En visitant les lieux de détention de l’Agence nationale de sécurité (Ans), la délégation de la Commission nationale des droits de l’homme (Cndh) ne constate rien de grave. Dixit un rapport produit à cet effet.
Un rapport parvenu à notre rédaction renseigne que le vendredi 4 décembre 2020, le président de la Cndh, Djida Oumar Mahamat et une délégation de quatre commissaires, ont visité les lieux de privation de liberté au sein de l’Agence nationale de sécurité (Ans), conformément au mandat de cette institution qui est celle de protéger et promouvoir les droits de l’homme en République du Tchad.
Selon le rapport, la délégation a été accueillie par le directeur du cabinet du directeur général de l’Ans. Un échange préalable entre le président de la (Cndh) et le directeur général de l’Ans Ahmat Kogri a eu lieu avant la visite des lieux. Par la suite, le Dg de l’Ans reçoit la délégation en compagnie d’un de ses collaborateurs. Il leur présente son institution avec ses missions. “L’Agence nationale de sécurité a pour attributions de rechercher, recueillir et exploiter les informations touchant à la sécurité et à la sûreté de l’Etat, détecter, prévenir et anticiper toute action subversive et de déstabilisation, dirigée contre les intérêts vitaux de l’Etat et de la nation, en liaison avec les autres services ou organismes”, dit Ahmat Kogri. Par conséquent, l’Ans a l’obligation, en tant qu’institution, de communiquer sur les missions de l’institution, mais pas sur ce qui s’y fait compte tenu de la spécificité de l’institution, poursuit-il. Il ajoute qu’en fonction de cette spécificité, ses méthodes de travail ne sont pas les mêmes que celles des officiers de la police judiciaire, mentionne le rapport. Le directeur général fait sourire et endort la délégation de la Cndh en envisageant organiser des journées portes ouvertes pour permettre aux citoyens de comprendre davantage les tâches à eux assignées pour qu’ils ne traitent plus l’Ans de tous les noms d’oiseaux sur les réseaux sociaux. “Le directeur général a justifié la détention de certaines personnes qui sont condamnées et qui doivent purger leurs peines, mais qui compte tenu des menaces qui pèsent sur eux, sont confiées à l’Ans par le parquet”, poursuit le rapport. La visite peut commencer.
Deux agents de l’Ans organisent la visite guidée de la délégation de la Cndh. Direction, premier site situé entre le ministère de l’Eau et la Grande imprimerie du Tchad. Le responsable dresse un état des lieux de détention et explique le fonctionnement. “Le service n’éprouve pas de difficultés dans l’accomplissement de sa tâche”, se réjouit-il. Le chargé des cellules affirme que les détenus mangent régulièrement et le repas est varié. Pour lui, “ils mangent deux moutons tous les deux jours et un bœuf toutes les deux semaines. Les lieux sont salubres et avec un minimum de couchage nécessaire (couvertures, moustiquaires)”, note le rapport. “Une vingtaine d’hommes en tenue assurent la sécurité des lieux. Le service dispose d’une infirmerie et d’une caisse pharmacie et d’un magasin de stock de vivres. Deux techniciens de santé sont en poste. Ils assurent le service en permanence et disposent d’une ambulance pour les cas d’urgence. Au besoin, ils réfèrent les malades à l’hôpital de la Renaissance et travaillent en étroite collaboration avec un Cabinet médical privé pour certains cas compliqués”, rapporte le président de la Cndh.
En plus du premier site, quatre autres cellules sont visitées. “Elles sont spacieuses et équipées de ventilateurs. Ce sont des cellules d’une surface de 12 m2 qui accueillent deux ou trois personnes. Sur le site situé au sud-ouest des bâtiments de la direction générale de l’Ans, la délégation a visité deux cellules de 20 m2. Celles-ci, selon le rapport, accueillent 5 personnes : 2 et 3 par cellule. Les autres cellules sont vides.
Enfin, la délégation a visité l’ancien site de l’Ans sis au rond-point de la Grande armée, non loin du siège de la Commission du bassin du lac Tchad (Cblt). Elle constate que les locaux sont vides et qu’ils auraient été rétrocédés contre un franc symbolique à l’ambassade d’Arabie Saoudite.
Ainsi, sur les 15 détenus rencontrés par la délégation pendant la visite, certains ont été condamnés et sont en train de purger leurs peines ; d’autres y sont pour des motifs d’enquête. Les motifs des arrestations varient : “trafic et traite d’êtres humains, trafic d’armes, de munitions, rébellion, terrorisme et complicité de terrorisme”, précise le rapport. En plus, “les prisonniers affirment tous être bien traités même s’ils n’ont pas de contacts avec leurs familles. Tous déclarent n’avoir pas fait l’objet de tortures (aucune trace de torture n’a effectivement été constatée)”.
“Des détenus bien traités”
“Contrairement aux informations diffusées sur les médias et relayées par les réseaux sociaux, faisant état de mauvaises conditions de détention et de traitements inhumains dans les lieux de détention de l’Ans”, cite le rapport, la visite de la délégation de la Cndh n’a rien constaté de grave. “Les conditions actuelles de détention sont acceptables dans la mesure où les pensionnaires sont pris en charge tant du point de vue médical, de la restauration et de la conformité des cellules aux normes standard”. Elle recommande à la direction générale de l’Ans de communiquer sur ses missions somme toute légitimes afin de la démystifier et d’instaurer une confiance entre les citoyens et leur institution; prendre des mesures pour démasquer les faux agents de l’Ans qui écument les bureaux, les lieux publics et la société tchadienne et recadrer la pratique des activités de certains agents de l’Ans.
En rappel, courant octobre 2020, la Convention tchadienne de défense des droits humains (Ctddh) avait publié un communiqué de presse faisant mention de l’existence d’une prison ou de prisons secrètes au sein de l’Ans. Le même communiqué de presse avait également mentionné de mauvaises conditions de détention, de traitements inhumains et dégradants des détenus. A la suite de ce communiqué de presse, le ministre de la Justice avait réagi. Le garde des sceaux, chargé des droits humains avait reconnu l’existence des lieux de détention et a affirmé que les détenus y étaient “bien traités”. Cette réaction du ministre a provoqué l’ire des anciens détenus qui sont Dingamnayel Nely Versinis et Daniel Ngadjadoum qui ont affirmé sur les médias avoir fait l’objet de traitements inhumains.
C’est suite à ces allégations de violations de tortures et de violations des droits que le président de la Cndh a déclaré que “si les détenus ne peuvent avoir droit à des visites de leurs familles et de leurs conseils, cela constitue une violation des droits de l’Homme qui mérite d’être suivie”. D’où la demande de visite des sites des détenus de l’Ans a été adressée à son directeur général et a obtenu son avis favorable.
Bien belle cette littérature de la Cndh qui semble, ces derniers temps, vouloir faire bouger les choses. Mais on aurait aimé que de telle visite soit plutôt inopinée pour constater la véracité des faits. En parcourant ce rapport, beaucoup peuvent deviner que l’Agence nationale de sécurité s’est minutieusement préparée avant d’accueillir la délégation de la Cndh. Toutefois, oser c’est déjà mieux.
Djéndoroum Mbaïninga