Presqu’un an aux commandes du pays, le Conseil militaire de transition peine à assurer la sécurité qui se détériore au fil des jours. L’imminence d’une révolte populaire plane dans l’air, à cause de l’injustice, du népotisme, du clientélisme et de l’impunité qui se perpétuent.
Des faits et gestes barbares récents qui ne sont pas inédits révèlent aux yeux du monde que les tchadiens n’ont pas encore fini de vivre la dictature, alors que la transition enclenchée donne l’impression au peuple que les choses devraient changer. Mais ce qui guette aujourd’hui le pays, c’est une imminente révolte populaire à cause des actes barbares que posent ceux qui sont aux commandes du pays. La violence sous toutes ses formes infligées aux populations n’a que trop duré et celles-ci ont espéré qu’avec le changement, quoique minime, intervenu à la tête du pays, allait améliorer le système de gouvernance. Mais la réalité est toute autre. Aucun changement manifeste allant dans le sens du bien-être des populations. Très vite, l’on s’est heurté à des militaires qui étaient pourtant des hommes de service de celui qui aura tenu d’une main de fer ce pays durant trois décennies, avec un bilan des plus catastrophiques. Presqu’un an de transition dirigée par les militaires, les démons de feu Maréchal n’ont pas quitté les habitudes des héritiers du pouvoir. On va de mal en pire en comptant le nombre croissant des morts sous les canons de ceux qui justifient leur raison d’être par la sécurité et la stabilité du Tchad et de sa population. Pourtant, le premier des trois principaux axes justifiés par la prise du pouvoir transitoire du Cmt est “le renforcement de la sécurité et de la défense nationale”. Paradoxalement, on comprend très mal que c’est sous les propres canons de ceux qui sont censés assurer la sécurité que les citoyens tombent. Depuis l’avènement du Cmt, des dizaines de citoyens sont abattus parce qu’ils expriment leurs mécontentements face aux actes contraires à la volonté populaire. En effet, pas plus tard que la semaine dernière, des manifestations pour revendiquer la justice et la dignité ont été violemment réprimées à N’Djaména et dans certains provinces. Bilan : des blessés parmi lesquels une jeune femme y a laissé son œil. Cette manifestation du peuple du sud fait suite à un massacre dont sont victimes les populations du village Sandanan, attaquées par un groupuscule d’éleveurs armés d’armes de guerre. Cette attaque qui n’est rien d’autre qu’un acte de terrorisme a fait au total 13 morts. Le 24 janvier 2022, la population d’Abéché a été aussi endeuillée au cours d’une manifestation qu’elle a organisée pour exprimer son refus de l’établissement d’un canton. Les forces de défense et de sécurité ont tué 21 personnes, blessé 82 et opéré plus de 300 arrestations selon un bilan provisoire effectué par l’Association socioculturelle et éducative pour le développement du Ouaddaï (Ascedo). Depuis la prise du pouvoir par le Conseil militaire de transition, des évènements sanglants ne cessent de se succéder. Si ce ne sont pas les forces de l’ordre et de sécurité qui sont à l’origine du sang versé, ce sont des individus hors-la-loi jouissant de la protection des autorités qui arrachent impunément la vie à d’autres citoyens. Et chaque fois que ces évènements surgissent, les autorités les gèrent politiquement et sans trouver des solutions justes pour rendre justice aux victimes. Les populations d’Abéché par exemple ont manifesté contre un canton que l’autorité a voulu leur imposer, mais le gouvernement a dépêché quelques-uns parmi ses membres pour se rendre sur les lieux de la tragédie pour faire signer des accords boiteux de non-agression entre les communautés. Comme si c’était un conflit entre ces communautés ou que les accords sont plus forts que les lois existantes de la République qui doivent régir toute la vie en société. A Sandanan aussi, c’est pareil. Alors qu’il s’agit d’une attaque barbare et armée d’un groupuscule contre des paisibles villageois, le gouvernement qui a dépêché une délégation sur les lieux du drame évoque un conflit intercommunautaire. Il n’en est pas un. Pourquoi le gouvernement s’obstine à modifier une réalité qui s’observe à l’œil nu ? Ce sont des violences vécues des décennies par les populations qui se perpétuent aujourd’hui avec les mêmes hommes à la gâchette facile.
L’accroissement du népotisme et du clientélisme
La bonne gouvernance et l’Etat de droit constituent le troisième axe de la transition que dirige le club des généraux. Mais rien allant dans ce sens n’a été posé comme acte ou volonté de changement pour l’amélioration de la gouvernance. Depuis l’installation du Cmt aux commandes, le népotisme et le clientélisme s’accroissent. Le président du Conseil militaire de transition s’est entouré des siens. Toutes les nominations tournent autour des mêmes personnes ayant servi son père des décennies durant. Et toutes les tendances servent à vouloir conserver les privilèges, les avantages et même le pouvoir d’une minorité arrogante qui se croit tout permis. Aujourd’hui, tiennent les postes clés de responsabilité des gens dont la consonance de nom reflète une même famille, un seul clan ou un même réseau. A la sécurité par exemple, c’est une affaire de famille. Les nominations à des postes de responsabilité obéissent à l’appartenance au clan ou à une famille proche si ce n’est aux copains et coquins. Si ces hommes qui ont entouré le Maréchal durant trois décennies avaient en souci le développement du Tchad, le pays des Sao ne serait plongé dans la catastrophe actuelle. Dans les provinces et dans l’administration territoriale, les mêmes pratiques claniques commandent les nominations des sous-préfets, préfets et gouverneurs non qualifiés alors que des administrateurs formés tournent les pouces sous des arbres. Et ce sont les administrateurs analphabètes qui font la pluie et le beau temps sur les pauvres citoyens qui croupissent sous une pauvreté extrême. Le Cmt s’est inscrit dans la continuité de l’asservissement du peuple et on se demande aujourd’hui de quels bonne gouvernance et Etat de droit on gazouille à longueur de journée ?
L’imminence d’une révolte populaire
Au regard de l’indignation et des soulèvements observés ces derniers temps contre la barbarie et l’injustice dans lesquelles s’illustrent, non seulement les autorités mais aussi des individus se croyant intouchables et ayant le droit de la vie ou de la mort sur d’autres, les changements de mentalité sont perceptibles. Ils sont orientés vers une révolte populaire. Au rythme où l’on va, si le peuple parvient à comprendre qu’il est en train de se faire manipuler et qu’il réussisse à identifier le mal commun qui le ronge depuis toujours, la révolte ne serait qu’une question de temps. Puisque le peuple ne saura plus sur qui compter pour assurer sa quiétude, il n’hésitera pas à recourir à une révolte populaire.
Nadjidoumdé D. Florent