Honneurs à nos maréchaux de la vie!

Le 2 juillet, lors de la dernière séance de la session parlementaire, l’Union nationale pour le développement et le renouveau (Undr) de Saleh Kebzabo a introduit un projet de résolution pour encourager les personnels soignants engagés dans la lutte contre la Covid-19. C’est pour une cause noble. Mais les députés de la majorité présidentielle, dont le chef Ali Kolotou Tchaimi, se sont levés, à tour de rôle, pour dire que la pandémie n’est pas finie et qu’il est inopportun pour l’hémicycle de prendre une telle résolution. Le président de l’Assemblée nationale, Haroun Kabadi, de qui Kebzabo a requis l’arbitrage, s’est rangé derrière sa mouvance. “Il ne faut pas que les gens pensent que c’est parce le projet de résolution vient de l’Undr que nous reportons son examen”, a déclaré Kabadi comme pour se reprocher de quelque chose.

Depuis plus de trois mois, des hommes et des femmes ont risqué et risquent toujours leur peau dans les hôpitaux, partout au Tchad, et pour les remercier, les élus Mps trouvent qu’il est inopportun. C’est une honte! Car les mêmes Kabadi, Ali Kolotou Tchaimi et consorts n’avaient pas attendu la fin de la bataille de Bohoma pour aller au Lac féliciter le président Déby et les troupes confrontés à Boko haram. C’est lors de cette visite, en mars dernier, que leur est venue l’idée d’élever Déby à la dignité de maréchal. Alors s’ils n’ont pas attendu la fin de la bataille de Bohoma pour féliciter les forces de défense et de sécurité et leur chef, pourquoi attendre la fin hypothétique d’une pandémie mondiale pour encourager nos soldats en blouses blanches et bleues?

La vraie raison du rejet de la proposition de résolution de l’Undr, est que l’initiative émane du principal parti de l’opposition et non du Mps. Kabadi et Kolotou Tchaimi ont trouvé une occasion pour rendre la monnaie à Kebzabo, trop critique à l’élévation au maréchalat de Déby de manière cavalière. Mais le président de l’Assemblée nationale et la majorité présidentielle se sont trompés de combat. Ils ont fait un acte d’anti-jeu politique. Plus qu’un manque de fair-play à l’endroit de Kebzabo et de l’Undr, c’est à l’ensemble des personnels soignants du Tchad qu’ils ont fait montre d’ingratitude.

Les Tchadiens dont ils sont soi-disant les élus, ne veulent pas seulement dire “merci” ou “choukrane” à ces personnes, les applaudir ou leur voir décerner une médaille. Non, applaudir ne suffit pas. Il faut faire mieux pour notre armée de la santé, lui donner un accompagnement financier.

Certes, dans son discours à la Nation, le président Déby a annoncé le maintien des salaires des personnels soignants décédés du Covid-19, au profit de leurs ayant-droits jusqu’à la majorité des enfants. Il a également décidé l’octroi d’une indemnisation spéciale au profit des personnels soignants infectés par le coronavirus dans l’exercice de leur fonction. Mais une résolution de l’Assemblée nationale aurait été un soutien de taille et contraint le gouvernement à traduire en actes les promesses de Déby qui, il est devenu un secret de polichinelle, ne lient que ceux qui le croient.

Par ailleurs, l’indemnisation spéciale promise par Déby ne concerne qu’une partie des personnels soignants. Ils sont 76. Cette indemnisation ne doit pas seulement aller à ceux-là, mais à tous les médecins, infirmiers, biologistes, urgentistes, ambulanciers et autres qui étaient au front, car ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on attrape le coronavirus. La “prime Covid-19” doit donc être versée à tout le personnel hospitalier, sans exception. Il y va de l’honneur du pays. Pour le personnel soignant du secteur privé, l’Etat peut majorer à un certain taux leurs heures supplémentaires, les défiscaliser et désocialiser, etc.

En France, le gouvernement a annoncé, dès la mi-avril, que les soignants vont bénéficier de primes défiscalisées de 500 à 1 500 euros, selon l’intensité de la flambée épidémique à laquelle ils ont dû faire face. Un décret du 8 juin 2020 a étendu le champ d’application de cette prime à de nouveaux agents. Différents dispositifs d’aide financière ont été mis en place par l’Etat, les organismes professionnels et les acteurs bancaires.

Les personnels soignants tchadiens, à l’instar de ceux en France et de tous les pays du monde, sont les maréchaux de la vie! Contrairement à la bataille de Bohoma, la lutte contre la Covid-19 est une véritable guerre, de longue haleine. Dieu seul sait quand elle finira. D’ailleurs, une pandémie mondiale ne prend jamais fin. L’Assemblée nationale, qui cristallise tant de critiques légitimes car illégitime depuis juin 2015, a raté le coche d’entrer dans le cœur d’une frange des Tchadiens.

Ghislain Djimra