La plus peuplée du Tchad après N’Djaména, la province du Logone oriental a d’énormes problèmes : elle détient le record des enfants non scolarisés à cause de la mauvaise qualité de l’éducation qui est un problème général du pays, les populations, étiquetées comme enfants têtus, ont accumulé de frustrations, le système sanitaire dans un piteux état à quoi s’ajoute une mauvaise gestion administrative, etc. Le gouverneur, Toké Dady Immeh, en parle sans langue de bois.
Monsieur le gouverneur, merci d’accepter de vous prêter à nos questions. Pourriez-vous succinctement présenter votre province ?
D’abord permettez que je dise mes remerciements à N’Djaména Hebdo pour cette opportunité ainsi offerte pour nous permettre d’évoquer la question de la vie de notre province. La province du Logone oriental fait 2 835 km2 avec une population estimée à 1 550 000 habitants, selon le dernier recensement de la population. Le Logone oriental est limité au sud par la Centrafrique et le Cameroun, à l’est par la province du Mandoul, au nord par la Tandjilé et à l’Ouest par le Logone occidental. Une province cosmopolite. Sur cette terre, vivent de nombreuses communautés, autochtones et allogènes. Les principales activités de la province sont d’abord l’agriculture et ensuite l’élevage. L’autre activité ou richesse avec laquelle Dieu a béni cette province avec est le pétrole qui sort de ses entrailles. C’est une province qui, fondamentalement, a contribué à la transformation positive du Tchad de ces 20 dernières années. Il faut reconnaître que, même si elle n’a pas proportionnellement bénéficié des retombées de cette manne, toujours est-il que c’est une province qui constitue l’un des meilleurs atouts du Tchad. Elle a trois atouts fondamentaux. Sur le plan agricole, la province est capable de subvenir aux besoins en matière alimentaire de notre pays si et seulement si la politique en la matière est bien développée et bien adaptée à la situation. L’élevage se pratique. D’où les investisseurs et les pouvoirs publics ont eu l’idée d’implanter le tout premier abattoir moderne sur notre sol, bien que juste à côté de Moundou, mais n’oubliez pas que c’est sur le sol du Logone oriental. Ensuite, l’autre atout que nous avons, c’est la démographie. Je vous apprends que nous sommes en deuxième position après la ville de N’Djaména en matière démographique. La taille de la population est très importante. Et cette population est majoritairement très jeune, ce qui constitue un autre atout. Les fils de la zone sont très valides, très braves, très courageux sauf qu’ils peinent à trouver leur chemin pour leur épanouissement.
Vous évoquez tout à l’heure la question du pétrole. En tout cas, le Logone oriental est la toute première zone productrice de l’or noir, mais elle peine à amorcer son développement. Où se situe le problème ? Qu’est-ce qui bloque son développement ?
Ce que je vais dire ne va pas plaire à beaucoup de gens mais malheureusement, c’est une triste réalité. La province, depuis le départ du premier baril du Tchad, il y a 20 ans, a reçu ce que je qualifie d’aubaine, c’est la redevance qu’elle reçoit sur les 5% en tant que province productrice. C’est pour la première fois qu’une province au Tchad reçoive une subvention fraîche pour permettre, à côté du Plan national de développement, d’amorcer son propre développement, adapté à sa situation. Mais malheureusement, aujourd’hui, il est au constat de tout le monde, qu’à côté de tout ce qui a été engagé sur ce plan de 5% et l’impact sur la population, je dirais l’impact est zéro. Parce que ça n’a jamais du tout contribué à changer un tant soit peu la situation. Au contraire, cela a empiré la situation. D’abord cela a provoqué une perturbation sociale au niveau des couches sociales, au niveau des foyers. Les jeunes, attirés par la brillance et l’opulence que les autres en ont, ont été attirés vers des mirages qui, malheureusement n’ont rien donné. Les vraies ressources qui ont été affectées à la province n’ont pas été gérées comme il se doit et les projets pour la plupart, ont été des éléphants blancs. A observer de près, les divers exercices du comité des 5% ont exploité l’ensemble des marchés. Vous allez vous rendre compte que, sans risque de me tromper, que c’est un gâchis.
