Le directeur délégué de l’Institut français du Tchad (Ift), Pierre Muller est en fin de séjour au Tchad. Avant de mettre le cap sur le Burkina Faso, sa future destination, il a volontiers accepté, à travers les colonnes de N’Djaména hebdo, de jeter un coup d’œil rétrospectif sur les actions posées. Mais aussi relever les perspectives qui s’offrent au Tchad.
En trois ans de séjour au Tchad, quelle évaluation pouvez-vous faire de l’accompagnement des artistes au Tchad ?
L’Institut français du Tchad accompagne et a accompagné les artistes tchadiens. Notre propos durant ces trois ans, aura été de leur fournir les moyens financiers, pour qu’ils puissent finaliser leur projet, mais aussi les aider dans des formations, leur permettre d’aller à l’extérieur se former et autant que possible les soutenir à être présents dans des festivals, tournées et concerts qui se déroulent hors du pays. C’est cela l’idée de notre action, qui est de renforcer les soutiens et favoriser le cadre de coproduction. L’Institut français est un intervenant sur le marché de la culture, mais pas l’unique. Nous avons fait un accompagnement avec le ministère de la Culture, qui nous a aidés, mais aussi avec des entreprises privées et d’autres centres à l’étranger, qui demandent des soutiens, à qui nous répondons que notre soutien est conditionné par le partage des coûts. L’idée aujourd’hui, c’est d’avoir une place plus importante qu’en 2018, en termes de soutien matériel, mais de privilégier des soutiens qui soient coproduits, pour permettre au plus grand nombre d’artistes de s’exporter et de se professionnaliser petit à petit.
Quelles sont les disciplines qui ont tendance à se détacher du lot pour émerger ?
Quand j’ai pris mon poste en 2018, on parlait essentiellement de la danse. Il y avait effectivement un gros effort qui avait été fait, autour du festival Souar Souar, pour promouvoir la danse contemporaine. Je ne dirais pas qu’on a remis en cause cela, mais ce que j’ai essayé de faire, c’est de rééquilibrer les choses. De permettre à la fois à la musique, aux artistes-chanteurs, comédiens, cinéastes d’avoir des moyens pour aller au bout de leur projet. Je n’ai pas un art qui va sortir du lot. Je dirais plutôt qu’il y a des artistes de qualité dans toutes les disciplines. Ce qui manque aujourd’hui au Tchad, ce sont effectivement des institutions publiques-privées qui fassent confiance aux artistes. Ce qui résumera le mieux mes trois années, c’est que si j’ai pu à un moment donné avoir un rôle, c’est parce que j’ai fait confiance au pouvoir de créations d’artistes. En leur donnant les moyens et en leur disant vous avez le pouvoir, faites, allez-y, on vous accompagne, vous avez des partenaires, etc. Et il y a eu de très beaux spectacles au bout. Je pense notamment sur les empreintes des Sao de Guy Sultan, à la carrière émergeante et fort légitime d’Abdoulaye Nderguet, au soutien qu’on apporte à Mounira, Mélodji, à Bonaventure (théâtre) qui est actuellement en France, ainsi qu’à Apollinaire Dof (plasticien), aux jeunes cinéastes tchadiens qu’on a amenés vers des stages, etc. L’idée n’est pas de dire on privilégie tel art par rapport à l’autre, mais j’essaye autant que possible de rééquilibrer les choses.
Dans la réalité culturelle tchadienne, on se rend compte qu’effectivement il y a plus de musiciens que de cinéastes et donc proportionnellement, l’effort qu’on a cru voir apparaître a principalement concerné la musique, mais la masse globale des artistes tchadiens, tourne autour de la musique et de la chanson.
Les problèmes de moyens, de formations et d’infrastructures reviennent le plus souvent. Quel est votre avis à propos et comment les solutionner ?
Il n’y a pas cinquante manières de trouver des solutions. Tous les artistes tchadiens sont des autodidactes. C’est vrai qu’ils ont appris par eux-mêmes leur métier, leur art. Et ils sont vraiment très résilients, ils croient en ce qu’ils font et en dépit des moyens qui leur sont donnés. Aujourd’hui, il y a très peu de moyens qui sont alloués aux artistes tchadiens, trop peu en venant de la sphère publique, trop peu du secteur privé. Donc, la solution réside d’abord dans les institutions. Il faut que les institutions culturelles (musicales, de danse, théâtrales, …) qui sont gérées sous forme d’associations aient des moyens pour vivre, entretenir leur troupe et permettre aux artistes de répéter dans de bonnes conditions. Il y a aussi un autre secteur sur lequel il est absolument fondamental d’intervenir à l’avenir, c’est la formation initiale. Nous sommes dans un pays où il n’y a pas d’apprentissage des arts dans les écoles. A l’université, il n’y a pas non plus de formation spécifique, ni de conservatoire de musique ou de théâtre. Toute chose qui peut exister dans des grands pays africains où la culture joue un rôle fondamental. Ce qui est important, c’est que tous les acteurs, publics comme privés, prennent conscience que la culture est un facteur de développement, de paix et d’unité du pays. Il faut investir dans la culture au travers des budgets qu’on alloue aux artistes, leur faire confiance, mais aussi créer et développer des institutions de formation, pour permettre à ceux qui, aujourd’hui, ont appris par eux-mêmes, de transmettre ces connaissances, de façon à créer de nouvelle génération d’artistes au Tchad.
Finalement qu’est-ce que vous emportez avec vous de la production artistique tchadienne ?
J’emporte avec moi plein de beaux souvenirs, surtout de belles rencontres avec des artistes que j’ai appris à connaître, et que je considère comme mes amis. J’espère que la réciproque est vraie aussi. Ce sont des moments de danse, de théâtre, de musique, qui restent dans ma mémoire et le plus important, est que ce sont des moments de partage. J’ai beaucoup apprécié un grand nombre de spectacles ici à l’institut ou en dehors.
S’il vous est demandé un message ou conseil à formuler à l’endroit des artistes, que leur diriez-vous?
Je crois qu’il faut surtout continuer de travailler, travailler et encore travailler. Avoir confiance, aller chercher des moyens, croire en leur art. Au Tchad, il y a de vraies pépites, des personnes qui doivent effectivement à tout prix émerger et éclater sur le marché de l’Afrique. Et aussi avoir une vraie carrière internationale. Ils en ont les capacités. Maintenant, il faut que les structures publiques et privées les accompagnent. Les entreprises ont un vrai rôle social à jouer et doivent considérer la culture comme quelque chose de fondamental. Les artistes doivent croire en leur étoile et continuer de travailler. Aujourd’hui, on peu se faire connaître par le biais du numérique et des réseaux sociaux, sans pour autant se déplacer physiquement. Tout cela suppose effectivement beaucoup de travail. Le marché de l’art est devenu un marché extrêmement compétitif. Il y a des pépites qui émergent partout à travers le monde, et il faut savoir créer sa différence. Ce qui permet de repérer l’artiste, à travers son travail de créativité qui, paie toujours un jour. Les artistes tchadiens doivent forcer leur destin pour se faire connaître dans le monde.
Interview réalisé par Roy Moussa