Des débats en dessous de la moyenne

Certains participants ont donné leur point de vue et fait des propositions sur différents thèmes retenus au forum national dit inclusif. Mais la présence des laudateurs  aura rabaissé le niveau des débats.

La forme de l’Etat, le régime politique, le réaménagement des grandes institutions, le régime des parlementaires, la réforme en vue de la consolidation de la paix, de l’unité nationale, la réforme judiciaire, la promotion de la femme et de la jeunesse ont été les thèmes autour desquels les participants à ce 2ème forum ont débattu.

“Je suis très déçu de la qualité des interventions parce que c’est une fanfaronnade caractérisée. Avec des interventions qui vont à l’encontre du peuple tchadien, les gens se permettent d’acclamer. Nous sommes seulement 34 représentants de l’opposition contre 500 participants acquis à la cause du régime. L’opposition s’est démarquée par ses interventions mais on a été étouffés. Personnellement, je n’ai pas pu aller au bout de mes idées. Il faut aussi dire que le présidium est concocté de toute pièce en violation du règlement intérieur qui dit que c’est l’assemblée qui le met en place. Du coup, sa présidente est Mps ; son vice-président un allié, ainsi de suite. Nous autres n’avons que droit 3 mn de parole pendant que les anciens premiers ministres et les gouverneurs allaient à 10 voire 20 mn”, déplore Dinamou Daram, responsable du Parti socialiste sans frontière (Psf). Le président du parti Un nouveau jour, Dr Nasra Djimasngar, lui aussi de l’opposition, nuance les choses. Pour lui, ceux qui ont eu un long temps de parole sont des anciens Premiers ministres sous lesquels la présidente du présidium a servi comme ministre, par conséquent, il comprend qu’elle ait du mal à les interrompre. Nasra Djimasngar  regrette qu’il y ait eu des gens qui sont tombés “dans la digression parce qu’ils auraient pensé que le président a donné un point à défendre. Donc, pour lui plaire, ils viennent dire que nous sommes pour le maréchal du Tchad, il faut un vice-président pour le soutenir. Ce sont des affirmations gratuites, sans fondement”, observe-t-il.

Dans les débats, il s’est dégagé une lutte farouche entre l’opposition favorable au retour de la primature et la majorité présidentielle qui préconise plutôt un nouveau poste de vice-président. Pour le député Djimet Clément Bagaou, le poste de vice-président permettrait au président de placer ses fils ou proches. “Ce forum est un espace de dialogue, tout le monde parle, l’opposition a raconté sa vie. Pour moi, on doit aller de l’avant. La présidence intégrale n’a pas besoin d’un Premier ministre. Il faut un vice-président pour renforcer l’exécutif”, a rétorqué le président de l’Assemblée nationale Haroun Kabadi.

Sur la suppression du Haut conseil des collectivités autonomes et des chefferies traditionnelles (Hccact), les membres de la société civile et les politiciens ont opté majoritairement pour son remplacement par le Sénat pour un parlement bicaméral. Mais les chefs de canton, les sultans et quelques députés ont plaidé pour son maintien comme outil le plus proche de la population. “La population se sent plus proche des chefs traditionnels que des députés. Aujourd’hui, si je tue quelqu’un, je vais courir auprès de mon chef de canton pour me protéger”, plaide Hamid Godia. Sur l’âge minimum du candidat à la présidence de la République, Abdel Aziz Koulamalah a soutenu qu’il faut “ramener l’âge pour candidater à la présidence à 35 ans. Le chef de l’Etat n’a rien à craindre de la jeunesse’’. Sur le même sujet, un représentant des jeunes suggère que ceux qui ont inséré l’âge de candidature à la présidentielle à 45 ans dans les résolutions du premier forum doivent être retrouvés et condamnés puisque cela n’a jamais été la recommandation des participants. Sur la modification du tricolore, on aura enregistré des suggestions telles que remplacer la couleur bleu par le vert, insérer une étoile ou lune sur le drapeau. Un participant a même suggéré la modification de l’armoirie nationale estimant y voit un caractère colonial sur l’actuel.