Donc, pour revenir à votre question, pourquoi l’évolution de la province par rapport à l’exploitation du pétrole n’a pas connu d’effet positif, c’est parce que les hommes et les femmes se sont très mal comportés. Ils ont mal géré les ressources. Ils ont mal orienté les populations, d’où les résultats que nous connaissons aujourd’hui. Mais toujours est-il que nous avons encore de l’espoir et de la chance, tout simplement d’amener les uns et les autres à changer la manière de voir les choses et d’abord les questions de la population. Aujourd’hui, je reste convaincu que tant que les enfants de cette province ne s’approprient pas la gestion du développement de leur terroir, la province va rester longtemps dans cet état parce que nul ne peut développer chez vous en dehors de vous-même et vous seul, vous ne pouvez pas développer. Cela a été démontré partout à travers le monde qu’un pays ne peut pas se développer seul mais la première volonté viendra d’abord de ceux qui sont concernés de la chose. Ce que les autres ne comprennent pas, c’est que jusqu’à demain, Komé (qui abrite les champs pétroliers, Ndlr) dans la province du Logone oriental va rester et restera la tête de l’industrialisation du Tchad et c’est ce que beaucoup de gens ne comprennent pas. Pourquoi ? Parce que le projet pipeline est la principale tête de pont de l’industrialisation du Tchad de demain. Partout au Tchad, on peut avoir de pétrole, mais le seul chemin passe par l’oléoduc de Komé, et vous savez, ce que peut faire Komé comme une ville, comme effet positif à tout le parcours du pipeline. Bien que le pipeline est construit sur plus de 1000 kilomètres, nous avons environ 200 km sur notre territoire. Tout le reste est sur le territoire camerounais mais n’empêche, notre produit passe par là donc passe par le Logone oriental. Ce que j’aime bien, hier, nous avons à partir des entrailles de cette province extrait notre pétrole, elle va continuer à transporter sur son dos le pétrole pour amener au marché. Les exemples sont clairs à travers le monde que beaucoup de pays ont connu leur industrialisation à partir de l’or noir. Donc, quand on dit que notre pétrole est une malédiction, ce n’est pas vrai. Prenez le Tchad d’il y a 20 ans. Doba il y a 20 ans, n’est pas la même chose aujourd’hui. Malheureusement, on a mal géré les choses sur le plan national et sur le plan provincial. Le pétrole n’a pas créé de problèmes, c’est nous qui par notre comportement, par notre faute, n’avons pas su tirer profit réellement de ses avantages.
Vous dites qu’il y a espoir et que des efforts sont fournis. Quels sont les projets de développement en cours d’exécution dans la province, et plus particulièrement à Doba?
