“C’est du Débyisme sans Déby”

Le nouveau président du parti “Les Démocrates”, le Professeur Avocksouma Djona Atchnémou explique à l’opinion son nouveau choix, ses raisons, et donne son avis sur l’actualité : le Dialogue national inclusif en préparation.

  Finalement après avoir claqué la porte à l’Undr, le Pr Avoksouma est devenu le président du parti les Démocrates, un parti quasiment méconnu. Pourquoi ce choix et comment présenter ce parti ?

Merci pour l’occasion que vous me donnez de présenter ce parti.  C’est un très jeune parti qui est reconnu officiellement le 11 novembre 2021, il y a juste un mois (Ndlr : entretien réalisé le 22 décembre). Ce sont des jeunes qui l’ont créé, sans que je n’y sois mêlé. Mais j’ai été séduit par leur démarche, quand ils m’ont sollicité pour le présider, au motif qu’ils ne sont pas disponibles pour le faire. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté de m’assumer et prendre sur moi cette responsabilité. Ensuite il y a sa philosophie, qui est essentiellement démocratique. Il a comme idéologie “la social démocratie” qui convient totalement à ma conviction. Ce qui est bien, c’est un parti jeune, tout neuf et je pense qu’avec beaucoup de travail, on finira par lui donner le contenu et la consistance nécessaire. Ce sont ces raisons qui m’ont amené à accepter de présider son destin.

  Qu’est-ce que ce parti propose comme programme politique ?

Il propose la social-démocratie. C’est-à-dire que nous devons convaincre la majorité de la population tchadienne à aller dans le sens de la démocratie. C’est un parti qui est pour l’alternance démocratique à proprement parler. C’est un parti qui milite du côté du peuple, de la jeunesse, des femmes et qui se bat pour la question du Genre. Je pense que c’est un parti qui est orienté vers le développement socioéconomique et je suis de ceux qui pensent que le pays aujourd’hui est très divisé, non seulement sur le plan de la cohésion, mais aussi de l’inéquité entre les riches et les pauvres. Ceux qui sont riches sont très riches et ceux qui sont pauvres sont très pauvres. Il va falloir se battre pour réduire cet écart, car qui vit dans ces conditions va à la catastrophe, parce que vous allez vous rendre compte que la grande majorité de la population n’a absolument rien. Et quand une grande majorité de la population n’a rien, la cohésion n’est plus possible. Un pays où 80% de la population ne sait ni lire, ni écrire, est un pays dangereux. Vous l’avez aussi constaté qu’à chaque fois qu’il y a un soi disant conflit intercommunautaire, derrière cela, il y a la pauvreté. Parce qu’en fait les gens qui utilisent les uns et les autres, n’ont rien à voir avec la paupérisation de la population. Les véritables éleveurs ne sont pas là, ce sont les bouviers qu’on prend pour faire affronter des paysans, alors que ceux qui téléguident cela sont des généraux, colonels, gouverneurs, etc. qui vivent dans la capitale. Tout cela ne dit absolument rien de bon, je ne suis pas très optimiste dès lors que nous n’abordons pas les véritables questions de développement de ce pays.

  Tous les partis politiques au Tchad en fait se revendiquent de la social-démocratie, depuis le Mps au pouvoir jusqu’à ceux de l’opposition. Comment comptez-vous faire la différence dans cette arène ?

La différence c’est dans l’action. Je ne peux même pas comprendre et croire un seul instant qu’un parti comme le Mps se dise de la social-démocratie. Il est au pouvoir depuis plus de 31 ans, qu’a-t-il fait ? Quand vous êtes de la social-démocratie, on travaille essentiellement sur le plan social. Qu’est-ce qui a été fait sur le plan social ? Lorsque vous regardez les indicateurs, nous sommes au rouge. Ce sont les taux de mortalité maternelle et infantile les plus élevés au monde, également le taux d’analphabétisme, le climat des affaires est des plus exécrables qu’il soit. Quand vous regardez l’écart entre les riches et les pauvres c’est un trou abyssin. Il ne suffit pas de dire je suis social-démocrate que l’on l’est. D’autres également le disent, mais il suffit de constater, dès que quelque chose bouge du côté du Mps, on les voit tous courir pour aller là-bas. Je pense qu’il y a ceux qui disent et ceux qui font. Personnellement, je ne pense pas militer dans un parti qui va se battre contre les intérêts du Tchad. Aujourd’hui, le Mps ne se bat que pour les intérêts des pays extérieurs et pour sa propre famille. Je ne pense pas que ce soit une raison pour dire simplement nous sommes sociaux-démocrates. En termes d’expériences, par rapport aux actions qui avaient été déjà posées à l’époque où j’étais ministre, j’ai travaillé essentiellement dans les secteurs sociaux, que ce soit celui de la santé, de l’enseignement supérieur ou de l’éducation nationale. C’est dans cette lignée qu’il va falloir qu’on aille renforcer ce qu’il y a lieu de le faire, et pour faire en sorte que l’écart soit le plus  étroit possible.

