La grâce et la faveur lorsqu’elles se trouvent érigées en règle de gouvernance, ne peuvent jamais trop valoir qu’un néfaste ferment d’injustice et d’arbitraire. Car, le terreau qu’elles constituent reste aux antipodes aussi bien du mérite que de toute objectivité. Dès lors, en bien de circonstance, aspirer à faire éclore une société juste, égalitaire, c’est d’abord essentiellement s’évertuer à démanteler les maléfiques foyers qui couvent tout principe de grâce et de faveur. Sans une telle conscience, tout désir de changement ne vaudra que vaine incantation.
Au sortir de notre actuelle laborieuse période de transition politique, une seule institution constituera notre défi cardinal ; celui qui nous actualisera ou pas en État de droit. Il s’agit de notre armée, paradoxalement parce qu’elle n’incarne pas sa dimension institutionnelle ; laquelle ferait d’elle une armée nationale. Confisquée depuis plusieurs décennies tant dans sa structuration organisationnelle que dans ses prérogatives régaliennes, la soldatesque tchadienne ne vaut ni plus ni moins qu’une gigantesque milice politicienne, lamentablement délestée de sa légale mission de la défense nationale.
Emblème s’il en est de la gestion patrimoniale de la chose Publique. Cette soldatesque s’est résolument détournée de sa noble vocation pour se réduire en instrument de persécution des paisibles populations, de protection des systèmes gouvernants ; et, de promotion martiale à l’extérieur, comme pour combler les abyssaux déficits de gouvernance politique, économique et sociale dont le pays se trouve perclus.
En des termes plus explicites, le prochain homme, la prochaine femme que notre peuple élira à l’issue de la turbulente parenthèse transitoire est d’ores et déjà flânée de son principal boulet : abolir cette monstrueuse milice pour ériger sur ses cendres une armée véritablement nationale, républicaine. Comment objectivement y parvenir lorsque l’on sait que cette entité constitue un cloaque qui cristallise à lui seul toutes les caractéristiques de l’hétérodoxie quant à la gestion d’un État moderne et civilisé ?
Avec une architecture ne répondant à aucune norme objective, une chaîne de commandement obéissant à des considérations et pesanteurs autres que techniques ou professionnelles, ce que l’on nomme notre armée nationale reste un écheveau d’amateurisme et de désinvolture au bas mot délicat à désemberfilicoter…
Les longues décennies de perverse instrumentalisation de la grande muette à des fins machiavéliques n’auront pas fait que la soustraire à sa vocation première. Pire, par ses truchements de promotions arbitraires et des responsabilisations imméritées, c’est la conscience de la haute hiérarchie militaire qui se trouve corrompue. Remettre de l’ordre dans ce capharnaüm, ce n’est rien de moins que dynamiter une vielle culture de privilèges indus de confort abusif et de prestige usurpé. Qui plus est la pathologique et systématique anarchique aura tant et si bien porté de l’eau au moulin du tropisme militaire que les stigmates de son zèle déferlent sur toutes les sphères de notre pays ; pour illustration, la militarisation méthodique et systématique de notre administration territoriale au mépris des vrais administrateurs civils formés au frais de l’État. La grande muette tchadienne est dorénavant un tonitruant repaire des profits arbitraires dont l’arrogance des hauts officiers bombardés n’a d’égal que leur mépris vis-à-vis du peuple. Est-il en conscience raisonnable ou simplement possible d’envisager la fin d’un tel empire où, sans le moindre mérite, autant de personnes incultes, cupides, brutes baignent dans un luxe aussi paradisiaque ? Alors que les orphelins du cataclysme gestion du défunt maréchal président viennent de commémorer la première année de sa disparition, demeurons lucides, et n’allons pas nous asphyxier dans la pudeur mensongère du sempiternel principe des égards dus aux morts. En effet, le défunt maréchal aura été pour des motifs à jamais à sa discrétion le maître d’œuvre quant à la perversion et au délicatement de notre armée. La forfaiture est d’autant plus écœurante que l’homme fut un valeureux soldat, et aimait à se revendiquer comme tel. Bien qu’il ait eu à s’employer avec force détermination pour saboter tous les fondements de notre République, l’on aurait pu être en droit d’espérer qu’il respectât le corps de métier qui fut le sien. Hélas, il a vraisemblablement vaille que vaille œuvrer à ce qu’à son sinistre règne ne fût que le désastre ; une pléthore de hauts gradés incultes et analphabètes, des avalanches d’avantages pécuniaires et matériels, des tombereaux de privilèges protocolaires et sociaux …
La femme ou l’homme à qui notre peuple donnera d’ici son onction devrait indubitablement s’astreindre à renverser la diabolique table de ce commensalisme vulgaire et nauséabond. Le défi est-il insurmontable ? La tâche promet d’être difficile mais elle n’est pas irréalisable. Aussi, notre propos ici n’est-il point de trembler ou de se coucher devant cette injuste hégémonie militaire. Il s’agit au contraire de faire comprendre que quiconque aura mis cette problématique dans l’angle mort de son projet politique aura mortellement péché par négligence. Car, ces groupuscules, ces obscurs cercles d’imposteurs n’entendent rien de la même oreille, ne voient rien du même œil que quiconque. Leur retirer ce pain indu néanmoins béni à leur sens de la bouche est une procuration d’ordre existentiel et essentiel. Ces impostures n’ont jamais rien appris d’autre que le maniement de la gâchette qu’ils tirent leur pitance, c’est à elle qu’ils doivent leur statut social. Qu’ils persécutent le peuple, se posent en système régnant ou fassent la promotion du dit système dans la diplomatie guerrière, c’est à la gâchette et à elle seule qu’ils savent devoir leurs faux lauriers, leurs couronnes, leurs faux honneurs, leurs fausses gloires. Cette gâchette ne leur vaut rien de moins qu’un sceptre royal …
Quoi qu’il en soit, intégrer la problématique de la grande muette dans nos questionnements de l’heure, ce sera déjà nous rendre à l’évidence de ce que la refonte de notre état ne sera pas une entreprise des plus dilettantes. Nous nous devrons de vaincre la peur pour faire entendre à quiconque en fait son seul argument que plus rien ne restera comme naguère. La tâche promet d’être ardue, mais existe-il un affranchissement qui se fasse sans sacrifice ???
Béral Mbaïkoubou,
Député