Le premier effort, sincèrement dit, ce sont les instructions que nous avons reçues, c’est de faire un compte-rendu. En effet, il nous a été demandé de faire un état des lieux, de donner les raisons parce qu’ici et N’Djaména, la manière de voir la province est complètement différente. Dès notre prise de service, il nous a été demandé en plus de faire l’état des lieux et de soumettre un rapport relatif à l’état d’esprit de la population. Comment elle conçoit sa situation actuelle et Dieu merci à moins de 3 mois, nous avons eu à côtoyer les uns et les autres (les jeunes, les hommes, les femmes, les sages, les religieux, bref tout le monde). C’est vrai qu’ils n’ont pas le même niveau d’ambition mais nous fait une descente au niveau de la population pour comprendre réellement son problème et déceler d’où il vient. Un rapport a été adressé à qui de droit. A partir de là, des instructions vont être données pour que les choses changent positivement. Nous voulons que le développement de la province s’initie à partir d’ici. Par exemple, s’il y a des échecs du comité des 5% à un moment donné, c’est parce que pour la plupart du temps, les initiatives en matière de développement de la province ont été prises à partir de N’Djaména. Cela ne colle pas avec la réalité. Ce n’est pas l’expression réelle des besoins de la population, mais plutôt celle de ceux qui, malheureusement, sont des commerçants véreux qui courent derrière les marchés, qui créent des situations, qui créent des marchés et demain, plus rien ! Il nous a été demandé de renverser cela. Que les ressources soient déployées, ne serait-ce que par rapport aux besoins réels et exprimés des populations avec l’appui bien entendu des techniciens en la matière. C’est seulement à ces conditions que les financements peuvent être disponibles. C’est ce que nous avons commencé depuis un certain temps. Les marchés à partir de N’Djaména, on n’admet pas. Donc, les premiers efforts, c’est d’amener la population à s’approprier réellement des ressources et besoins pour son épanouissement. Et pour parler de l’épanouissement de la population, il faut prioriser les besoins et c’est comme ça qu’avec le comité de 5%, nous priorisons le meilleur développement d’une société, d’une communauté, à savoir l’éducation. Comment croire que juste à 50 mètres de mon bureau, vous avez une école en paille? C’est inadmissible ! Il nous faut, non seulement investir dans les infrastructures mais surtout dans la formation des corps enseignants. Quand vous n’avez pas une bonne qualité d’enseignement, et l’un des gros problèmes au Tchad que nous avons c’est la mauvaise qualité de l’éducation et dans ce cas, c’est la mauvaise politique. Un mauvais produit, c’est une bombe à retardement. Et c’est ce que nous consommons sur l’ensemble du territoire national. C’est plus grave au Logone oriental parce que la taille de la population est plus grande qu’ailleurs et c’est ce qui fait que nous détenons le record des enfants non scolarisés. Comment faire pour renverser la tendance ? C’est vrai que pour les adolescents, c’est raté mais pour les enfants qui viennent maintenant, s’ils ont sept ans aujourd’hui et qu’il n’y a pas d’infrastructures, où il y en a mais de mauvaise qualité d’encadrement, 25 ans après, cela constituera encore source de problèmes. 25 ans encore après, vous conviendrez avec moi que si la taille de la population n’a pas triplé, elle va doubler. 25 ans, ce n’est pas loin et si la taille double, alors bonjour les problèmes et en ce moment notre responsabilité est engagée parce qu’on n’a rien vu venir et on n’a rien fait pour les générations futures. Donc, le premier investissement que nous devons faire, c’est par rapport à l’éducation, que chaque enfant de la province reçoive une éducation de qualité. L’autre priorité, c’est la santé. Malheureusement, ça fait mal au cœur. C’est très douloureux. Imaginez d’ici à 20 ou 30 km, pour quelqu’un qui tape une crise de paludisme, le moyen le plus rapide c’est la charrette. Là encore, imaginez les conditions de son transport, le temps-mis. La personne peut perdre sa vie. Imaginez une femme en travail, généralement les femmes tchadiennes accouchent à la maison, elles recourent aux hôpitaux que quand il y a des complications. A 100 mètres d’ici imaginez s’il y a des complications, dans quelles conditions elle sera transportée. Nous courons le risque de perdre la maman et généralement, on a tendance à sauver la maman et sacrifier le bébé, or en amont si les conditions permettaient le suivi de la grossesse dès le début, ça éviterait qu’on arrive à des situations pareilles, ce qui veut dire que la question de la santé est chaotique ici bien que des efforts soient fournis par les pouvoirs publics. À côté, on a beaucoup de partenaires que je salue au passage qui nous appuient beaucoup parce qu’ils ont pratiquement occupé tous les terrains que l’État n’a pas pu. Cela veut dire que la question de la santé publique doit être une priorité de façon que toutes les agglomérations reçoivent un centre de santé digne de ce nom. Malheureusement, qu’est-ce qui nous en a empêché ? Un marché attribué à quelqu’un qui construit un bâtiment et il disparaît. Or, la construction d’un centre de santé, de la conception à la finition, c’est technique. Et quand on dit un centre de santé, c’est sensé avoir tous les équipements. Mais le plus souvent, c’est un bâtiment qui porte le nom de Centre de santé alors qu’à l’intérieur il n’y a rien. J’ai vu même quelque part que ça sert à un camp de passage. Donc, ce n’est pas le bâtiment qui importe, c’est le plateau technique qui importe. Cela manque gravement dans la province.
