Pour sa troisième participation en compétition au festival de Cannes, le célèbre réalisateur tchadien a choisi de mettre les femmes au cœur de son long métrage titré “Lingui” ou le lien sacré.
Le film a été projeté le jeudi dernier, longuement ovationné à la fin de la projection. Il est le seul film africain en compétition pour la palme d’or. C’est un film qui montre une jeune fille de 15 ans, enceinte, une grossesse non désirée qu’elle souhaite avorter mais ne peut pas. Au Tchad, l’avortement est interdit par la loi, mais également par la religion. “Au Tchad, ça fait longtemps que le droit à l’avortement est interdit. Bien entendu les deux principales religions : l’islam et le christianisme s’y opposent aussi. Et dans ces conditions-là, comment voudriez-vous qu’une jeune femme de quinze ans puisse envisager une vie sexuelle, en fait sans avoir la possibilité de disposer de son corps. C’est toutes ces questions que j’ai essayées de traiter dans ce film”, justifie son réalisateur, Mahamat Saleh Haroun, dans un entretien accordé à la radio France internationale (Rfi).
Hommage à toutes les femmes
C’est un film avec des personnages principaux féminins au premier plan. Un film féminin ou féministe ? Il répond qu’il est absolument féministe au sens ou il prend en compte les revendications de ces femmes, qui ne demandent pas grand-chose, juste choisir la voie qu’elles veulent. “A travers ce film, j’ai vraiment voulu rendre hommage à toutes ces femmes, qui m’ont entouré, depuis ma grand-mère qui est décédée, qui m’a élevé et beaucoup apporté. Une femme de caractère et je tiens quelque chose d’elle d’ailleurs. Ensuite ma mère, mes tantes, mes sœurs. Je ne suis entouré que des femmes en fait. Quand j’ai découvert cette tragédie souterraine que vivent pas mal de femmes, je me suis dit que je ne pouvais pas ne pas en parler. Et j’aime bien quand le cinéma prend comme ça à bras le corps des sujets dont les gens vivent au quotidien” ajoute-t-il. Les femmes subissent et luttent à bas bruit, parce qu’on ne leur donne pas la parole, plaide-t-il. Il conclut qu’on a de belles leçons à apprendre des femmes, si on leur accordait un peu plus de temps d’écoute. Il relève cette solidarité entre les femmes qui partagent le même destin, et qui sont dans la lutte pour un combat au quotidien, s’oppose à la confrérie, qui est dogmatique, alors que la sororité est pratique. Les femmes le vivent au jour le jour, alors que la confrérie ne donne que l’espoir d’un monde meilleur quelque part dans un ciel, ou personne ne peut apporter la preuve qu’il existe, soutient-il, avant d’ajouter : “je trouve que c’est formidable comme leçon d’humanité”.
Pour comprendre le sens de “Lingui”, Mahamat Saleh Haroun estime qu’au Tchad, c’est un précepte. C’est le vivre ensemble qui consiste en une entraide permanente, quand on est dans la même communauté, une loyauté envers les siens, une solidarité que les femmes mettent ensemble en pratique. Le lingui, dès lors qu’il est rompu, il y a conflit. Un conflit naît parce que quelqu’un ne respecte plus ce précepte. “J’aime bien ce lingui qui est très présent au Tchad. Les tchadiens savent bien de quoi je parle, c’est quelque chose que même les enfants le disent”.
Après être allé en compétition au festival de Cannes avec “Un homme qui crie” qui a obtenu le grand Prix du jury en 2010 et “Gris-gris” en 2013, il est remonté sur le tapis rouge cette fois-ci avec “Lingui” dont à l’issue de la projection, 18 minutes d’ovation lui ont été consacrées.
Pour Youssouf Djaoro, son acteur fétiche, qui a aussi joué un grand rôle aux cotés des deux héroïnes : “pour le moment, nous préférons garder le silence et attendre la délibération le 16 juillet prochain. Pas de commentaire. Le film est déjà projeté. Il est très bien apprécié et acclamé pendant de longues minutes. Ce sont des bons signes. Donc, on croise les doigts et on attend”. Attendons et croyons fermement que cette fois-ci, c’est la bonne !
Roy Moussa