Dans un ouvrage de 98 pages, l’octogénaire natif de Goi-Goudoum (Mayo-Kebbi ouest), Matchoké Tite Pafingn Fanezouné remonte en 1920, date de l’arrivée du premier missionnaire, Revné et son épouse Herbord au Tchad et de leur installation à Léré, pour propager l’évangile. Un remarquable exercice de mémoire.
Son ouvrage est titré “Aperçu de l’arrivée et les œuvres missionnaires de l’église fraternelle luthérienne d’Amérique au Tchad”. Un titre qui contraste avec l’image de la une qui est une photo montrant deux greniers traditionnels dans un paysage rural. Les récits sont beaucoup plus des témoignages du vécu de l’auteur qui retrace l’introduction de l’évangile dans la communauté moundang, depuis Kaélé et Yagoua (Cameroun) jusqu’à Pala, Gounou-Gaya, Kélo, Torrock, Bongor et Lagon (Tchad).
L’expansion de l’évangile dans la communauté moundang animiste, ne s’est pas faite sans difficulté. C’est pourquoi Matchoké Tite Pafingn Fanezouné rend gloire et grâce au Seigneur Tout-puissant, qui lui a permis d’être l’un des témoins oculaires de l’histoire de l’église fraternelle luthérienne d’Amérique au Tchad. Les faits et dates narrés avec précision sont complétés par des documents d’archives qui accompagnent le récit. L’auteur saisit l’occasion pour rappeler au lecteur la définition du mot église, donner son aperçu historique, d’introduire l’église fraternelle luthérienne à travers l’histoire de Martin Luther (1483-1546), son avènement en Afrique en 1916 et au Tchad en 1920, où Berge Revné et son épouse Herbord ont été bien accueillis par Gong-Tchomé II (roi soleil). Rejoint par le couple Jetmunnd Ivarsen Kaardal et son épouse Sophie, les premières démarches administratives au Tchad et au Cameroun (autorisation) pour évangéliser la communauté moundang sont rejetées. Il a fallu renouveler les mêmes démarches qui, finalement en mai 1923, vont être couronnées de succès. Les stations missionnaires sont installées à Léré (Tchad) sous la supervision de Kaardal et Sophie, et à Yagoua (Cameroun) par Revné et Herbord.
Kaardal observe que les Moundang sont difficiles, intelligents, progressistes, observateurs, aimant danser, boire l’alcool, les marchés hebdomadaires et réfractaires à la langue foulfouldé qu’ils considéraient comme une langue d’invasion, à cause des frictions qu’il y a eu entre les deux communautés. La stratégie adoptée a été d’évangéliser en langue moundang, donc il fallait se mettre à l’apprendre. Ce que fit le couple missionnaire. Tao, un habitant de Léré, s’est porté volontaire pour leur apprendre la langue moundang. Très intéressé, le couple finit par élaborer le syllabaire abc en moundang. Ce qui a eu le mérite de rendre un peuple fier et d’accepter d’être évangélisé dans sa langue maternelle. Beaucoup vont confesser leurs péchés et se convertir au nom de Jésus-Christ. Une classe de baptême va être créée et les ouailles apprendront le petit catéchisme de Luther.
En 1927, Léré connaît ses trois premiers:. Markamta Jean, sa fille Marie et Elmer Kaardal, fils du missionnaire. En 1947, c’est au tour de Torrock de recevoir trois missionnaires dont un blanc (Roy Erickson), avant l’arrivée de Kaardal. Ce dernier propose au chef de village de désigner deux volontaires pour se rendre à Lara (Cameroun) ramener un instructeur biblique. Kahbi Daniel et Fauba Paul Maring reviendront à Gouin avec Wangbé Stéphane qui se met au travail et enseigne le syllabaire moundang. La mayonnaise prend et le nombre des apprenants augmente avec l’arrivée des gens de Torrock-Lyang et Mawaaré (actuel Goi-Goudoum).
Mais arrivé comme catéchiste, Wangbé Stéphane travaille aussi comme évangéliste et convertit des âmes à Jésus-Christ. En 1950, les premiers baptisés furent Samuel Pahimi et l’épouse de Stéphane. D’autres suivront pendant toute la période de 1947-1956 où Stéphane a servi à Gouin, avant de repartir dans son village Lara pour avoir commis un adultère.
Tous ceux qui ont travaillé de 1947 à février 2020, comme catéchistes ou pasteurs sont recensés dans l’ouvrage. Depuis Goi-Goudoum, Gouin-Lara, Gouin, Mabasyakré, Makeuré (Torrock), Zoua Magouin, Matéta, Gamba, Malanégommé, Matangseuh et Balani. La création de l’Ecole biblique régionale du consistoire de Torrock en 1986 a permis de former cinq promotions de catéchistes avant sa fermeture en 2002.
L’auteur n’a pas perdu de vue l’introduction de l’évangile en pays massa. Tout comme la persécution des premiers chrétiens massa par leurs parents accrochés aux pratiques ancestrales. L’une des conséquences chez les filles dans cette communauté est que celle qui est scolarisée par les missionnaires ne vaut pas chère dans la balance de la dot, comparativement à celle qui est restée brute, sans instruction.
La liste des premières publications en moundang est jointe à la page 58 pour confirmer les dires de Matchoké Tite qui a ajouté les noms des six premiers diplômés tchadien et camerounais de l’Ecole biblique centrale de Djidoma, créée en 1956 au Cameroun. Ils ont appris comment traduire la Bible et ont repris la traduction arrêtée en 1964, pour la finir le 9 avril 1979. Envoyée à l’Alliance biblique du Cameroun, le coup de l’édition est de 2 millions de francs CFA. Le montant était élevé, mais la communauté moundang informée, s’est spontanément mise à cotiser. La collecte a réuni 1,5 million de francs, ce qui a enchanté le missionnaire Raun qui a complété les 500 000 francs restants.
En juin 1983, la Bible en moundang entièrement traduite est éditée. C’est la fierté de toute une communauté.
Le 22 mai 1986, l’administration de la littérature moundang est restructurée, afin de travailler à temps plein dans la traduction des ouvrages en langue moundang. Sept pages sont accordées aux couples missionnaires qui ont œuvré pour l’avènement de l’évangile, ainsi que les différents lauréats des promotions du Tchad et Cameroun des écoles, ethnie par ethnie.
Roy Moussa