Dans ce domaine de la santé, le Logone oriental manque de ressources humaines, matérielles, etc. Pourriez-vous en dire plus ?
Je ne fais pas de la démagogie mais ce qui est sûr, malgré les efforts fournis par les pouvoirs publics et par nos partenaires, le manque ou tout simplement dire que la couverture sanitaire n’est pas parfaite sur tous les plans. Dans notre province, qui compte 6 départements, 23 sous-préfectures et 50 cantons et où un seul canton ou un village peut dépasser de très loin beaucoup de sous-préfectures ailleurs en matière démographique, nous faisons face à des problèmes de la santé. Malheureusement, je ne peux pas vous énumérer exactement notre capacité en la matière ou surtout vous fournir une liste ou un état des lieux des équipements de la province. Ce qui est sûr, la couverture sanitaire est très loin de satisfaire les besoins de la population. Un effort doit être fourni à ce niveau pour que progressivement, nous arrivions à satisfaire un tant soit peu nos populations en matière de santé et surtout n’oubliez pas que nous sommes une province qui est au bas-fond du pays et généralement, elle reçoit tout.
L’école a été perturbée cette année en cours par de nombreuses crises. Comment fonctionne-t-elle ici au Logone oriental ?
C’est vrai que le système éducatif a été émaillé par d’interminables grèves qui, malheureusement, ont négativement impacté la formation des enfants. En ce qui concerne le Logone oriental, permettez au passage de saluer le corps enseignant de la province. À un moment donné, on s’est compris, ce qui a fait que les enseignants n’ont pas suivi la grève de N’Djaména. Ils ont continué à s’occuper normalement des enfants. Cependant, les difficultés sont très nombreuses partout au Tchad. Nos enseignants connaissent les mêmes problèmes mais ici, c’est encore plus grave. Premièrement, un enseignant quitte un village où il n’y a même pas un moyen de locomotion. Il lui faut deux heures, trois heures ou 4 heures d’auto stop. Dieu seul sait quand une voiture sortira, à défaut, soit il monte une moto avec tous les risques que cela comporte. On a enregistré plusieurs cas d’accidents comme ça et socialement, ils sont un peu perturbés. Quand vous avez votre famille à côté, ce n’est pas la même chose que quand elle est à N’Djaména, à Moundou, ou à 50 km d’ici. Vous gérez pratiquement deux foyers et au même moment, vos revenus ne sont pas à même de gérer deux foyers. Ça pose un problème social et celui qui n’est pas stable dans son foyer ne l’est pas dans sa tête. Nous comprenons parfaitement leur situation et nous saluons leur courage. Malgré ça, ils n’ont pas baissé les bras. Ils continuent à travailler parce qu’ils aiment leur travail. Ce qui veut dire que, globalement, la province a fonctionné dans le calme en matière éducative et par solidarité, les enseignants ont observé la grève à un moment donné puis ils l’ont levée, on ne se plaint pas de ce côté-là.
Sur le plan de la cohabitation, des conflits intercommunautaires ou éleveurs-agriculteurs émaillent votre province. Qu’est-ce qui est à l’origine de ces conflits et comment les gérez-vous ?
