Diagnostic sévère de la négociation collective au Tchad

“La négociation collective dans le secteur privé au Tchad à l’ère pétrolière” est un ouvrage de 132 pages écrit par Doumkida Nguéadoum, inspecteur de travail, et paru aux éditions Toumaï à N’Djaména.

Dès l’avant-propos, l’auteur justifie le choix de son sujet et sa pertinence, mais beaucoup plus, essaie de combler le vide en la matière. Pour lui, la négociation collective au Tchad à l’heure actuelle tourne autour des rémunérations, les conditions de travail, et bien d’autres avantages y afférents. Le jeune inspecteur et auteur remonte le temps pour situer les événements ayant concouru à fixer les amarres de la négociation collective en Europe, le vieux continent. Il fait savoir que le Bureau international du travail (Bit) accompagne depuis de longues années les dirigeants et partenaires bilatéraux dans la gestion de leurs relations contractuelles afin de parvenir à la consolidation et à la promotion de la paix sociale et du dialogue social. Selon l’auteur, depuis l’indépendance du Tchad, plusieurs facteurs ont jalonné et impacté la vie sociale: l’insuffisance des infrastructures socioéconomiques de base, les aléas climatiques, l’enclavement physique ou géographique du pays, l’instabilité politique. Le climat des affaires n’a pas été, pour tout dire, favorable. Il a fallu attendre le 10 octobre 2003, date d’exploitation du brut ou or noir tchadien pour assister à des offres d’emplois de masse ainsi qu’à des remous. S’il est vrai que cette ère pétrolière a permis aux nombreuses entreprises de s’installer, au même moment il y a eu des recrutements et une croissance économique.
Le cadre juridique et le domaine d’intervention de la négociation collective ne sont pas perdus de vue dans cet ouvrage. Car, au niveau supranational, les différentes conventions de l’Organisation internationale du travail (Oit) font une part belle à la promotion du travail décent, la protection juridique et la valorisation des acquis. Il cite en exemple quelques conventions ratifiées ou non par le Tchad, met en lumière plusieurs limites à la négociation collective: l’omniprésence du politique, la mauvaise volonté des autorités, l’inertie de la direction de l’administration du travail qui ne fait pas le suivi des négociations en termes d’application des conventions signées, le caractère obsolète des textes, … Cependant, au niveau national, il cite quelques textes législatifs et réglementaires, et bien plus la constitution parce qu’il y a méconnaissance voire l’ignorance de ces textes par les travailleurs eux-mêmes et les employeurs. L’auteur va plus loin en invoquant les trois types de convention collective qui existe (la convention collective générale, la convention collective ordinaire et la convention collective étendue) tout en expliquant leurs degrés ou nuances. Le livre donne quelques astuces d’une négociation collective bien préparée et réussie, gage d’une paix sociale. Pour finir, un état des lieux de la négociation collective dans le secteur privé au Tchad est fait assorti des pistes de solutions. Car il existe des obstacles qui pourront saper les négociations, d’où la nécessité de bien se prendre.
Comme la négociation collective est un moyen efficace de prévention et de gestion des conflits, l’auteur du livre fait remarquer que le pluralisme syndical est certes consacré par les textes, mais la prolifération des syndicats chez nous ressemble à un désordre. Il encourage vivement les partenaires sociaux à la tenue de la négociation collective sectorielle dans le secteur privé tout en relevant l’importance de communiquer. Les accords sont mal négociés ou conclus au Tchad par les partenaires sociaux si bien que les problèmes ressurgissent ou persistent. Il est souhaitable pour chacune des entreprises de disposer d’un cadre approprié de consultation, d’information et de communication, écrit-il à la page 110.

Que peut-on retenir de cet ouvrage ?
Ce livre a pour thématique centrale la négociation collective qui est un moyen essentiel pour les employeurs et leurs organisations ainsi que les syndicats, afin d’aboutir à la conclusion d’un accord en termes de conditions de travail ; c’est un processus de concertation et de consolidation de la paix sociale. Pour un pays comme le Tchad où les grèves sont monnaie courante, ce livre arrive à son heure. En écrivant ces lignes, l’auteur nourrit un rêve : l’amélioration de la pratique de la négociation collective dans le secteur privé tchadien. Négocier, c’est dialoguer, discuter, échanger, c’est s’entendre pour parvenir à un accord en vue de trouver une solution. Cela s’oppose bien à la guerre. Il faut se débarrasser des “anciennes méthodes” parfois inopérantes, qui créent beaucoup plus de conflits qu’elles n’en résolvent.
L’auteur lance par ailleurs un appel à un nouveau paradigme dans la lutte. Aussi, est-il nécessaire d’être bien formé quand on est leader syndical et connaître le sens de la lutte en termes d’intérêt général commun. L’ouvrage assez documenté servira de guide référentiel pour les syndicats et autres partenaires sociaux.
Juriste à la base, Doumkida Nguéadoum est diplômé de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) du Tchad et du Niger. Il a servi à la direction de la Sécurité sociale, à l’Inspection du travail. C’est donc avec un regard averti qu’il nous pond ce livre.

Sosthène Mbernodji