Palme d’or de la cocasserie

Le président du présidium du premier forum de 2018, Nouradine Delwa Kassiré Koumakoye a défendu bec et ongle sa 4ème République arguant que le problème des tchadiens n’est autre que la “mangeoncratie”. Mais dans ce forum, la palme d’or de l’intervention la plus cocasse ou absurde restera celle de Ali Mahamoud Seid, président d’une organisation de la société civile. “S’il y a un conflit entre deux communautés, qu’on prenne les responsables, qu’on les fusille carrément pour que ça serve de leçon ; la déchéance de nationalité pour celles et ceux qui non seulement s’en prennent au pouvoir aux institutions de la République, à l’Etat”, propose-t-il tout en ajoutant de consacrer la sacralité du président de la République, le maréchal.

Plusieurs intervenants ont fait la part belle au nom maréchal dans leur intervention pour le remercier ou dire tel sujet lui tient à cœur. La présidente du présidium n’a pas échappé à cette logique des laudateurs.

Les actes du forum inclusif

Le forum national inclusif 2 qui a fait l’état des lieux de la mise en œuvre des recommandations du premier a, en même temps, accouché 28 nouvelles résolutions. Parmi celles-ci, la suppression du serment confessionnel qui avait fait couler d’encre et de salive, il y a deux ans. Ndjh vous propose l’intégralité des résolutions.

  • Sur la réforme en vue de la consolidation de la paix, de l’unité nationale, de la stabilité de l’État de droit et de la bonne gouvernance :

La suppression du serment confessionnel ou de son caractère confessionnel ; la levée de la limitation de mandat des élus locaux.

  • Sur la forme de l’Etat :

Réhabiliter les sous-préfectures comme entités administratives auprès des communes ; créer un comité technique chargé de réfléchir sur la question de drapeau ; accélérer le processus de transfert de compétences et de ressource entre l’État et les collectivités ; allouer des ressources nécessaires au fonctionnement des collectivités autonomes d’ici 2021.

  • Sur le régime politique et réaménagement des grandes institutions de l’Etat :

Créer un poste de vice-président ; créer le Sénat qui sera le représentant des collectivités autonomes ; rétablir la Cour des comptes ; nommer un médiateur national ; remplacer le Haut conseil des collectivités autonomes et des chefferies traditionnelles par un organe dédié exclusivement à la chefferie traditionnelle ; réformer le Conseil économique, social et culturel pour qu’il soit un véritable laboratoire d’idées.

  • Sur le régime parlementaire :

Instituer un parlement bicaméral avec deux chambres : le Sénat et l’Assemblé nationale ; maintenir le statu quo sur les critères relatifs aux capacités intellectuelles des candidats aux élections législatives.

  • Trois recommandations spéciales :

Prendre des dispositions nécessaires afin de garantir une retraite descente aux fonctionnaires et contractuels du secteur public ; ramener l’âge de la candidature aux élections présidentielles à 40 ans ; prendre en main les questions récurrentes de conflit intercommunautaire et de conflit éleveurs-agriculteurs ; revaloriser le traitement salarial des forces de défense et de sécurité.

  • Sur la réforme judicaire :

Accorder plus de moyens à la justice pour améliorer les conditions de travail des acteurs judiciaires ; sensibiliser les différents acteurs sur la pratique de “Diya” qui n’est que réparation civile ne faisant pas obstacle à l’action publique.

  • Sur la promotion de la femme et de la jeunesse :

Accorder un statut spécial au Conseil national des femmes (Conaf) et le Conseil national consultatif des jeunes (Cncj) ; mettre en place un observatoire du genre ; créer une Agence nationale chargée de l’élaboration et du suivi des projets bancables au profit des femmes, jeunes et des personnes handicapées ; créer un Fonds d’appui aux producteurs agricoles et de l’élevage au profit des femmes, des jeunes et des personnes handicapées ; octroyer de manière équitable les crédits bancaires aux femmes et aux jeunes ; allouer au Fonds d’entretien routier (Fer) des ressources pérennes ; créer un comité de relecture du code des personnes et de la famille à l’Assemblée nationale composé du ministre de la Femme, des religieux et des députés ; ramener le Code électoral et la loi n° 32 pour relecture au Cadre national de dialogue politique.