Vous touchez du doigt un vrai problème. Le problème fondamental même de la province. Malheureusement, les qualifications il y en a beaucoup. Tantôt on dit conflit agriculteurs- éleveurs, intercommunautaires. Avec la petite expérience que j’ai passée ici, honnêtement, c’est une accumulation de frustrations par chacun de nos populations et les gens sont rentrés en opposition pour un oui, pour un non. Ne cherchez pas les raisons ici. Elles sont profondes et nombreuses ailleurs et moi j’appelle cela de la frustration. Le fondamental ici, c’est qu’il faut restituer la dignité. Vous savez, l’homme accepte tout et se soumet à tout mais quand ça arrive au niveau de sa dignité, il est prêt à mourir. Alors là, il a complètement l’esprit bouclé, il ne comprend pas et ne veut rien savoir. C’est ce qu’on fait ici. Malheureusement, les gens ne veulent pas savoir. Je n’aime pas ce terme de cohabitation pacifique. Retenez bien ! Au Tchad, on n’a pas un problème de cohabitation moins encore au sud, moins encore à Doba. Quand on dit cohabitation, est-ce que moi citoyen ici pour voyager à N’Djaména, si j’arrive à la gare routière, est-ce que je vais choisir mon bus en fonction de l’appartenance ? Non ! Est-ce qu’on a vu ou entendu un jour quelqu’un dire : non, je ne monte pas le bus des musulmans, ou bien un Ngambaye dire que non, je ne monte pas le bus des Moundang ? Quand on dit que les gens ne cohabitent pas, c’est par rapport à des comportements comme ça. A la gare, au marché, à l’école, dans les rues, les gens n’ont pas ce problème. Vous venez dans les boutiques, c’est pour Bakhit, Ngar, (en fonction de l’appartenance religieuse), ce n’est pas votre problème. L’essentiel, c’est que vous êtes devant un article vous achetez et puis vous disparaissez. Jamais on n’a connu ce problème donc de grâce qu’on cesse de nous dire “problème de cohabitation pacifique”. Les problèmes qui existent sont la résultante de la mauvaise gestion des questions de terroir, la mauvaise gestion des terroirs et la manipulation des personnes mal intentionnées. Les questions, moi un administrateur, un préfet, un sous-préfet, un gouverneur, un commandant de brigade, je me positionne mal ou j’exploite cette situation à des fins personnelles, ça n’évite pas que les populations connaissent de problèmes. Sinon le plus vieux problème entre les humains sur terre, c’est la dévastation des champs. Dans le Coran et dans la Bible, on la trouve. Entre Salomon et David (Bible) ou Souleymane et Daoud (Coran). Le problème qui est ici, c’est celui d’insécurité. Le gros problème, c’est le conflit agriculteurs-éleveurs. Il se trouve que la culture est une activité et non une religion ; pareil pour l’élevage. Malheureusement, les faits au Tchad sont tels qu’on a catégorisé les choses. Pourquoi les gens sont amenés à ne pas accepter les autres ? C’est récurrent maintenant. D’abord c’est un fait, mais cherchons à savoir d’où vient le problème. Vous savez, vivre avec les autres, c’est par acceptation ou alors on s’impose. Quand c’est une imposition, même si vous êtes riche, même si vous distribuez de l’argent chaque jour, quand c’est une imposition, les gens n’acceptent pas. A tort ou à raison, les gens pensent qu’une catégorie de Tchadiens veut s’imposer à eux. D’où s’il faut régler le problème, il faut commencer par-là, savoir s’il y a une imposition ou pas. Sinon, autrement dit, le citoyen tchadien est appelé à vivre n’importe où sauf sous deux conditions : respecter les us et coutumes de la terre d’accueil. S’ils font quoi même ce n’est pas votre problème, c’est leur tradition. Et la seconde condition c’est la loi de la République, c’est la valeur positive. Les us et coutumes, il y a des choses quand elles sont négatives, on va avoir recours aux lois de la République ; quand elles sont positives, elles