Des milliers d’enfants sont vulnérables au Tchad. Qu’ils soient en situation de rue, victimes de traite, abusés, privés de famille et de services sociaux de base, victimes de mariage précoce…, ils ont longtemps manqué de l’attention de l’état. Mais en 2022, le Centre national d’accueil, de rééducation et de réinsertion des enfants vulnérables (Cnarrev) a été créé. Déjà, il est face aux immenses difficultés faute de moyens.
Dans les rues de la capitale, dans les coins des maisons et murs, dans les bars et marchés, et même dans les familles, ils sont visibles. Mais dans la rue, ils sont connus, leurs problèmes aussi. A vue d’œil, ils sont d’une malpropreté patente relative à leurs conditions d’existence.
Les enfants de la rue sont stigmatisés, maltraités, exploités et exposé davantage à divers risques. “Enfant de la rue” ! C’est le terme consacré par la société tchadienne pour désigner ces enfants qui, du jour au lendemain, pour quelles que raisons que ce soient, se retrouvent bon gré malgré dans la rue et sans soutien. Ces enfants de “tout le monde” qui errent dans la nature, ont appris à se débrouiller pour se prendre en charge, ne serait-ce que pour avoir de quoi se nourrir. Certains effectuent la lessive, transportent des marchandises, sillonnent les poubelles pour collecter des objets récupérables. Jonathan est de ceux-là. La vingtaine, il est considéré comme un enfant de la rue ou enfant sans parent que par ceux qui connaissent son histoire. Robuste, 1,40 m de taille, Jonathan a su attirer la sympathie de son entourage par son amour du travail. Serviable, il ne s’adonne ni aux alcools frelatés, ni aux stupéfiants et moins encore au comportement déviant.
En effet, si certains s’adonnent aux activités mentionnées pour gagner un peu d’argent, d’autres enfants de la rue, par contre, préfèrent mendier. Ils sillonnent les débits de boissons (bars et autres restaurants et cafeterias) pour quémander les restes de nourriture ou de bière laissés par les clients pour consommer. Malheureusement, l’argent qu’ils gagnent contre le travail fourni est utilisé beaucoup plus dans la consommation des alcools frelatés et des stupéfiants. Nocifs, ces alcools détruisent leurs corps qui présentent un physique maigrichon pour certains, faible et maladif pour d’autres.
Quand on les aborde, beaucoup parmi eux expriment le besoin de retrouver une vie normale. Pour peu qu’on ait la volonté de s’occuper d’eux. Alors, l’appellation “enfant de la rue” adoptée par la société peut être vue comme “une stigmatisation et un certain rejet de cette couche qui, si la société et les gouvernants ne s’en préoccupent pas, constitue un grand danger pour la société elle-même”, estime M. Julien qui dit avoir souvent pris de son temps pour aborder certaines questions avec ces enfants qui se retrouvent quelque fois devant sa maison. Julien trouve qu’il est préférable de les considérer comme des enfants en situation sociale ou tout simplement une couche vulnérable qui a besoin d’assistance.
Même ceux qui se sont transformés en marchands ambulants, sont des enfants vulnérables, parce qu’ils traînent des histoires qui attirent de la compassion au regard de leur jeune âge et qu’ils ont déjà leur destin de survie entre leurs mains ou leurs muscles. Il suffit de les aborder pour comprendre la fâcheuse histoire.
Le Cnarrev comme instrument social en faveur des enfants vulnérables
Le centre Seneké de Koundoul créé en 1992 est resté l’ombre de lui-même, faute de moyens jusqu’à ce qu’il connaisse une réforme en 2022. Il est devenu Centre national d’accueil, de réinsertion et de rééducation des enfants vulnérables (Cnarrev). C’est peut-être l’attention particulière de l’état tchadien envers les enfants vulnérables. Au centre, on entend par enfant vulnérable, “un enfant en conflit avec la loi et en danger moral ; un enfant victime de traite ; un enfant abusé (physiquement, sexuellement, émotionnellement ou psychologiquement) ; un enfant victime ou à risque de négligence ; un enfant n’accédant pas aux services sociaux de base (santé et éducation) ; un enfant en situation de pire forme de travail, y compris l’exploitation sexuelle à des fins commerciales ; un enfant victime de mariage précoce ; un enfant privé de famille (en situation de rue, orphelin, enfant abandonné) ; etc.” Pour cette catégorie d’enfants vulnérables, le Cnarrev a pour mission de leur apporter la protection, la surveillance, la rééducation et la réinsertion. L’objectif final recherché est de pouvoir réinsérer les enfants, notamment en situation de rue et autres dans leurs familles.
