Des réactions face au confinement de N’Djaména

Les deux décrets relatifs au confinement de la capitale, assortis de différentes mesures sanitaires, n’ont pas laissé indifférents les citoyens. NJDH vous propose les réactions de quelques-uns.

“Des décisions aux contours mal définis”

Djékourninga Kaoutar Lazare (vice-président de l’Association pour la promotion des libertés fondamentales – Aplft):

Quand l’ordre public est perturbé, ça peut être la tranquillité, la sécurité des citoyens ou la salubrité publique, l’autorité administrative est en droit de prendre des décisions ou des mesures nécessaires pour mettre la population à l’abri. C’est-à-dire assurer leur tranquillité, leur sécurité et leur salubrité. C’est en bon droit que les autorités de la République ont pris des mesures nécessaires dans ce sens. Cependant, il y a une chose à relever. Les deux décrets qui ont été pris rentrent dans le domaine de la police administrative et la salubrité englobe l’hygiène et la santé. Il y a une épidémie qui sévit au Tchad et pour la contrer, il faut prendre des mesures nécessaires. Mais il faudrait que ces mesures tiennent compte de la survie des populations.

La première des choses à relever par rapport au décret pris le 31 décembre 2020, c’est la compétence de l’autorité qui a pris cette décision qui porte confinement ou isolement de la ville de N’Djaména. Nous sommes dans une commune et en matière de police administrative, dans ce cadre, il n’appartient pas au président de la République de prendre un décret, parce que la décision ne s’applique qu’à une parcelle du territoire national. En principe, il revient au maire de la ville de N’Djaména ou au délégué de la commune de N’Djaména auprès du gouvernement ou alors au gouverneur de la ville de N’Djaména. Donc, le chef de l’exécutif qui est le président de la République, avec ses ministres, doivent instruire soit le maire, soit le gouverneur pour prendre une telle décision. Mais la confusion est que comme c’est un décret, beaucoup ont pensé que ça couvre toute l’étendue du territoire national. Et dans ce cas de figure aussi, ça ne marche pas. Prenons le cas de la France. En droit français, en ce qui concerne la police administrative, les autorités qui sont compétentes, c’est d’abord le premier ministre qui est chef du gouvernement qui prend des décrets, ensuite ce sont les préfets, sous-préfets et maires. Mais ici chez nous, comme on n’a ni premier ministre, ni vice-président, c’est le président de la République qui est le chef de l’exécutif qui joue cette fonction. Il peut certes prendre un décret mais cela ne doit pas intéresser toute l’étendue du territoire nationale. S’agissant des questions relatives aux droits de l’homme, d’abord il y a un amalgame et mal compréhension dans le gouvernement entre les membres. Un président de la République prend un décret qui est contredit par le ministre de la Santé publique, tantôt c’est le secrétaire général de la présidence de la République qui l’interprète très mal. Mais dans tout ça, ce sont ces autorités qui créent de la confusion dans la tête des citoyens que nous sommes. Or, nous avons un secrétariat général du gouvernement qui est un très grand secrétariat de l’exécutif. Tout projet de décret, arrêté ou autres passe par ce grand service de l’Etat qui voit comment on peut les appliquer. Le gouvernement même ne s’entend pas dans le contenu de ses décrets et c’est ce qui met mal à l’aise la population.

Comme le dit le citoyen lambda est-ce la nuit que circule le coronavirus, pour qu’on instaure le couvre-feu à 18 h et maintenant 19 h ? Il est bien vrai que le gouvernement est en droit d’assurer la sécurité de la population et sa tranquillité sanitaire. Mais il faudrait que les décisions prises soient raisonnables. On interdit aux bus de circuler alors qu’il y a des gens par exemple qui quittent Linia pour aller travailler à Farcha. Comment doivent-ils faire ? Or, les véhicules particuliers ramassent deux à trois personnes tout comme les motos, est-ce que cela règle le problème ? Le bon sens aurait voulu qu’on mette l’accent sur les mesures barrières telles que la distanciation dans les bus et voitures, le port obligatoire des masques, le lavage des mains et ça peut aller. On autorise les ventes des étals et on ferme les marchés. Mais faites un tour dans les différents marchés et observez les étals. Comment les gens se côtoient et se frottent ? Nous voulons aller à la va-vite et tout copier. Or, chaque pays à ses spécificités. Ce qui se passe en France n’est pas la même chose que ce qui se passe ici. Je pense que les contours de ces décisions ont été mal définis. Dans le cas d’espèce, on doit associer les ministères de la Sécurité, de l’Administration du territoire, de la Communication au ministère de la Santé qui doivent définir exactement ce qu’il y a lieu de faire. Aujourd’hui, vous avez des particuliers qui mettent leur véhicule pour le transport N’Djaména-Moundou à 25 000 francs CFA. Vous voyez que quand l’interdit est trop sévère, cela ouvre la voie à des manœuvres frauduleuses et c’est là où on s’expose davantage. Il est important et nécessaire de revoir ces mesures.