nous concernent. Malheureusement, jusque-là, les pouvoirs publics tchadiens n’ont pas eu à concilier ces deux positions. Le phénomène agriculteurs-éleveurs a existé depuis toujours. Pour autant, les techniciens en la matière ont défini les choses depuis longtemps. Les couloirs de transhumance, on a même matérialisé ; vous avez des bornes partout, d’ici jusqu’à Moussoro dans la province du Barh El Gazel, au nord de la capitale. Au désert, il n’y a pas de conflit agriculteurs-éleveurs puisqu’il n’y a rien comme pâturage. On a délimité les heures de pâturage, de stationnement mais il y a altercation entre agriculteurs-éleveurs. C’est seul l’Ondr (Office national pour le développement rural) en tant que technicien qui intervient, fait le constat, relève la situation et la chiffre. C’est techniquement connu et maintenant ce sont les commandants de brigade et les sous-préfets qui ont écarté les techniciens de l’Ondr. Et l’agriculteur, pour peu qu’on a dévasté son champ, pour une valeur de moins de 5 000 francs, est prêt à en découdre. C’est la longue frustration qu’on a accumulée et qu’on veut dégueuler. L’éleveur de son côté, au lieu de s’excuser, en expliquant que le berger s’était endormi, est prêt à payer. Combien ça vaut, se pose-t-il la question. Quand ils s’entendent entre eux, ça va faire encore davantage de l’amitié (parce qu’on dit que les bonnes amitiés, c’est dans les problèmes). Au lieu de faire ça, en donnant 5 000 francs à l’agriculteur, il va donner 10 000 francs au commandant de brigade. C’est ce que j’appelle “le jugement mal parti”. C’est une question de terroir qui éloigne les uns des autres. Et les éleveurs, comme ils sont un peu nantis, ils sont prêts tout de suite à faire quelque chose. Alors les gens ont un penchant vers eux. Tout ça, c’est la malhonnêteté des uns et des autres qui fait que les gens ont le mal de vivre ensemble, alors que les questions ne sont pas difficiles à solutionner. Pourvu que chacun joue son rôle, pourvu que l’autorité de l’Etat soit instaurée, pourvu que ceux qui incarnent l’Etat soient beaucoup plus objectifs d’assurance pour les uns et les autres. Quand l’agriculteur voit le commandant de brigade ou le sous-préfet, il est inquiet. Vous savez, même les éleveurs sont parfois victimes sauf qu’ils ne savent pas revendiquer leurs droits. Pour un oui, pour un non, on l’enferme et on lui impose des amendes forfaitaires et il paye sans poser des questions. Je mets tout ça sur le dos de la mauvaise gestion des terroirs. Si et seulement si ces questions étaient bien gérées, il n’y aura pas de problèmes. Un exemple : quelqu’un vient se plaindre chez moi ici en disant que l’agriculteur brûle les déchets (les foins et autres) de ses produits. Si c’est le feu de brousse, je peux intervenir mais quand il brûle les déchets de ses produits, c’est son problème, c’est pour lui. Si tu veux, vas négocier avec lui contre 5 000 francs, c’est faisable. Mais toi-même, tu t’imposes sur son champ ! Non, ça ne passe pas comme ça. Voilà le vrai problème. Et l’autre problème qui vient en seconde position, c’est l’insécurité des grandes villes et des axes routiers. Le phénomène des coupeurs de route, l’enlèvement des personnes ou enfants contre rançon, ça s’est développé sur la frontière camerounaise (Larmanaye et Baïbokoum), mais tout ça il faut mettre sur le dos de la pauvreté. Les Foulbés, éleveurs d’hier, qui étaient fiers de leur élevage, ont été appauvris. Ils n’ont plus rien. Maintenant, tout ce qui leur reste à faire, c’est de voler et comme ils ne connaissent pas les villes, ils se transforment en “zaraguina” (kidnappeur en langue peul), parfois en complicité avec les hommes en treillis. Ils louent les armes. Ils viennent et commettent leur forfait et se partagent les butins. Maintenant, comme les gens ont pris des