Tel est le titre d’un film documentaire d’une durée de 44 minutes, produit par Diaspora initiative sociale pour le Tchad (D-Ist), en collaboration avec Wake up for your right, ainsi qu’Acat-Tchad et réalisé par Achille Ronaimou.
Le film sous-titré, s’ouvre sur Esaie Toingar, président de la diaspora tchadienne aux Etats-unis, dans une allocution solennelle, qui inscrit D-Ist dans la quête d’une solution aux problèmes de la maltraitance des employés domestiques, et de l’exode rural qui la sous-tend. Ses propos alarmants, introduisent le film à partir d’une scène dominicale habituelle dans un village, où l’on voit des visages de jeunes filles et garçons, potentiellement candidats à l’exode rural. Puis le décor change pour s’ouvrir dans une concession clôturée de secco. D’une case, sort Melle Otoimadji, l’héroïne du film, balaie en main qui se met à nettoyer la cour. Elle se narre, racontant qu’elle a 18 ans, vit dans un village de Péni, dans le département du Mandoul, et a arrêté ses études depuis quelques années en classe de 5ème, parce que ses parents n’arrivent pas à prendre en charge sa scolarité. Entre la cour de la concession, le puits du village à la recherche de l’eau, elle se retrouve à la croisée de tous les travaux domestiques et champêtres. Des scènes de vie défilent sur l’écran, montrant une vie au village, sur les vécus relatifs à la difficile cohabitation entre agriculteurs et éleveurs, la non scolarisation des filles, le traitement partisan des autorités administratives dans la gestion des conflits intercommunautaires, etc., qui s’observent dans l’arrière-pays, ainsi que l’exploitation au travail domestique qui en découlent vers les centres urbains, notamment dans la capitale N’Djaména, avec le traitement humiliant et dégradant que ces candidats à l’exode subissent. Il s’en suit divers témoignages. Ceux de Ngomdjina Guissa, chef de village de Gouroumté, Nguéralbaye Odingar, cultivateur et père de onze enfants dont les bœufs des éleveurs ont détruit son champ, et en plus ses quatre vaches en gestation volées, Djimradoum Nadjingar chef de village Nigeria, Ngarguem Noubata, vice-président de l’Association pour la prévoyance sociale et le développement (Apresod), Dobian Asngar ancien président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme, le pasteur Mardochée Nadoumngar, etc.
Otoïmadji tente de se faire une raison, quand elle voit ses amies partir en ville, envoyer de l’argent à leurs parents, pendant qu’elle est là à ne rien faire, en dehors d’aider sa mère dans ses multiples taches sans aller à l’école. Cela la révolte. Elle reçoit de N’Djaména, une photo de sa cousine Ndilmadji, partie à la recherche du travail, il y a un an. La voilà sur la photo prise à la place de la Nation, rayonnante et épanouie. Elle envoie de l’argent à ses parents et fait leur fierté. Ce qui incite sa cousine Otoïmadji à la rejoindre. Sa décision est prise. Elle partira à N’Djaména avec ou sans l’accord de son père, et met sa décision à exécution.
Tout le monde est coupable
Par ce documentaire d’une quarantaine de minutes, D-Ist entend sensibiliser les autorités politiques et religieuses, les organisations internationales, les populations tchadiennes, les potentielles victimes et auteurs des maltraitances, sur la gravité de la situation, et susciter des actions publiques. Une voix de plus n’est pas une voix de trop, quand il est question de la défense des droits humains. Les débats qui ont suivi la projection du film expriment sans détours la préoccupation des participants. Mais le constat est là et implacable: tout le monde est coupable! Depuis les parents, aux autorités traditionnelles, l’Etat, les victimes, les forces de l’ordre, les auteurs d’exploitation et de maltraitance. De l’avis général, chacun a une part de responsabilité dans ce phénomène, qui prend de plus en plus de l’ampleur, et qui n’honore pas le pays. Pour Dobian Asngar, qui a récupéré deux enfants (frère et sœur), vendus par leur propre parent, et adopté par ses soins, le garçon vient d’obtenir sa licence, tandis que sa sœur est en troisième année d’études. C’est la faillite de l’Etat qui s’observe, parce que l’Etat n’existe pas. Il indexe les auteurs de ces maltraitances à travers les généraux et autres commandants de l’armée, qui exploitent ces jeunes dans leurs jardins ou fermes. Le regard de Mbété Félix, sociologue diffère de celui de Dobian Asngar, défenseur des droits humains. Félix trouve plutôt que l’exode rural est une opportunité. Il est question de transformer cette difficulté en opportunité, et ne pas continuer à voir dans ce phénomène que du négatif. Il estime qu’il faut mettre en place des mesures préventives, au-delà du social, par des accompagnements économiques. On peut créer un village vert avec les jeunes en exode, en les payant au Smig par exemple, pour planter des arbres. Ce qui aura pour effet de reverdir le Tchad en très peu de temps. Il n’est pas question de les renvoyer au village à ne rien faire, mais plutôt les utiliser pour créer et développer des travaux d’intérêt public. Pour Tamita Djidingar, chef de canton de Dono Manga, président de l’Association des chefferies traditionnelles du Tchad, si des dispositions ne sont pas prises maintenant pour amoindrir et à termes mettre fin à ce phénomène, cela se retournera comme un boomerang. C’est pourquoi, il faut véritablement rechercher en profondeur, les causes de ce phénomène d’exode pour y trouver des solutions. Tamita observe que sur 100 jeunes candidats à l’exode, il y a 60 filles. L’explication est dans le fait des traitements que certains hommes infligent à leur femme. A l’exemple de la polygamie qui permet à l’homme d’avoir plusieurs femmes, généralement utilisées comme des bêtes de somme, dans les travaux champêtres. Ce qui les pousse à inciter leurs filles à émigrer en masse à la recherche d’une vie meilleure et rapporter quelque chose à la famille. Avec les conséquences qu’on connaît. Si des programmes sont mis en place pour permettre aux femmes de mener des activités génératrices de revenus, les mamans voudront que leurs filles restent avec elles, pour les aider à augmenter leur capital. Voilà des pistes de solutions qui peuvent permettre de maintenir les filles auprès de leur mère. Il admet que certains chefs traditionnels sont impliqués dans la vente des enfants et jeunes, et informe qu’un important travail est fait à ce niveau. Depuis 2018, il a été prévu et élaboré la charte de bonne conduite des chefs traditionnels. A l’intérieur, il y a ce que le chef doit faire et ne pas faire. Des sanctions sont également prévues dans ce document, a-t-il informé l’assistance.
Roy Moussa