  Pour revenir à l’actualité, quelle est votre position par rapport au Dialogue national inclusif qui se prépare ?

En général, lorsqu’on dit dialoguer, ça suppose qu’il y a des idées qui sont contradictoires. On dialogue forcément avec quelqu’un d’autre qui n’est pas du même avis que soi. Mais lorsqu’on suit ce qui se passe dans ce pays, on n’a pas l’impression qu’autour de ce dialogue il y a quelque chose qui nous divise. En fait, vous avez ce système qui est mis en place et qui remplace le Mps, à mon point de vue c’est du Débyisme sans Déby. Vous allez vous rendre compte que c’est la même Assemblée nationale qui est redevenue le Cnt, c’est la même Primature qui est devenu Pmt, c’est la même armée qui est devenue Cmt et les mêmes forces de répression, à l’exemple des Gmip et autres, qui sont restées. A mon avis, il n’y a absolument rien qui a changé. Alors le dialogue vient de quel côté ? Quand vous vous interrogez sur ce qu’il y a de vraiment nouveau, quelle est l’idée nouvelle, de quoi est-ce qu’on parle, quel est le problème fondamental, personne ne pose la question de savoir comment a-t-on fait pour en arriver là ? Et nous allons dialoguer autour de quoi ? Quelle est l’idée principale ? Quel est l’ordre du jour? On va parler de quels points pour résoudre quels problèmes et on va travailler avec qui ?

On constate qu’il y a une sorte de manœuvre qui est en train de  se mettre en place. Quels sont les comptes-rendus de toutes ces réunions de Codni et autres?  Aujourd’hui, on dit qu’il faut discuter de façon parallèle avec les politico militaires, mais pourquoi discuter de façon parallèle ? Il nous faut une Conférence nationale. Nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui ont décidé de prendre les armes pour prendre le pouvoir, mais il faut qu’on parle ensemble avec ces gens-là. C’est une stratégie qui est mise en place pour pouvoir diviser les gens, les uns contre les autres. C’est ce qui est mis en place actuellement. Mais tout cela pour aboutir à quoi ? Certainement à une conclusion qui est déjà tirée. A mon point de vue, le projet de constitution est déjà fait, et c’est exactement ce qu’on a constaté avec la charte de la transition. Une charte de transition qui s’est écrit en 48 heures, je n’ai jamais vu ça. Qu’est-ce qui s’est passé ? Qui l’a écrite ? Et pourquoi rechigne-t-on aujourd’hui à la modifier ? Jusque-là, on ne sait exactement pas comment est mort le Maréchal, quand est-ce qu’il est mort. Il est décédé le 20 avril et le 22 on a déjà une charte. A mon point de vue, c’est un coup d’état. Et quand vous regardez le comportement des uns et des autres, ils se comportent exactement comme des gens qui ont fait un coup d’état et qui n’ont pas de compte à rendre. Pour moi, ce terme de “dialogue” est une nouvelle trouvaille, mais ça ne cause aucun problème. Ensuite, pourquoi ce silence ? Pourquoi l’Union africaine ne parle plus, alors qu’ils ont dit qu’ils vont nous accompagner? Pour eux, est-ce que le problème est déjà réglé? Pourquoi la communauté internationale ne parle plus ? Tout simplement parce que les Français sont derrière et à la manœuvre. Qu’est-ce qu’on nous prépare à travers ce silence? Personnellement je ne suis pas contre le dialogue, mais encore faudra-t-il que les conditions soient réunies afin qu’on y aille.