“La ville est triste”

Brahim Ben Seid (secrétaire général de la Confédération libre des travailleurs tchadiens – Cltt):

Ce sont des mesures qui ont été prises un peu à la hâte à mon avis, puisque ça ne semble pas préparé. C’est vrai quand il y a une pandémie, il faut prendre des mesures d’urgence de riposte. Au début, les gens n’ont pas compris le confinement. Ils ont  confondu le confinement de la ville de N’Djaména avec celui de la population. Et on pensait que personne ne devait sortir de chez lui le matin pour aller au marché. Or, c’était juste la ville qui était isolée par rapport aux autres villes du Tchad. C’est après que les gens l’ont compris. Puis, la restriction des horaires qui était fixée à 18 h est avancée à 19 h. Le nombre d’attroupement est passé de 10 personnes à 50. Les lieux de cultes, les marchés, les bars et les écoles restent fermés. Ce sont des restrictions que le gouvernement a prises comme mesure pour pouvoir prévenir le coronavirus.

En principe, le gouvernement devait aussi prendre des mesures d’accompagnement. Or, cela n’est pas fait et ce n’est pas normal. Parce qu’en principe, quand on est confiné, on ne bouge pas. Dans ce cas, la population doit bénéficier d’une assistance compensatoire. Mais le gouvernement n’a pas pensé à assister la population. Tout le monde est vulnérable. Aujourd’hui, le gouvernement pense que tous les vulnérables sont des personnes handicapées physiques. En principe, on doit penser aussi aux personnes de 3ème âge. Quand vous partez à la Caisse nationale des retraités tchadiens ou à la Caisse nationale de prévoyance sociale, il y a plein de retraités qui sont là et dont les revenus ne leur permettent pas de vivre avec ces mesures sanitaires. Je pense que le gouvernement doit élargir son assiette d’assistance pour que tout le monde en bénéficie. Aujourd’hui, quand nous écoutons le ministre de la de la Santé publique et de la solidarité nationale, ainsi que les responsables de l’Office nationale pour la sécurité alimentaire (Onasa), faire le point sur la quantité des vivres à distribuer, cela n’atteint même pas deux millions de sacs, alors qu’une ville comme N’Djaména compte plus de deux à trois millions d’habitants. Et ce n’est pas avec 900 sacs de vivres qu’on va aider les vulnérables dont le nombre est supérieur. En principe, le gouvernement doit prévoir cela depuis le mois d’avril dernier, lorsque les premières mesures ont été prises, pour accompagner les travailleurs et les fonctionnaires, mais à la fin nous avons constaté que c’est surtout nous qui travaillons qui avons le plus souffert. Ceux qui sont aux fronts, ce sont les fonctionnaires de la santé dont certains sont morts, et d’autres handicapés qui continuent à souffrir.

Dans le privé, il y a ceux qui ont perdu leurs emplois. Dans le transport, la restauration, les bars et surtout le secteur informel, beaucoup ont perdu leur emploi et le gouvernement ne les a pas accompagnés. Le gouvernement nous a accompagnés au début avec prise en charge de la facture de l’eau et de l’électricité, mais maintenant avec cette 2ème vague de recrudescence, y aura-t-il les mêmes accompagnements ? Aujourd’hui, c’est vrai qu’à cause du coronavirus tout le monde est solidaire, mais il y a ceux qui n’arrivent pas à acheter ne serait-ce qu’un cache-nez de 50 francs, qui se vend maintenant à 200 francs, alors que tout le monde n’a pas 200 francs. Il appartient au gouvernement de partager et distribuer les masques à ceux qui n’en ont pas. Et puis nous avons tous besoin de masque, parce que nous devons tous les changer toutes les 3 heures. Je pense que le gouvernement doit assister la population parce que tout le monde est vulnérable. Les transporteurs n’ont rien à manger à cause des mesures prises et quand on circule dans la ville, l’on constate que la ville est triste. Le gouvernement doit faire un effort pour mettre les gens dans une condition de vie décente parce que c’est vraiment difficile en ce moment.

“Il faut lever certaines mesures”

Ngardedjal Sandjiman Isaac alias Papa Sandjo: (promoteur et président-directeur général de l’espace culturel Acamod):

Cette fois-ci, on a l’impression que c’est tous les secteurs qui sont touchés mais cela paraît plus sérieux dans le domaine culturel. Au début, quand ils ont parlé de regroupement de 10 personnes au maximum, c’est un peu difficile pour le secteur, et même à 50 personnes. Ce que nous souhaitons, c’est que le gouvernement regarde si les statistiques journalières pourraient justifier un tel durcissement. Si ce n’est pas le cas, il faut desserrer l’étau pour que les gens puissent reprendre avec leurs activités. Les artistes n’ont rien d’autres à faire que proposer des spectacles … Et cela se passe à travers des espaces, mais si tout doit être fermé, ça va être très difficile pour eux. Ce n’est pas qu’au Tchad mais quelqu’un au Cameroun m’a dit au téléphone qu’ils vivent à peu près les mêmes situations que nous au Tchad sauf que là-bas, il n’y a pas de couvre-feu, les bars ne sont pas fermés, sauf les dancings de plus de 100 personnes qui sont sous contrôle régulier des patrouilles des forces de l’ordre. Il faut lever certaines mesures pour permettre aussi aux artistes qui sont des citoyens à part entière, et dont la plupart sont des locataires, de se débrouiller pour payer leurs loyers et faire vivre leurs familles. Sans quoi ca sera dur.

Propos recueilli par

Roy Moussa