Une récente opinion nous énonce les huit raisons qui auraient rendu les Tchadiens couards et les empêcheraient de se battre pour conquérir leur liberté. Heureusement que ce n’est qu’une opinion.
Si l’histoire a été appelée à la rescousse pour expliquer la passivité des populations, leur silence complice de leurs oppresseurs, la même histoire révèle une succession de rebellions, de résistances populaires et de nombreuses jacqueries jamais égalées dans la sous-région et même en Afrique francophone. Les palmarès du Tchad sont peut-être détenus par le Congo démocratique (sic). En 30 ans de pouvoir, le régime d’Idriss Déby n’a sauvé son pouvoir que grâce à l’intervention des forces françaises : la rébellion du Mouvement pour la démocratie et le développement (Mdd) repoussée à Mao, l’avancée du Front uni pour le changement (Fuc), contenue et refoulée juste derrière le Palais du 15 janvier, la fulgurante attaque de l’Union des forces patriotes pour la république (Ufpr) qui a réduit les forces gouvernementales à la petite ceinture du Palais rose de Djambal-Ngato, la menace armée du Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (Mdjt) depuis les grottes du Tibesti, contenue in extremis par l’aviation soudanaise, les soutiens français et libyens et enfin la descente des colonnes de l’Union des forces pour la république (Ufr) sur Amdjarass stoppée par un bombardement intense de l’aviation française après trois jours. Faut-il oublier les rebellions trahies dont les chefs ont été arrêtés et exécutés sommairement.
Oui ! L’histoire n’est pas seulement une chronique sériée d’événements, c’est aussi ce qu’a retenu notre mémoire collective, notre conscience nationale des mêmes événements.
Le dépôt des déceptions
Qu’avons-nous fait pour rompre avec les cycles de violences, sortir du chemin battu des guerres civiles que le Tchad a connu et mettre fin à la circulation anarchique des armes de guerre ? Au contraire la militarisation à outrance de la vie politique a fait peser des menaces sur la vie des citoyens et créé cette peur endémique.
Tout pouvoir en place a toujours des soutiens et des alliés. La France a soutenu et lâché Tombalbaye, Malloum, Goukouni et Hissène Habré. Elle finira par lâcher Idriss Déby. C’est aussi une leçon de l’histoire et un principe immuable des intérêts. De la même France nous apprendrons qu’elle s’est bâtie sur les guerres et les révolutions. Si ce n’est pas elle le parrain de Déby, d’autres le seront. Pourquoi nos faiblesses, nos fautes doivent-elles toujours être imputées à autrui ? Aucune analyse sérieuse ne nous explique le non aboutissement de notre lutte d’émancipation des pouvoirs arbitraires et dictatoriaux au Tchad. Peut-on se détacher de l’opinion de l’homme de la rue – opinion par ailleurs très simpliste et justifiant le non-engagement – pour approfondir la réflexion? Car ne dit-on pas que de la discussion, donc de la confrontation des réflexions, jaillit la lumière ! Un fait non démenti, c’est la violence qui prédomine dans nos apports en société. Les tchadiens sont très peu cordiaux, polis, respectueux des uns et des autres. N’est-ce pas là des signes d’un mal vivre ensemble ? Conséquences des frustrations accumulées, des traumatismes vécus, des insatisfactions inexprimées que chacun vit comme individu et membre d’une famille, d’une communauté, d’un groupe social donné ? Le Tchad, aujourd’hui, est un dépôt de toutes les déceptions : politiques, économiques, sociales, culturelles, psychologiques, et même religieuses. Tous ces facteurs sont pour les victimes des raisons qui doivent les pousser à la violence. Ce sont des conditions objectives de toutes révoltes, nous disent les grands penseurs des temps anciens.
Mais elles ne suffisent pas pour mettre les opprimés en ordre de bataille. Comment donc organiser les différents pôles de déçus du système actuel en forces actives car c’est bien l’absence des organisations authentiques des exclus, le bâillonnement des libertés, de la justice qui condamnent les populations à l’immobilisme. Notre pays vit un état de société politique bloquée. Il existe plus de 200 partis politiques. Mais ils sont qualifiés de partis “à la mangeoire”. Où sont les vrais, ceux qui sont du côté des populations pour les défendre ? Oui, se défendre collectivement. Défendre l’intérêt général, la justice, toutes les valeurs républicaines et sociétales positives. N’est-ce pas le rôle des partis politiques ? Au lieu de penser ce prédicat premier, on répète bêtement que “les partis sont créées pour la conquête du pouvoir”. Le pouvoir chez nous est au bout du fusil. Le détenteur en est fortement convaincu. Qui veut le conquérir doit prendre les armes. C’est ce que ne cesse de dire celui qui le détient. La force, les armes, la violence ? C’est le champ de prédilection du président de la République. Aurions-nous tous compris cela, la conclusion serait immédiate : le Tchad est une dictature. Ce n’est pas un Etat de droit.