Deux ans après la mise en place du Cnarrev, son directeur général, Noubatoïngar Logto, inspecteur d’éducation spécialisée, renseigne que le Cnarrev accueille effectivement des enfants vulnérables et les réinsère au fur et à mesure. “Actuellement au centre il y a 4 enfants, 17 réinsérés en famille. Certains reviendront pour les cours”, informe-t-il.
Le Cnarrev est logé dans la sous-préfecture de Koundoul, à environ 3 km à l’est de la ville. Le centre mesure 16 hectares entourés d’un mur. Dans l’enceinte, quelques 5 bâtiments vieillissants servent de bureaux, de dortoir, de salles de classe et d’une petite infirmerie. Des terrains de sports y sont prévus. Dans la matinée du vendredi 27 septembre dernier, 4 enfants nous accueillent à l’entrée du centre. Ils sont ceux que le Cnarrev n’a pas pu insérer en famille depuis 2022. Jusque-là, leurs parents n’ont pas pu être identifiés. D’autres plus chanceux ont retrouvé les leurs. Ils sont une vingtaine dans le centre, une dizaine à regagner leurs familles. Mais au moins 7 ont fugué et les 4 gardent la maison.
A la création du Cnarrev, des tchadiens estiment qu’enfin le phénomène d’enfant de la rue allait prendre fin par le travail du Cnarrev qui va permettre de réduire drastiquement l’ampleur du phénomène. Que nenni ! Beaucoup d’enfants continuent à arpenter les rues. “Il y a deux manières d’admission des enfants dans le centre : soit ils sont envoyés par le juge pour enfant, donc des enfants en conflit avec la loi, soit ils sont confiés par la direction générale de l’enfance du ministère de la Femme et de la petite enfance qui fait de la prévention de la délinquance et la déviance. Et la loi parle des enfants de 11 à 16 ans qui sont admis au Cnarrev”, justifie le Dg du Cnarrev. Toutefois dans les rues, de nombreux enfants ont moins de 11 ans. La loi les exclut ainsi d’intégrer le centre. L’on pense qu’il est temps de réviser ce texte désuet au regard de la réalité sur le terrain pour prendre en compte les moins de 11 ans.
Volonté sans engagement face aux immenses défis
La création du Cnarrev est la matérialisation de la vision des autorités qui voudraient faire du Tchad un pays où “vivent dignement les enfants”. Mais ces autorités semblent manquer de bonne volonté à mener à bien leur propre entreprise. En effet, si le Cnarrev devait pleinement assumer sa mission, sa capacité d’accueil actuelle qui est de 150 enfants serait minime. Il s’agit d’un centre national et dès lors que des centres provinciaux ne sont créés, il est censé accueillir des enfants vulnérables identifiés sur l’ensemble du territoire, même s’il n’a pas de vocation à se substituer aux familles.
Par ailleurs, le Cnarrev lui-même est indigent. Il ne dispose pas d’infrastructures appropriées à l’accueil de ses pensionnaires. Celles existantes sont vieillissantes et manquent de matériels adéquats. L’école primaire en son sein est délabrée. “Le défi majeur du centre demeure l’irrégularité de la subvention de l’état”, déplore le Dg Noubatoïngar Logto. Pour lui, l’état doit mettre à disposition des moyens conséquents (humain, financier et matériel) pour permettre au Cnarrev d’atteindre ses objectifs (il s’agit de la vie des enfants). Sans les moyens, le Cnarrev ne peut pas convenablement s’occuper de ces enfants vulnérables. Et si les conditions ne sont pas réunies, on ne peut, non plus, prétendre réinsérer les enfants.
A peine deux ans d’existence, beaucoup déplorent le fait que le Cnarrev souffre déjà des mêmes problèmes que les autres institutions publiques tchadiennes : la subvention qui ne tombe pas régulièrement. Or, la création du Cnarrev avait été saluée par de nombreux tchadiens qui demandent à l’état de s’assumer avant de compter sur les donateurs. “Les appuis des partenaires techniques et matériels comme le fait l’Unicef qui appuie le Cnarrev en matériels éducatifs pour les enfants, doivent venir en surplus et non comme sources de financement des activités du Cnarrev”, estiment la plupart des observateurs.
Nadjidoumdé D. Florent.