On ne met pas en place un gouvernement de transition qui doit travailler comme s’il est un gouvernement normal. Le gouvernement de transition n’a pas pour vocation de construire des routes ou des hôpitaux. Il lui revient de dire, nous avons une crise, quelle est cette crise et il faut qu’on la nomme. Pourquoi cette crise n’est pas nommée? Pourquoi fait-on la pression sur le Mali et la Guinée mais jamais sur le Tchad ? ça veut dire quoi concrètement ? Nous ne savons pas à quelle sauce nous allons être mangés. Attendons de voir jusqu’où cela va aller.

  Certains se sont déjà prononcés sur la forme de l’état par rapport au dialogue en vue. Quel est votre avis ?

Je suis pour une fédération. J’ai travaillé avec les uns et les autres dans ce sens. Pour moi, la fédération ne veut pas dire la division du Tchad. Quand vous parlez des états-Unis ou du Nigeria, ce ne sont que des pays avec des états fédérés. La façon dont on regarde le système évoluer, c’est juste pour faire peur aux gens que la fédération, c’est scinder le pays en plusieurs morceaux, c’est du n’importe quoi. Je le redis pour la forme de l’état, je suis pour le fédéralisme et je pense que chaque gouvernement local va s’organiser à ce que nous n’empiétons pas sur les éléments les plus fondamentaux comme celui de l’unité nationale, d’une armée nationale, d’une grande diplomatie nationale, mais tout ce qui est local, social, de l’organisation du développement social, la lutte contre l’inégalité, le problème du genre, etc., laissez-les régler par la population locale. Que ceux qui seront élus localement puissent gérer leur mairie, leur marché, se marier entre eux, prier le Dieu qu’ils veulent et s’entendre entre eux. Je n’ai aucune peur par rapport à cette forme.

  Votre élection à la présidence du parti les Démocrates fait dire certains observateurs que vous êtes instable politiquement. Que leur répondez-vous ?

Je n’ai pas été dans plusieurs partis. J’ai été militant de base en 1979 au parti l’Union nationale démocratique (Und) de Facho Balam. Et vous savez dans quelles conditions ce parti a disparu à la suite d’une négociation séparée à Bagdag (Irak). Puis, la 2ème fois où vous m’avez vu militer, c’était à l’Undr de Saleh Kebzabo. A l’Undr, on a battu campagne contre la réélection du Maréchal. Ce dernier étant parti, il y a eu une divergence de points de vue. Est-ce qu’il faut aller avec la nouvelle forme ou attendre dans l’opposition ? J’étais de ceux qui pensaient qu’il fallait attendre dans l’opposition, qu’on se renforce pour pouvoir aller de l’avant. Cela n’a pas été le cas et j’ai été viré proprement du bureau politique du parti, je n’avais pas démissionné. C’est après que j’ai décidé de partir. Du coup, on ne peut pas me traiter de “wat-wat” (chauve souris) en train d’aller d’un parti à un autre. Je suis un homme de principe. Je dis ce que je pense et je fais ce que je dis. Dès lors qu’on ne s’entend pas sur ce qui est essentiel, à quoi ça sert d’aller avec les uns et les autres ? Je pense que c’est un terme un peu de trop, mais c’est un point de vue qui ne concerne que ceux qui l’ont dit.

  Votre message en tant que nouveau président des Démocrates ?

D’abord, nous n’avons qu’un pays qui s’appelle le Tchad. Que vous soyez du nord, du sud, de l’est ou de l’ouest, nous rencontrons les mêmes problèmes. J’ai l’habitude de dire que tous ceux qui nous ont gouvernés depuis plus de 40 ans n’ont absolument rien fait, puisqu’il n’y a rien. Le seul message que je peux apporter en tant que président de parti, c’est que nous allons très rapidement rentrer en campagne à l’intérieur du pays pour parler avec la population et leur dire quels sont les meilleures actions qui doivent être mises en place, pour arriver à fonder l’espoir pour le peuple tchadien.

Cela veut dire que nous avons un pays qui est un chantier. Au lieu qu’on se divise pour rien, je suis de ceux qui pensent qu’il faut qu’on réfléchisse sur la meilleure façon de construire notre pays. C’est notre pays et notre héritage, alors que ceux qui nous gouvernent se comportent comme des touristes qui ont leur pays ailleurs. Je ne suis pas d’accord avec eux.

Interview réalisée par

Roy Moussa