Création d’une Agence nationale de protection et de promotion des droits des personnes vivant avec un handicap : plaidoyer du conseiller Béral Baïkoubou

“Madame la ministre, le projet dont vous êtes porteuse aujourd’hui dans l’hémicycle est un projet qui vient couronner avec panache, le maigre corpus législatif qui existe chez nous pour tenter de défendre le droit des personnes handicapées. Et comme il n’est jamais tard pour bien faire, nous n’allons pas condamner le fait que ce texte ne vient qu’aujourd’hui. Le corpus juridique est maigre vous avez cité vous-même dans la totalité les textes qui protègent les personnes handicapées dans notre pays mais, dans les lois ce n’est pas tant les lettres qui comptent mais c’est davantage l’esprit donc, peu importe les volumes des textes, si l’esprit est de protéger cette catégorie de personnes, ce texte mérite d’être défendu et je me pose d’ailleurs la question si nous avions raison de considérer qu’il s’agit d’une catégorie des personnes parce qu’en réalité et en mon sens en moi, l’expression la plus pléonastique qui soit, c’est l’expression “personnes handicapées” parce que je pense moi qu’une personne est par définition un animal handicapé à l’infinitésimal différence, presque certains handicaps sont visibles, c’est ceux dont nous parlons le plus souvent mais d’autres sont invisibles. Ceux-là, notre inconscient collectif refuse de les connaître. Quelques exemples simples si nous sommes égoïstes et cupides, incapables d’aimer nos prochains, nous sommes handicapés du cœur. Si nous ne sommes pas en mesure d’articuler un raisonnement logique, cohérent et rigoureux nous voici handicapés de l’esprit. Si les malheurs de nos prochains nous inspirent le rire et la réjouissance plutôt que de nous affliger et nous inspirer la compassion, nous sommes des handicapés émotionnels. Si nous déployons ainsi le tableau, on se rendra aisément à l’évidence que finalement l’expression personnes handicapées est un abus de langage. Il y a des handicapés visibles et des handicapés non visibles. Ce que je dis peut paraître à d’aucuns comme de la spéculation philosophique, peu importe le vrai argumentaire, c’est celui que vous avez apporté vous-même dans votre préliminaire en disant que personne n’est jamais à l’abri du handicap. Au gré des pathologies ou de quelques traumatismes, n’importe qui peut à tout moment glisser dans une infirmité concrète et patente qui soit sur sa vie au quotidien. Alors en définitif, tant que n’intervient pas la grande faucheuse, l’envieuse fortune, c’est-à-dire tant que la mort ne nous ensevelit pas dans le sarcophage de l’irréversible nous n’avons pas la certitude de n’avoir un handicap, seuls les morts peuvent être certains de ne pas risquer une infirmité. Aussi longtemps qu’on est vivant, on n’y échappe pas. Je ne parviendrais jamais à comprendre pourquoi une vérité aussi patente qui crève l’œil sera resté dans l’angle mort de notre État pendant si longtemps pour ne sortir qu’aujourd’hui. Si vous faites un constat simple dans le domaine de l’éducation par exemple, la totalité des structures qui existent et qui ambitionnent d’apporter une formation et éducation aux personnes vivant avec un handicap, s’agit-il d’un handicap mental, visuel, auditif, ces structures sont des initiatives soit individuel soit confessionnel comme si le seul fait de porter un handicap vous frappe de la déchéance de votre patrie, de votre nationalité, vous frappe de la déchéance de la citoyenneté. Vous êtes handicapés, vous devenez la charge des confessions religieuses ou bien des individus de bon cœur. On va se tirailler encore longtemps sur la mise en œuvre de cette loi comme pour toutes les lois d’ailleurs, puisque rien ne se fait en claquant les doigts. Cependant, c’est déjà une chose que d’avoir un cadre légal dans lequel il faudra mener le débat et la lutte pour les droits des personnes handicapées. Jusqu’ici on a laissé la question du handicap au bon vouloir des contingences de la charité, des indulgences et des belles âmes. Vous avez de la compassion envers les personnes handicapées, vous n’en avez pas, elle chavire dans l’indifférence. Aujourd’hui, la loi qui va naître et qui va compléter avec force ce que nous avions déjà comme embryon, peut permettre que les personnes handicapées sortent de la revendication émotionnelle ou privée pour entrer dans quelque chose de légitime. Alors, j’estime que dorénavant, la personne handicapée ne se trouvera pas à quémander sa protection mais à la revendiquer, elle ne se trouvera pas à invoquer les cœurs charitables mais, à revendiquer des prérogatives qui lui seront prescrites par la loi. Il n’est rien de meilleur que la loi dans une République. Si la République était une chorégraphie, c’est la loi qui en construirait le rythme et donc la loi encore la loi et toujours la loi. Nous allons faire œuvre utile en mettant cet instrument en route, quitte à revenir nous crêper les chignons sur les dimensions de sa mise en œuvre. Le reste ne sera que détail. Dès lors que le fondement juridique existe, l’État ne se comportera plus avec désinvolture, il se sentira dans l’obligation de prendre en compte ces personnes longtemps marginalisées. Nous ne disons pas que les individus et les confessions ne sont pas autorisés à intervenir dans les grandes questions sociales de notre pays mais, nous disons simplement que l’État doit être au premier plan et les autres doivent venir en appui. La réalité jusqu’à l’heure où nous parlons, c’est l’inverse. Ce sont les autres qui interviennent au premier plan et l’État de temps en temps lorsque cela lui plaît, fait des gestes de bonne volonté en distribuant un gobelet de riz, une capsule de lait, une cuillerée d’huile et quelques bisous si on ose. Est-ce que les personnes handicapées peuvent vivre de manière sporadique que ça, je ne le pense pas. C’est pourquoi, cette loi me semble pertinente et mérite notre adhésion. Passer du hasard des bonnes volontés au parapluie régalien de l’État, il n’est rien de meilleur. Madame la ministre ; vous avez peut-être par la contingence de l’histoire été propulsée à une croisée de chemins. Vous portez quelques choses à la fois historique, existentiel, anthropologique et juridique. Si ce texte-vous est donné, je suis certains que vous serez si j’ose le dire, le phœnix des votes de cette loi”.

Modeh Boy Tresor