Dans le but de se procurer de la richesse indue, quelques particuliers parviennent à introduire dans les mœurs administratives tchadiennes, la pratique du loyer. Accentuée sous le régime d’Idriss Déby, qui s’y est jeté à bras raccourcis, la pratique a permis aux laudateurs du pouvoir Mps de s’enrichir vachement, en puisant l’argent de la caisse de l’État pour ensuite l’investir dans l’immobilier, qu’ils font louer au même État et à prix d’or.
Le déclic aura été la phobie du coup d’État militaire, dont le président Déby a essuyé plusieurs fois. Lui qui caressait, pourtant, l’espoir d’un pouvoir absolu, totalitaire et éternel, sort de son chapeau, “une ingénieuse idée” : transformer le palais présidentiel en une forteresse ou mieux, en un bunker. Aussitôt pensée, aussitôt réalisée. L’homme du 1er décembre procède à l’extension, de plusieurs kilomètres à la ronde, du palais de Djambal-Ngato, dont il était locataire jusqu’à son décès tragique, en avril 2021. Dans le sillage de cette folie de grandeur, plusieurs sièges d’institutions publiques attenantes au palais présidentiel, sont emportés. En premier, d’historiques bâtisses coloniales abritant le musée du Tchad et surtout le palais du gouvernement, faisant éclater du coup, beaucoup de ministères, qui se voient ainsi contraints de se chercher de sièges. L’occasion faisant le larron, certains de ses proches “intelligents” ont réussi à lui faire passer l’idée du bail d’État chez des particuliers. Un bail au régime juridique complexe, car, ni civil ni professionnel. Par l’entremise du Secrétariat général du gouvernement (Sgg), gérant des biens corporels et incorporels de l’État, la pratique prend terriblement corps dans l’appareil étatique. A tout seigneur, tout honneur, il échoit à Daoussa Déby, frère aîné du président Déby, autrement appelé “grand-frère national” et propriétaire de la Société nationale d’entretien routier (Sner), d’imposer en bail, son immeuble de Farcha, dans le 1er arrondissement municipal de la ville, au ministère de la Fonction publique. Trônant longtemps sur le ministère des Travaux publics, Daoussa Déby usera, lui aussi, de sa double influence pour arracher des marchés publics routiers au profit de sa désormais Sner, rachetée symboliquement à 1 franc de la défunte société publique Office national d’entretien routier (Ofnar). Et puff, le mélimélo autour du conflit d’intérêts est né. La barrière entre l’individuel et le général est sautée, au grand bonheur des proches du pouvoir Mps, qui se sucrent allègrement sur le dos du contribuable tchadien. Et de moult manières, dont l’immobilier.
A combien s’élève-t-il le montant mensuel du loyer ? Mystère ! Après Daoussa, ce fut au tour de l’ex indéboulonnable ministre des Infrastructures, Adoum Younousmi, d’entrer dans la danse. Tantôt, simplement proche de la personne d’Al-mana, tantôt, actionnaire majoritaire de la société Al-mana, Younousmi parvient même à offrir tout un palais présidentiel au défunt président Déby, dans sa ville d’origine de Moussoro, chef-lieu de la province du Barh El-Ghazal. Au passage, il importe de signaler que la société Al-mana a vachement fait fortune dans les bâtiments et travaux publics (Btp), grâce, là aussi, aux faveurs inconditionnelles du ministre des Infrastructures d’alors, Adoum Younousmi, dans l’attribution des marchés publics. Avant d’avoir un concurrent de taille, le groupe Wadi Koundi, Al-mana raflait, en son temps, toutes les miettes de marchés laissés par Satom, une société de droit français à qui reviennent la primauté et l’exclusivité de marchés publics tchadiens, comme partout ailleurs, dans son pré-carré africain. Le bal du grand bazar étant ouvert, s’alignent donc la horde des mafieux de la République. L’ancien intendant du gouvernement tchadien, Abdoulaye Sabre Fadoul, a accueilli plusieurs années dans l’une de ses propriétés immobilières de Sabangali, dans le 3ème arrondissement municipal de la ville de N’Djaména, le ministère de l’Enseignement supérieur. Feu Béchir Madet se frottent les mains, en louant son immeuble Gourna, sis aussi à Sabangali, à la Formation professionnelle, et passez la liste.
Le hic
Tous ces contrats de bail, dont le Sgg refuse de faire procurer copie, sont assortis d’une véritable “clause léonine” d’avance de loyer de dix ans, pour certains, et de 15, pour d’autres. L’alléchant business de l’immobilier n’épargne pas les ministères régaliens. A commencer par la Primature, tout un symbole de pouvoir d’État, qui se retrouve calfeutré dans un inconfortable local d’emprunt. Après sa restauration par le Dialogue national inclusif et souverain (Dnis) d’octobre 2022, la tête du pouvoir exécutif se retrouve à se chercher un siège. Ce manque de considération témoigne de la fragilité qui entoure son existence en tant qu’institution clé de la République. Tant les laudateurs du “système” ayant plaidé, avec succès, en 2018, sa dissolution dans une “présidence intégrale”, lui rodent toujours autour et prennent sa restauration comme un affront. En clair, la menace de sa re-suppression demeure entière. Quand bien même l’État tchadien se cherche, lui aussi, une forme qui sied, à travers le prochain référendum (17 décembre). En cas de victoire de la forme unitaire sur la forme fédérale, la question de la Primature mériterait d’être posée à nouveau. Sérieusement. Car, une Primature sans siège en propre et sans pouvoirs réels, serait effectivement une institution de trop, et donc inutilement budgétivore. Comme la Primature, un autre symbole du pouvoir, le commissariat central de police, se console des locaux d’emprunt, après s’être récemment touché par la folle extension du palais présidentiel.
A l’exception des Affaires étrangères, de la prospective économique et des partenariats internationaux, de la Justice et des droits de l’homme, des Armées, des anciens combattants et des victimes de guerre, de la Sécurité publique et de l’immigration, d’autres ministères régaliens et institutions sont contraints au régime d’emprunt. L’ancien hôtel Le Méridien pour la Primature, et le siège de l’ancien ministère des Affaires étrangères, pour le Commissariat central de police. Faut-il insister, le cas de la Primature est pathétique et consternant. Etant donné qu’il est d’une incommodité effarante. Décidément, l’instabilité de dénomination des ministères et autres institutions emporte celle de leurs sièges et de leurs consistances. La situation est identique pour des ministères non régaliens, mais non moins importants. Au rang desquels, l’Enseignement supérieur, susmentionné qui vient juste de regagner le Building de Moursal, celui de l’Éducation nationale et de la promotion civique dont la situation est relativement confortable, mais qui a échappé à la tentative d’extension du “palais royal”.
En tout état de cause, aussi longtemps que la savante saignée sera entretenue, le pays s’appauvrira au profit des individus.
Thomas Reoukoubou