Le Tchad va mobiliser un deuxième contingent militaire pour renforcer l’action de la force conjointe du G5 Sahel, selon une annonce faite lundi soir à Nouakchott, en Mauritanie, par le ministre tchadien des Affaires étrangères, Amine Abba Sidick, au terme de la 8ème session ordinaire du Conseil des ministres de l’organisation sous-régionale.
Volte-face d’un pays qui menace récemment encore de retirer ses troupes des fronts. Un contingent d’environ 1000 soldats tchadiens sera déployé dans les régions des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, en complément à un premier contingent de 750 soldats déployé dans le cadre du G5 Sahel. L’envoi de ce contingent était attendu depuis l’année dernière, mais il avait été retardé officiellement en raison de l’engagement du pays au Lac Tchad contre Boko haram.
Selon le ministre des Affaires étrangères, bien que la situation au Lac Tchad ne soit pas suffisamment stable, l’envoi de ce second bataillon tchadien dans le fuseau centre pour l’opération de “SAMA II” est décidé personnellement par le président de la République, Idriss Déby Itno. “Pris individuellement, aucun de nos États ne peut vaincre le terrorisme. C’est pourquoi le Tchad est convaincu que la mutualisation de nos efforts reste la seule option pour combattre le terrorisme dans notre espace communautaire”, explique le chef de la diplomatie tchadienne.
Hier, caprices !
Cette décision pourrait être perçue comme un rétropédalage du président tchadien qui a rappelé en mars dernier un deuxième bataillon en partance pour la zone des trois frontières, lorsque le pays a subi une attaque sanglante des islamistes de Boko haram sur l’île de Bohoma dans le Lac Tchad. Face à la lourde défaite de l’armée tchadienne (98 soldats tués au bout de quelques heures), Déby qui s’est senti humilié sous sa casquette de gendarme du Sahel a monté les enchères fustigeant la mollesse des armées des autres pays voisins. C’est alors qu’il décida de s’occuper désormais du bourbier tchadien.
Mais ce n’était qu’une énième supercherie de Déby qui cumule le deuil de ses soldats et les promesses non tenues des partenaires financiers dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. “Nous avons saigné à blanc notre trésor pour faire face à ce défi de taille qu’est le terrorisme. Aux dépenses d’opérations militaires, il faut ajouter des dépenses consenties au titre de l’action humanitaire qui excèdent 40 milliards francs CFA”, a déclaré Déby il y a plus d’une année au cours d’une réunion qu’il a eue avec les représentants des partenaires techniques et financiers et les ambassadeurs accrédités au Tchad.
Peu de temps avant, c’est devant les micros et caméras des chaînes françaises qu’il s’est fait désirer, listant ses conditions pour rester dans la guerre.
“Le Tchad est fatigué de se battre tout seul pour rétablir la paix et la sécurité en Afrique, notamment dans le Sahel (…). Nous sommes arrivés au bout de nos limites, nous ne pouvons pas continuer à être partout, au Niger, au Nigeria, au Cameroun, au Mali et surveiller 1200 kilomètres de frontière avec la Libye. Tout cela coûte excessivement cher et si rien n’est fait, le Tchad sera malheureusement dans l’obligation de se retirer. Je pense que fin 2017 début 2018, si cette situation devait perdurer, le Tchad ne serait plus en mesure de garder autant de soldats à l’extérieur de son territoire. Progressivement, une partie de nos soldats devront alors regagner le pays”, a-t-il menacé. On a attendu longtemps l’exécution de cette menace, mais c’est toujours le contraire que Déby offre à l’opinion nationale qui, en grande partie, ne partage pas les croisades de l’armée tchadienne.
Aujourd’hui, et le ministre tchadien des Affaires étrangères l’a bien souligné, la situation au Lac Tchad n’est toujours pas stabilisée. Des militaires tchadiens et des civils tombent régulièrement sous les balles de l’ennemi. Alors que la priorité était circonscrite ici, il y a encore quelques mois. Et Déby lui-même doit son grade de maréchal à la mort des Tchadiens dans les îles de la province du Lac. Finalement, c’est lui seul qui pourrait dire au peuple tchadien, s’il le souhaite, pourquoi 1000 autres citoyens doivent sacrifier leurs vies au-delà des frontières nationales. Surtout que l’argument habituel de combattre l’ennemi commun semble de plus en plus inopérant au regard du contexte de crise économique qui amoindrit davantage les possibilités de faire la guerre. Sauf si Déby a reçu de la part des partenaires financiers tout ce qu’il a exigé pour demeurer soldat à défaut d’être un bon président. Mais là aussi, l’ambition serait funeste. Car il y a des vies humaines en jeu. Malheureusement, le gouvernement peine à trouver une motivation juste à cette nouvelle décision d’envoyer un second bataillon dans le fuseau centre. Même auprès du parlement, quoique acquis à sa cause.
Mais présent partout
Le Tchad est présent sur de nombreux fronts en Afrique. Le pays compte plus de 1000 hommes au Mali dans le cadre de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du pays.
Pour la mission du G5 Sahel, 2000 soldats tchadiens seront mobilisés alors que les autres pays membres de la coalition (la Mauritanie, le Burkina Faso, le Mali et le Niger) réunis, vont seulement fournir 3000 hommes. Une très lourde responsabilité pour un petit pays qui n’a pas de moyens. Alors qu’une guerre coûte en renseignements, en formations et en équipements.
Aujourd’hui, certains milieux diplomatiques s’accordent sur le fait que la raison invoquée par les autorités tchadiennes – éviter la contagion islamiste au Sahel – est secondaire. Cette intervention militaire tchadienne s’inscrit dans une histoire longue marquée par le métier des armes et un compagnonnage stratégique ambigu avec la France. Elle permet à la fois le renouvellement d’une rente diplomatique fort utile dans une région en crise, l’affirmation d’un État renforcé, et de resserrer les rangs autour d’un régime structurellement fragile. Cependant, cette aventure militaire compromet sérieusement les efforts de développement. On sait bien que tout cela ne fait pas l’affaire de la démocratie et du développement, qui sont restés des enjeux secondaires aux yeux du pouvoir de N’Djaména. Alors qu’une guerre de cette nature, sous bénédiction internationale, ne semble pas à même de favoriser la construction d’un État de droit moderne fondé sur le contrôle territorial, la fiscalité et la responsabilité politique devant les citoyens.
Mais tant que Déby est président sur le Tchad, il ne donnera jamais du repos aux soldats tchadiens. C’est un guerrier qui se mêle de tout pour avoir constamment l’arme à la main.
Alldoum Leh-Ngrhoulem G.