire et impératif, sollicitent-ils, que celle-ci respecte les procédures administratives dont la consultation des populations concernées, à travers leurs chefs traditionnels et les administrations locales.
L’ordonnance incriminée rattache le département d’Emi-koussi et une grande partie du département de Borkou-Yala appartenant à la province du Borkou, à celle de Tibesti. Généralement, les mécontentements pour diverses raisons dans cette partie du Tchad, finissent dans les grottes par des rébellions armées. Le Conseil militaire de transition et son gouvernement, qui tiennent au dialogue national inclusif, ne doivent pas perdre de vue cette ébullition.
Roy Moussa