Lutter contre la détention préventive abusive

Un atelier de deux jours (11 au 12 décembre 2020) a été organisé par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat-Tchad) à Toukra dans le 9ème arrondissement de N’Djaména au compte du projet “Accompagner le Tchad dans le respect des procédures judiciaires relatives à la détention préventive afin d’améliorer les conditions de détention”.

L’heure est au bilan. L’Acat-Tchad, qui a saisi l’occasion de la célébration de la journée des droits de l’homme, en a fait d’une pierre deux coups. Elle a organisé cet atelier qui vise non seulement à lutter contre la détention préventive abusive et réduire la surpopulation carcérale, mais aussi, à passer en revue les activités menées.

Les axes principaux autour desquels les participants ont orienté leurs échanges ont été le renforcement des capacités de la société civile, du personnel judiciaire et pénitentiaire en matière de respect des garanties judiciaires des détenus en attente de jugement, le dialogue entre les parties prenantes, la réduction de la détention préventive injustifiée, la surpopulation carcérale dans les prisons, la sensibilisation de l’opinion publique sur les droits des détenus au Tchad.

En levée des rideaux, il y a eu le bilan des activités de l’Acat-Tchad. Présenté par le président de cette organisation, Me Salomon Nodjitoloum, l’objectif global du projet en exécution est de faciliter l’accès à la justice aux détenus au Tchad. Groupe cible de ce projet : la société civile tchadienne dont l’Acat-Tchad, les autorités publiques, le personnel de l’administration judiciaire et pénitentiaire, les avocats, les détenus en attente de jugement. Les bénéficiaires sont effectivement les détenus, ceux en attente de jugement et leurs familles, les femmes et les mineurs incarcérés.

L’Acat-Tchad, selon son président, a réalisé, entre autres activités, l’organisation d’un atelier de formation initiale des groupes cibles autour du parcours judiciaire du détenu, l’élaboration et la publication d’un guide sur les garanties judiciaires du détenu en français et arabe, l’identification des cas de détention préventive abusive, le traitement des dossiers de détention préventive abusive par les avocats référents. Me Salomon Nodjitoloum ajoute qu’une séance de travail avec les autorités tchadiennes pour la mise en œuvre des recommandations relatives à l’accès à la justice et aux conditions de détention a été organisée ainsi qu’une sensibilisation de l’opinion publique par des actions de visibilité.

La statistique de personnes détenues provisoirement, en attente de leur jugement en 2018, et celle des personnes en attente de jugement au 30 novembre 2020 dans les trois zones du projet (Abéché, Moundou, N’Djaména) a été présentée, pour montrer l’impact réel du projet. Le président de l’Acat-Tchad estime que le projet a amélioré la situation des détenus. Au démarrage du projet en 2018, le nombre des prévenus et inculpés était de 2 050, soit 78,84%. A la clôture du projet en décembre 2020, il a connu une baisse sensible (1 703, soit 58,18%). Au moins 20% des détenus en attente de jugement ont vu leur situation améliorée. Si cette situation a évolué à Moundou et Abéché, à N’Djaména, par contre, elle n’a pas assez avancé. Me Salomon souligne quelques difficultés qui ont entravé la bonne marche des activités du projet. Entre autres, Me Salomon Nodjitoloum cite la pandémie du coronavirus qui a ralenti les activités pendant 8 mois, les perturbations des audiences, l’affectation des magistrats et la mutinerie de la maison d’arrêt d’Abéché.

Diverses présentations

Le procureur de la République de Moundou, Brahim Kola, présentant le cadre juridique relatif à la surpopulation carcérale, estime que la surpopulation est due aux faits du gouvernement lui-même, des magistrats, des greffiers et des les établissements pénitentiaires. Pour lui, le gouvernement devrait en cette période de Covid-19 décongestionner les maisons d’arrêt en libérant la moitié des détenus, surtout ceux dont les peines sont égales ou inférieures à 5 ans et aussi ceux qui sont détenus arbitrairement ou abusivement.

“La gestion actuelle de la justice, les établissements pénitentiaires et leur style” est le thème animé par le procureur de la République d’Abéché, Hassane Djamouss. Dans sa présentation, il suggère une perspective d’une bonne administration de la justice et des établissements pénitentiaires. Et sur le style de gestion, il observe que la justice tchadienne est gérée selon deux modèles : un style de laisser-faire et un autre bureaucratique.

En présentant “l’efficacité des dispositifs de protection des personnes détenues”,  Me Djérandi Laguerre Dionro pense que pour mieux appréhender cette question, il faut partir du dispositif juridique et le confronter à la pratique dans sa mise en œuvre. Du dispositif juridique, il se réfère à la Résolution 43/173 du 9 décembre 1988 des Nations-Unies, relative au traitement des détenues, à l’interdiction de la torture, au droit à la défense, à l’alimentation, aux soins, à la liberté de religion et à la présomption d’innocence. En plus de ces instruments internationaux, il en ajoute d’autres qui sont régionaux et nationaux. Mais dans la pratique, beaucoup de situations contraires à ce que prévoit la loi sont constatées : des détentions arbitraires continuent à s’observer dans la maison d’arrêt de Korotoro. Là, l’on retrouve des personnes qui n’ont pas été jugées, mais, totalement écartées de leur juge à de très grandes distances. D’autres encore y sont envoyées par certains gouverneurs sans passage au parquet et sans mandat de dépôt.

Les échanges ont tourné autour du droit à l’alimentation, de la surpopulation carcérale, la lenteur dans le traitement du dossier des détenus et les menaces qui pèsent sur les avocats réussissant à obtenir une libération provisoire ou définitive de leur client et l’épineuse question de la prison secrète ou prison de l’Agence nationale de sécurité (Ans). Cette prison existe, malheureusement.

Initié par la Fédération internationale des actions des chrétiens pour l’abolition de la torture (Fiacat), en partenariat avec l’Acat-Tchad, l’atelier est financé par l’Union européenne dans le cadre de Prajust II. Il a regroupé une quarantaine de participants venus du milieu judiciaire, des bénévoles de l’Acat-Tchad et des organisations de la société civile.

Résolutions et recommandations

Etendre le projet dans les autres maisons d’arrêt ; vulgariser des dispositifs de protection des personnes privées de leurs libertés ; construire les maisons d’arrêt ;  faire participer les délégations régionales et autres services connexes dans la commission de contrôle ; organiser et faciliter le suivi et la défense des personnes cibles du projet ; mettre les moyens adéquats à la disposition des agents ; faire le plaidoyer pour l’amélioration des conditions des maisons d’arrêt, assurer les soins sanitaires des détenus ; faire appliquer les textes appropriés ; doter les maisons d’arrêt de dispositifs sanitaires (kits de lavage de mains, masques, thermo flashs, gels hydro alcooliques, désinfection des cellules, etc.) ; procéder au dépistage systématique de toute la population carcérale ; etc.

Aux partenaires : appuyer le gouvernement dans la mise en œuvre de ces recommandations et de renforcer  les maisons d’arrêt en dispositifs sanitaires.

Djéndoroum Mbaïninga