Après plus de deux mois de suspension des cours, les autorités en charge de l’éducation et le comité de gestion de crise sanitaire ont été sommés par le président Déby de chercher des voies et moyens pour une réouverture des classes et campus. Pas à n’importe quelles conditions, selon le Syndicat des enseignants du Tchad.
Idriss Déby Itno a été tranchant dans ses propos, il faut sauver l’année scolaire et académique 2019-2020. Lors d’une rencontre tenue le 27 mai dernier avec les membres du Comité de gestion de crise sanitaire auxquels se sont joints les ministres en charge de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur, il a appelé ces derniers à travailler en étroite collaboration avec le ministère de la Santé publique et le Comité scientifique pour trouver les voies et moyens pouvant sauver l’année scolaire 2019-2020. Le président Déby va plus loin en leur demandant de proposer un plan de sauvetage qui doit-être soumis ce mercredi 3 juin 2020. Ce plan, selon le chef de l’Etat privilégiera une reprise progressive des cours si les conditions sanitaires le permettent.
Quels vont donc être les scénarios possibles à proposer au chef de l’Etat? Pour certains spécialistes de l’éducation, il faut capitaliser les acquis des deux premiers trimestres de l’année 2019-2020 pour permette aux élèves de passer en classe supérieure. Ceux des classes d’examens (terminale et 3ème) reprendront les cours en ce mois de juin et passeront les examens vers le milieu du mois de juillet. “Ce scénario ne va pas sans risque car il contribuera sans nul doute à la baisse de niveau des élèves tchadiens déjà décriés par beaucoup d’observateurs”, rétorque un pédagogue sous le couvert de l’anonymat qui estime qu’il faut un volume de 675 heures pour valider une année scolaire. Ce qui est loin d’être le cas si ce scénario venait à être accepté par le président de la République. D’autres pensent qu’un scénario consistant à un appel à une reprise des cours de tous les niveaux à partir du mois de juin jusqu’à la fin de juillet avec le mois d’août pour les différents examens. Mais du fait de l’état précaire de certaines salles de classe (construites en paille ou secco) dans les milieux ruraux, ce scénario a très peu de chance d’aboutir. Au ministère de l’Education nationale, personne n’a voulu s’exprimer sur cette question malgré notre insistance. Du côté du Syndicat des enseignants du Tchad (Set), les langues se délient. Dans un communiqué signé de son secrétaire général Mbaïriss Ngartoïde Blaise, et rendu public le 28 mai 2020, le Set “rejette dans un premier temps toute idée d’une année blanche ou invalide et propose une synergie d’actions pour la sauvegarde de l’école tchadienne”. Dans un second temps, Mbaïriss Ngartoïde Blaise pense à un scénario en deux temps distincts: “dans un premier temps, les gens doivent s’arranger à ce que les élèves des classes d’examens, notamment ceux de terminale et de 3ème reprennent les cours. Et il sera possible d’organiser les examens sous la pluie ou attendre la fin des pluies. Dans une situation de crise comme celle-ci, nous n’avons pas à penser à la pluie. Nous sommes à deux jours du mois de juin (Ndlr : l’entretien a été réalisé le 28 mai 2020), s’il y a reprise, cela veut dire que nous avons encore un mois de cours. Dans l’ancienne école, même les cours prennent fin le 30 juin donc ça veut dire que nous avons un mois ferme de cours. Avec une exclusivité des classes d’examen pour observer toutes les mesures barrières et la distanciation sociale. Et il faut aussi mettre à disposition l’eau de javel avec les gels hydro alcooliques pour les élèves et les enseignants. A la fin du mois de juin, on aura fini avec les classes d’examen. Le mois de juillet et une partie du mois d’août seront mis à profit pour organiser les examens (Bac et Bef). Dans un second temps, au lieu de lancer la rentrée scolaire 2020-2021 à partir du 15 septembre, il faudra plutôt appeler à une reprise des cours pour les classes intermédiaires jusqu’à la fin du mois d’octobre. Les classes intermédiaires seront soumises à des cours intenses de quatre à six semaines à partir de septembre pour combler le reste du volume horaire annuel requis pour valider une année scolaire. Ce qui règlera la question des cours restants avec les classes intermédiaires. En novembre, commencera une année nouvelle. Dans une crise, les choses normales n’existent pas, il faut faire un scénario acceptable par tout le monde”. Tout cela est possible à la condition que “le ministère de la Santé publique certifie que l’évolution de la pandémie est sous contrôle”, avertit le Sg du Set. Un bémol tout de même si ce scénario venait à être accepté par les plus hautes autorités. “Avec la suspension des cours, beaucoup d’enseignants ont regagné leurs familles. Le retour à leurs postes posera problème. Dans la réflexion que nous sommes en train de mener, nous pensons qu’il faut mettre des moyens à la disposition des enseignants pour faciliter leur retour surtout ceux qui iront dans des endroits reculés comme Faya ou Baïbokoum. Si reprise il y a, il faut qu’elle soit effective sur toute l’étendue du territoire. Il y aura aussi un autre problème surtout dans les milieux ruraux où les élèves étudient sous les hangars déjà détruits par les termites ou les tornades des premières pluies. Dans une crise, tout n’est pas normal, il peut y avoir des gagnants et des perdants. Si on peut sauver les choses à hauteur de 80%, ça ne serait pas mal”, ajoute-t-il. Mais quel que soit le scénario envisagé, aucune date précise n’a été proposée. On joue à la carte de la prudence.
Un échec de l’enseignement en ligne
Dans une note relative aux pistes d’une éventuelle réouverture des établissements scolaires et universitaire de l’année académique 2019-2020, le Syndicat des enseignants du Tchad “note de nombreuses insuffisances et des limites de l’enseignement à distance” qui “ne peut garantir ni la qualité souhaitable des apprentissages, ni l’équité et encore moins l’inclusion telles que stipulées dans l’objectif du développement durable 4 consacrée à l’éducation”. Ce résultat est le reflet des inquiétudes émises avant la mise en œuvre de l’enseignement à distance. “Nous avons émis des inquiétudes car le contexte tchadien ne permet pas que tous les élèves aient les moyens techniques pour suivre ces cours. Le résultat de cet enseignement en ligne nous donne raison. C’est un échec”, affirme le Sg du syndicat des enseignants du Tchad. Aussi, le syndicaliste pense qu’on ne serait pas arrivé là si les techniciens et partenaires sociaux du ministère de l’Education nationale avaient été associés. “C’est regrettable, mais on aurait dû nous associer dès le départ à la prise de décision de suspendre les cours. Au début de la crise, il n’y a que N’Djaména seule qui a enregistré des cas de Covid-19, les provinces n’étaient pas encore touchées. On aurait dû gagner les provinces en termes de dispensation des cours. Il fallait isoler la capitale, suspendre les cours et laisser les provinces continuer. Malheureusement, les techniciens et les partenaires sociaux que sont les syndicats ne sont pas associés à la décision qui est tombée. Et c’était une décision politique. Si on nous avait associé à la réflexion, on aurait dû faire des propositions. On a mis sur pied une commission technique qui a retenu la dispensation des cours en ligne”. Et avec le résultat qu’on connait!
Togmal David