dispositions sur les grands axes, parce qu’il y a les transferts, les comptes bancaires, les gens ne se promènent plus avec l’argent, alors le système qui leur reste c’est d’enlever quelqu’un contre rançon. Tout ça amène à dire que l’Etat doit jouer pleinement son rôle. Les efforts sont fournis, des moyens sont développés et nous, nous sommes appelés à nous atteler pour que la cité soit une cité où les gens vivent tranquillement. Au passage, globalement les tchadiens meurent, mais ici sur la question, je me suis rendu compte que les gens ne sont pas exigeants, ils ne demandent rien. Tout ce qu’ils demandent c’est de vivre en paix et en dignité. Vous trouvez quelqu’un sous un arbre avec un pantalon troué mais ce n’est pas son problème. Il est fier, pourvu qu’on le laisse tranquille, c’est tout ! Ça demande donc l’effort de tout le monde en commençant par nous. Et Dieu merci, depuis que nous sommes aux affaires, c’est faire comprendre à la population que nous ne sommes pas là pour nous mais pour elle-même. C’est à elle de venir pour qu’ensemble nous discutions. Ce n’est pas pour se plaindre, non ! On dénonce d’accord mais on doit fournir des efforts pour que les choses changent. Dieu merci on n’a pas connu un problème majeur même si par endroit, il y a des petits incidents qui sont créés. C’est aussi dire que les mauvaises habitudes ont la peau dure, ça ne quitte pas vite mais petit à petit on va amener les gens à comprendre qu’ici, tout le monde est citoyen tchadien. C’est vrai que dans la pratique, ce n’est pas la même chose, mais dans un foyer avec les enfants, c’est aussi pareil. Mais quand c’est flagrant, les gens n’acceptent pas. Tout ce que nous devons faire, c’est de permettre aux uns et aux autres de se sentir comme citoyen mais pas à l’état d’esprit actuel dont certains sont marginalisés, écartés, ils ne se sentent pas concernés par la chose. Il y a un mois, j’étais surpris. J’ai reçu des jeunes basketteurs qui étaient à Sarh (Moyen-Chari) et ils ont occupé la deuxième place. Pour les encourager, je leur ai dit qu’ils rentrent dans nos locaux. C’était pour la première fois qu’ils rentrent dans la résidence. D’où j’ai compris qu’ils sont marginalisés, c’est mauvais. D’où l’idée du fondement de changement de mentalité. Il faut d’abord l’équilibre au niveau des nominations.
Doba, la ville pétrolière, souffre-t-elle aussi des délestages intempestifs et des coupures d’eau ?
Rires ! Délestage ! Il faut d’abord avoir de l’électricité pour en parler. On n’en a pas du tout ! C’est un paradoxe. Une fois, j’avais dit que tel un cordonnier sans chaussure, on produit, il y a de l’électricité à Komé, à 11 km d’ici, mais on n’a pas d’électricité. Un seul vieux groupe qui démarre péniblement nous fournit l’électricité de 9 à 14 h, c’est tout. Toutefois, on a espoir par rapport à la promesse du président de transition lors de son passage ici en juin 2023. Il a promis à la population d’interconnecter Komé et Doba parce qu’il y a l’électricité là-bas 24 heures sur 24 et en quantité. Il y a environ un mois, j’ai fait le déplacement à l’occasion de l’arrivée de Madame la ministre de l’énergie et du pétrole à Komé et les responsables de Komé nous ont démontré que les études sont bouclées pour la construction aérienne de la voie d’électricité pour la connexion au réseau de Doba. Il reste le financement. Or bien avant, il y a quatre ou cinq mois, une délégation du ministère de l’énergie est arrivée avec deux entrepreneurs. Ils m’ont demandé de signer un document parce que je venais à peine de prendre service. J’ai dit non je ne peux pas signer un document comme ça. Le financement, c’est qui ? Qui vous a donné le marché ? Je ne signe pas. Ils sont repartis et quand la ministre est arrivée, elle m’a dit qu’elle n’était pas au courant du tout bien que c’est après sa