De nombreuses familles peinent à respecter l’un des gestes barrières, notamment le lavage régulier des mains avec du savon à cause des difficultés d’accès à l’eau potable. Depuis l’apparition du coronavirus, la solidarité entre voisins a pris un coup.
Dans la concession où habite Cédric M., père de famille de huit personnes, l’eau est une denrée rare. Il vit dans un carré du quartier Moursal, dans le 6ème arrondissement de la commune de N’Djaména. Pour avoir suffisamment d’eau, il prévoit 1000 francs chaque jour, pendant cette période de canicule. Ainsi, chaque mois, il dépense 30.000 francs CFA, rien que pour la consommation d’eau pour sa famille.
Vivant dans une maison en location, Cédric n’est pas le seul père de famille à manquer d’eau potable dans cette concession. Quatre autres familles, en plus du propriétaire de la concession et les siens peinent à installer le robinet de la Société tchadienne des eaux (Ste), faute de moyen. Les familles vivant dans cette concession dépensent d’importantes sommes d’argent pour s’approvisionner en eau potable. A défaut d’argent, elles dépendent des robinets ou des forages des voisins. Dans ce carré, aucun don de forage d’un particulier ou d’un quelconque organisme de bienfaisance n’est fait, comme c’est le cas dans d’autres carrés et quartiers pour faciliter l’accès de l’eau à la population. Nombreuses sont ces familles qui comblent leur besoin en eau grâce à la solidarité de leurs voisins. Mais en cette période de canicule et dans ce contexte de crise sanitaire dû à la pandémie de Covid-19, il est évident que la consommation d’eau augmente. Un calvaire se vit dans ces familles, en pleine capitale, qui manquent d’eau potable. Pour des familles où l’accès à l’eau est un chemin de croix, se laver les mains régulièrement comme une des mesures de prévention contre la maladie à coronavirus, est hors de leur portée, explique Cédric M. Dans ce bloc, des enfants courent le risque d’être renversés par des automobilistes en traversant, sous un soleil ardent, la grande voie pour rechercher de l’eau, de l’autre côté. Dans certains quartiers tels que Paris-Congo, Ridina, Ardep-djoumal, Amriguebé, Chagoua, Dembé Abena et bien d’autres, l’accès à l’eau demeure toujours difficile. Dans ces arrondissements, beaucoup de familles manquent de robinet de la Ste. De rares hommes politiques (députés) ont doté leurs voisinages de forage. L’un d’eux a fait un don de forage devant le domicile d’un chef de carré au quartier Moursal. Cet unique forage soulage les habitants du carré composés en grande partie des démunis.
L’eau et l’électricité demeurent un luxe. Puiser de l’eau chez les voisins, faire la queue devant un forage ou l’acheter sont trois options bien contraignantes qui s’offrent aux familles. Mais depuis l’apparition de la pandémie du coronavirus, la peur du voisin plane dans l’air. Les voisins fournisseurs d’eau se réservent à laisser entrer tout le monde chez eux. Une mesure de protection de leurs familles. La solidarité et la sociabilité d’antan ont disparu. Elles font place à un nouveau comportement de vie en société teinté de méfiance. “Il faut comprendre que beaucoup de familles ont des difficultés d’accès à l’eau potable dans cette capitale. En tant que voisin, compte tenu de nos relations, et au nom de la solidarité, je permets à mes voisins qui n’ont pas de robinet chez eux de s’approvisionner en eau chez moi. Mais face à la pandémie, j’ai interdit qu’ils envoient des enfants par mesure de prévention”, se défend André M., père de famille. Assis ce soir du 21 mai sous un arbre devant sa maison, il dispose d’un kit de lavage des mains à l’entrée de la concession. Les grandes personnes qui viennent puiser de l’eau ou de simples visiteurs, sont astreints à se laver les mains avant d’accéder à l’intérieur. En plus, il a décidé que les voisins ne s’approvisionnent de l’eau que matin et soir.
Dans certains quartiers, c’est grâce aux églises et mosquées que les habitants parviennent à trouver de l’eau pour leur consommation.
Une eau de mauvaise qualité
Si beaucoup de familles dans la capitale souffrent pour avoir accès à l’eau potable, celles qui en jouissent déplorent parfois la qualité. “Il y a des jours où vous ne pouvez pas prendre de l’eau du robinet et la boire directement. On constate de petites particules, quelque sorte de rouille qui donne une autre couleur à l’eau. Parfois, il y a du surdosage de la javel”, constate une femme. Un constat qui se généralise dans les ménages abonnés de la Société tchadienne des eaux. Certaines familles se voient obligées de se doter d’un filtre pour traiter elles-mêmes l’eau à boire. Ces remarques corroborent les difficultés évidentes de la Ste dans la production de l’eau potable et de la maintenance de ses ouvrages. Cela a fait l’objet d’une réunion en 2018, de la direction technique de la société tchadienne des eaux. Au cours de cette réunion, les responsables du service production et maintenance des ouvrages avec leurs sections ont exposé leurs difficultés liées au traitement de l’eau. “Sur les 31 stations de pompage de N’Djaména, 10 ne sont pas clôturées. Sur les 36 forages répartis dans les 31 stations de pompage, 28 sont équipés et opérationnels dont 19 abrités, 4 sous un abri sans toiture et 5 ne sont pas du tout abrités”, liste le compte-rendu de la réunion technique. Pour les techniciens de cette société, ces manquements relevés dans le compte-rendu présentent un risque considérable pour la protection des stations de pompage qui manquent par ailleurs d’éclairage. “L’entretien des stations fait défaut par manque de matériels et produits de traitement. Les tuyauteries (conduites et colonnes) ne sont pas protégées par la peinture antirouille qui leur sert de protection et d’embellissement. Pas d’accès au niveau de certains châteaux par manque d’échelle; l’inondation des stations présente un risque de contamination pour les forages. Manque d’accessoires d’entretien et des consommables tels que les filtres à gasoil, etc.”. Dans ce document qui répertorie les difficultés de la Ste, on note un taux faible de réalisation de test pour les analyses physico-chimiques (54,54%) et 66% pour les chloroformes. Les techniciens annoncent que la situation est bien pire dans nos provinces. Ces manquements graves expliquent à la base la mauvaise qualité de l’eau que fournit la société tchadienne des eaux. Deux ans après ce constat, la situation n’a guère évolué, du moins, positivement. Mais il est probable qu’elle se soit empirée.
Nadjidoumdé D. Florent.