“Nous avons pensé que l’enfant saurait mieux faire que le père”

A l’instar de nombreux autres tchadiens, des cadres issus des deux Mayo-Kebbi, la Tanjilé et des deux Logone ont interrogé la qualité des deux projets de loi portant restructuration des unités administratives et celui portant composition du Parlement, des incompatibilités et des indemnités parlementaires. Le 9 août dernier, ils se sont vus empêcher de tenir un atelier de validation d’un manifeste contre ces lois. Laona Gong Raoul, principal initiateur de ce symposium revient sur les motivations de cette entreprise.

Dans un sursaut patriotique, convaincus de la justesse de leur lecture vis-à-vis des lois adoptées entre les 28 et 31 juillet 2024, des cadres issus de cinq provinces de la zone méridionale du pays ont tenu à organiser un atelier de validation d’un manifeste contre leur promulgation car jugées trop inappropriées. Mais le caractère volatile de la liberté d’opinion au Tchad n’a pas permis aux instigateurs d’aller au bout de leur initiative car la manifestation a été interdite. Ils n’en démordent pas pour autant. Laona Gong Raoul, président du comité d’organisation explique ce qu’il en est véritablement. “Ce manifeste n’a pas été préparé pour attaquer le gouvernement. Non pas pour défier le gouvernement mais pour exprimer l’indignation de la population par rapport à ces deux textes, que s’ils devaient être promulgués par le chef de l’Etat consacreraient l’inégalité et l’injustice dans notre pays”, introduit-il.

Selon lui, l’attitude de la classe dirigeante à décider sans consulter les forces vives de la nation sur des questions d’envergure comme la représentation nationale relève de l’autoritarisme. “Sur des choses aussi essentielles qui engagent la vie de l’Etat, le gouvernement devait faire preuve d’ouverture en organisant des débats avec la classe politique diverse avant l’adoption de ces textes. De façon unilatérale, sans consensus comme si on était dans une dictature, le gouvernement a créé des unités administratives et a procédé à la répartition des députés et sénateurs dans ces circonscriptions. La création des unités administratives est chose normale. Mais elle doit être précédée d’études anthropologiques, sociologiques, historiques et géographiques. On ne crée pas un canton ou une sous-préfecture sans connaître le périmètre de cette circonscription. Mais le gouvernement sans concertation a transformé tous les ferricks, les cantons, villages du Nord en départements et faisant d’eux des circonscriptions électorales auxquelles on doit immédiatement attribuer un député sans tenir compte du poids démographique. Les deux Mayo-Kebbi et la Tandjilé par exemple, représentent à elles seules 18% de la population mais elles n’ont que 12% à la représentation nationale”.

Pour ce rompu de la vie politique tchadienne, l’actuel chef de l’Etat manque de clairvoyance et du leadership qui avaient habité le père. “Déby en son temps, après avoir analysé la géographie politique et électorale du Tchad, il a créé la Démocratie consensuelle et participative (Dcp). Il avait conclu qu’il ne pouvait pas gérer le pays sans associer le grand groupe Sara et le groupe Banana. Il avait partagé le pouvoir. Déby fils semble ne pas tenir compte de la géopolitique du Tchad. Depuis qu’il est au pouvoir, tous les actes qu’il a posés en termes de nomination sont clivants. Aujourd’hui avec ces lois, il est en train de parachever l’inégalité, l’injustice et l’apartheid en excluant une partie du Tchad qu’on appelle le Sud y compris un peu le Centre, pour que le pays soit à genou derrière son seul et unique clan Béri bidéyat, qui ne représente même pas 2% de la population du Tchad. Nous avons pensé que l’enfant saurait mieux faire que son père et être à l’écoute de son peuple”, tranche l’administrateur civil.

Sans surprise, les deux lois controversées ont été promulguées ce 16 août par le raïs. Bien avant leur examen par le Conseil national de transition, plusieurs intellectuels tchadiens ont sonné le tocsin quant à l’impopularité et le caractère anticonstitutionnel de ces textes en ce que, le découpage administratif ne tient pas compte de la géographie et des réalités sociodémographiques du pays d’une part, et d’autre part, la loi organique relative au Parlement présente flagramment des dispositions antinomiques au code électoral en son article 04 qui interdit les candidatures indépendantes. Or, la loi portant code électoral au Tchad consacre dans ses articles 173 et 176 la possibilité de présenter des candidatures indépendantes aux législatives. De quoi permettre aux conseillers nationaux de rejeter en bloc ces lois biaisées. Mais ces parlementaires décrétés et dont la conscience a manifestement été castrée n’ont pas la lucidité nécessaire et l’audace intellectuelle requise pour faire barrage à des textes impopulaires et mort-nés. Ils voteront, haut les mains même les lois les plus abjectes et subversives pour le bien-être du peuple tchadien. Le contraire serait perçu comme un outrage par celui qui les tient en laisse. Ce qui, immanquablement provoquera la ruine et la déchéance de plusieurs. Pauvres d’eux. Que Dieu ait pitié de leurs âmes !

Barka Bouba