Des résolutions critiquées 

La restauration du Sénat, la suppression du caractère confessionnel du serment, l’introduction du poste de vice-présidence, la réduction de l’âge de candidature à la présidentielle sont entre autres les résolutions sur lesquelles Ndjh a interrogé quelques hommes politiques et acteurs de la société civile.

Même certains de ceux qui ont pris part au forum ne sont pas d’accord avec les résolutions. C’est le cas du secrétaire général du Cadre d’action populaire pour la solidarité et l’unité de la République (Cap-sur), Adoumbaye Daniel. “Nous avons fait des propositions mais  aucune de nos propositions n’ont été prises en compte. On a dit qu’il faut rétablir  le Sénat, etc. Il y a rien de nouveau, on a fait plutôt marche arrière. Si on appliquait bien notre constitution de 1996, on ne serait pas là en train de dépenser l’argent pour faire des discussions sur le rétablissement du Sénat ou pas. La création de la vice-présidence est une autre bêtise”, constate-t-il avant de prédire que  “les mouvements citoyens vont renaître et même s’amplifier et à la fin c’est la rue qui va décider de la fin de ce que nous sommes en train de vivre. Ce forum ne devrait être qu’un soubassement au dialogue politique avec la participation de la diaspora et les politico-militaires. Il faut qu’on trouve des solutions pérennes.  Le  forum ne peut que donner les solutions de courte durée”. Mbaïlassem Gérard de l’association d’entraide aux personnes handicapées est rentré déçu puisque pour lui, ce ne sont pas les propositions des handicapés et de l’Assemblée qui ont été retenues.

Le président du parti Les Transformateurs, Masra Succès à qui la porte du forum a été fermée mais qui a suivi avec beaucoup d’intérêt les débats sur l’âge d’éligibilité fixé dans la constitution du 4 mai 2018 à 45 ans. “Les gens ont dit au président Déby, s’il veut faire deux mandants à partir de 2021, il ne faut jamais que Masra ne fasse face à lui. En 2020, les débats ont eu lieu mais au présidium, ce sont les mêmes gens à qui il a demandé de mettre la clause de 45 ans contre Masra. Ils ne peuvent pas se déjuger. Or, dans les débats, la majorité des tchadiens disent qu’il faut que soit restauré l’âge antérieure qui était de 35 ans ou ramener à 18 ans. Chaque tchadien qui peut présenter un projet de société, s’il n’est pas mature, s’il n’a pas d’expérience, les tchadiens ne vont pas le voter’’. Mais pour Masra succès, le présidium ne pouvait pas faire la volonté des participants en ramenant l’âge à 18 ou 35 ans sans l’avis du président Déby. C’est pourquoi “le rapporteur a mis  40 ans dans son rapport. S’il mettait  35 ans, Masra peut être candidat“, déduit l’économiste. Néanmoins, le leader des Transformateurs dit ne tenir compte des résolutions qui selon lui ne font pas office de constitution. Il attend plutôt ce qui va être inséré dans la nouvelle constitution et il prévient déjà le président de la République. “Déby ne peut pas faire un forcing en essayant d’être candidat après 5 mandats tout en voulant éliminer ses adversaires les plus crédibles. Il ne gagnera pas cette guerre qu’il  nous déclare.   Qu’il fasse ses manigances mais dans la nouvelle constitution, cette close-là doit sauter et ce n’est pas négociable”.

Le député Saleh Kebzabo qui a refusé de participer à ce forum en le qualifiant de “forum de cancres” et d’un “congrès élargi du Mps” souligne qu’il n’a pas abordé des vrais problèmes des tchadiens. Pour lui “les vrais problèmes des tchadiens sont les conflits intercommunautaires et éleveurs/agriculteurs, l’unité du pays, les forces armées défendant exclusivement Déby et son clan,  sans oublier les problèmes de bonne gouvernance, d’éducation, de santé publique, d’infrastructures, d’agriculture et d’élevage, de monde rural, de détournement”. Pour le président de l’Undr, le retrait du caractère confessionnel du serment ne résout pas les problèmes fondamentaux du Tchad  et que la création du poste de vice-président  “n’est qu’une carte blanche donnée à Deby pour nommer son successeur. La dévolution du pouvoir appartient au peuple souverain et non à un individu”, rappelle-t-il.

Lanka Daba Armel