nomination aux affaires. Ce qui est sûr, je vais rappeler au Chef, même pendant la campagne, par rapport à ce qu’il a promis. Je vais lui dire : patron vous avez promis, les gens vous attendent, surtout en campagne. N’oubliez pas. Instruisez seulement, ils vont construire. C’est une solution, même si vous n’avez pas d’argent maintenant. Malheureusement, on ne peut pas parler de l’électricité à Doba et vous savez quand il y a manque d’électricité, ça bloque tout. L’électricité c’est la vue et l’eau c’est la vie. Le manque d’électricité à Doba constitue un blocage à tout et empêche le décollage de la ville. Notre seul espoir reste la connexion de Komé. Le responsable de Komé nous a clairement dit qu’il y a 4 mégawatts disponibles à tout moment. Il suffit qu’ils établissent la connexion. Or, les besoins de Doba, même dans 10 ou 20 ans, ne peuvent pas dépasser 2 mégawatts. A l’occasion, je vais leur dire de drainer la connexion jusqu’à la grande voie bitumée pour répartir 2 mégawatts pour Bébedja et les 2 autres pour Doba. En amont, j’accuse les négociateurs du projet pétrole dès le début. Ils ont mal négocié. Leur seul objectif était coûte que coûte sortir le pétrole de terre. Ils n’ont pas vu à côté. Or ailleurs, les gens profitent (aéroport, électricité, bitumage des routes, etc.). Ce faisant, les pétroliers se sont moqués de nous. Même leurs propres installations sont dans quel état ? C’est inadmissible ! Et plus grave, depuis que le Tchad a nationalisé l’exportation de son pétrole, on n’a jamais fait un état des lieux (avec quoi on est parti, qu’est-ce qu’on a laissé, qu’est-ce qu’on doit faire ?).
Alors pour revenir à votre question, le vieux groupe de la Société nationale d’électricité fonctionne 4 ou 5 heures par jour. Là aussi, s’il y a du gasoil. Parce que malheureusement, ça prend 36 000 litres par mois alors qu’à Sarh, en un mois, il lui est livré 6 citernes. Ce n’est pas sérieux ! Tout cela, parce qu’à un moment donné, Doba a été étiquetée comme un enfant têtu. Personne ne défend ses causes et c’est les deux ou trois cadres qui gèrent toujours depuis l’avènement du Mps (Mouvement patriotique du salut) qui sont haut placés. J’ai discuté avec eux. Parfois, il faut reconnaître qu’ils n’ont pas aussi les moyens, mais ils ont contribué à la situation de la province. Parce qu’ils n’ont pas su qu’à un moment donné, il faut protester quand vous êtes à côté du chef, même si vous le suppliez, quand même un jour il va vous répondre. Mais quand vous ne dites rien, on abandonne aussi et malheureusement la province croupit. Et tant qu’on n’arrive pas à déconstruire les mentalités, on va souffrir pour longtemps.
Lors du passage du chef de l’état à Doba, quelle promesse a-t-il fait en faveur de l’urbanisation de la ville ?
Parmi les promesses phares faites par le chef de l’état lors de son passage ici figure également la construction de 15 km de voirie urbaine. L’entreprise Sogea Satom qui a bénéficié du marché est déjà sur le terrain. Elle a commencé avec les travaux de terrassement, mobilisé tous les matériels ; j’ai visité leur base, tout est là sauf qu’en amont, ils ont connu de retard en raison du financement et maintenant ils ont reçu un frais de démarrage de 3 milliards de francs CFA tout récemment à l’arrivée du ministre des Infrastructures. Nous avons tenu une rencontre, la société nous a assuré qu’avant la période des pluies, les rues et les ruelles seront préparées pour recevoir le goudron. Le goudron sera posé après la saison des pluies. Concrètement, le chantier sera livré après la saison des pluies. L’autre gros problème de la ville, c’est l’élargissement des ruelles, parce que les maisons seront cassées. Un délai a été accordé aux riverains pour libérer leurs maisons par leurs propres moyens.
Propos recueillis par Nadjidoumdé D. Florent