Les trois armes
Nous devrions changer de fusil d’épaule : quitter le champ de la violence et nous battre d’abord pour les libertés élémentaires avec les moyens qui sont les nôtres et non ceux de l’adversaire. C’est cela la raison d’être des partis, des associations. Effrayées par l’immense tâche qui s’impose à elles, les élites ont toutes démissionné. Elles ont choisi le chemin de la facilité : la trahison. Les populations refusent de suivre de tels hommes. D’où leur refus de répondre à des appels opportunistes. Les élites de notre pays, qu’elles soient francophones ou arabophones, politiques ou commerçantes, administratives ou religieuses, laïques ou athées, progressistes ou réactionnaires, ont choisi leur camp depuis la nuit des temps. Elles ont été formatées par l’argent, les postes de responsabilités, le refus de défendre leur pays et sa population. Elles rusent, trichent, font quelquefois des actions pour capter l’attention du pouvoir. C’est de la pure attitude tactique. Faire du bruit à l’Ouest pour rallier le pouvoir à l’Est. Faut-il pour cela indexer, incriminer seulement quelques individus ? Non! Changeons nous-mêmes avant de prétendre changer notre peuple.
Au bout de 30 ans de gestion scabreuse du Tchad, celui qui en est le chef, utilise trois armes qui ont prôné leur efficacité. Premièrement l’argent. Il exerce une force de séduction sur toutes les consciences. Peu d’entre nous peuvent résister au charme et à la tentation de l’argent. La corruption n’est que l’effet fétiche de l’argent, le défoliant de notre esprit, de notre conscience collective, de nos comportements. Le mérite, la reconnaissance du diplôme, parchemin qui couronne l’effort personnel etc., ont disparu des critères qui président à la sélection des meilleurs pour occuper des postes de responsabilité. La porte est donc ouverte aux pratiques discriminatoires, clientélistes, favoritistes, … toutes choses par ailleurs qui enterrent la fierté, la dignité, les ambitions. Deuxièmement, les décrets du chef de l’Etat. Ils sont attendus par beaucoup, comme dit l’adage “l’hyène qui attend que la lèvre inférieure du cheval tombe”. Ce comportement donne au président le privilège de diriger le pays à coups de décrets. Ceux qui ne croient pas aux décrets et ceux qui se détournent de la corruption sont testés à leurs capacités de résistance à la relégation au garage ou aux pressions des parents qui ne comprennent pas le choix du refus de ne pas rentrer dans les rangs. Dieu sait où mener cette résistance au président … ceux qui ont cru au chef de l’Etat et qui ont été bluffés en sont morts. Peut-on donc quitter le champ de toutes les violences: physiques, psychologiques et morales pour mieux construire notre pays par le dialogue. Troisièmement la force, la prison, la détention arbitraire et parfois la mort.
La voie du dialogue
Bien sûr que nous pouvons essayer le dialogue. Si, nous avons expérimenté toutes les guerres. Mais il nous reste la voie du dialogue. Elle reste inexplorée. Elle exige le courage de se dire des vérités et prendre des décisions à la hauteur de la refondation nationale pour un avenir meilleur. Faut-il rêver ? Le président de la République est le premier citoyen à donner l’exemple. Car de tout temps il aime se construire un chemin qui conduit à l’absolutisme: concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. La constitution de la 4ème République a achevé cette concentration de pouvoir. Il n’y a plus de Premier ministre. Tout le monde constate que le conseil des ministres ne se réunit plus. L’administration qui est une délégation de pouvoirs étagés et partagés est morte. Et tous les dossiers s’accumulent à la Présidence devenue un haut lieu de petites décisions.
En matière financière, le président est dans les faits ministre des Finances, trésorier payeur général et caissier. Sur le plan de la défense et la sécurité, tant qu’il était général, même de corps d’armées, les autres officiers pouvaient le considérer comme un membre de leurs corps. En devenant maréchal, il n’est plus des leurs, tous doivent faire allégeance et lui être soumis. Tout ce cheminement qui est une déviance par rapport à l’engagement premier d’Idriss Déby: construire la démocratie et la liberté dans notre pays. Cette déclaration a été applaudie et encensée par les élites du Tchad. Dès la conquête du pouvoir par IDI et pendant toute la gestion du régime, la trahison des élites sera la marque de la destruction des institutions de notre Etat et des valeurs de la République. Le deuxième forum en vue sera-t-il l’opportunité de la rupture, de mettre les points sur les “i” pour une véritable renaissance du Tchad ? Ne dit-on pas que l’espoir fait vivre ? Que Dieu vous prenne en garde !
Gali Ngothé Gatta, Député