Après plusieurs manifestations de protestation organisées pour réclamer la traversée du pont de Nguéli et se rendre au marché de Kousséri avec leur tricycle, les personnes en situation de handicap ont eu gain de cause. Elles s’organisent pour leur déplacement.
Les personnes en situation de handicap sont venues des différents quartiers de la ville de N’Djaména pour se retrouver à leur lieu de rencontre habituelle au sein de l’école Chagoua Fdar. Le but de leurs retrouvailles, répondre à l’appel lancé par leur porte-parole, Ali Oumbedé Justin. Cette mobilisation observée fait suite à l’acceptation du gouvernement de leur permettre de traverser le pont de Nguéli reliant N’Djaména et Kousséri, la ville voisine camerounaise pour l’achat des marchandises à revendre dans les différents marchés de la capitale tchadienne.
“Nous avons enregistré presque 200 personnes handicapées désirant traverser le pont de Nguéli avec leurs tricycles pour aller à Kousseri. Cet enrôlement nous permettra de connaître notre nombre pour la constitution de notre base des données. Nous allons ensuite confectionner des badges et procéder aux numérotations de nos tricycles ; et pour cela, nous avons fixé un taux de 5 000 francs à payer pour les vélos et 10 000 francs pour les motos”, justifie Ali Oumbedé Justin. Pourquoi faire toutes ces démarches ? Le porte-parole des personnes handicapées dit ne plus avoir besoin des brebis galeuses en leur sein. Leur vouloir c’est de travailler avec ceux qui vont accepter de se soumettre à la loi, permettre aussi à la douane de bien les contrôler et ne pas être embêté en route durant leur trajet. “Chaque handicapé doit accepter de se faire fouiller. Pour tous ceux et celles qui seront surpris par la douane avec des marchandises interdites comme les armes, les tramols, etc., ils répondront de leurs actes s’ils sont régulièrement inscrits sur notre liste. Nous allons nous-mêmes aider les forces de l’ordre à faire leur travail”, martèle-t-il. Il y aura, dit-il, des rencontres qui seront d’abord organisées en interne pour venir en aide à ceux qui n’ont pas la possibilité de payer le montant fixé et aussi d’autres rencontres avec la douane et le ministère de la Sécurité publique pour définir les modalités organisationnelles pour aller à Kousséri. “Est-ce que cela va avoir lieu une, deux ou trois fois par semaine ? Nous n’en savons pas trop. C’est pourquoi, il est utile que nous voyons cela avec la douane et tous les autres services concernés”, avance-t-il avant d’ajouter que tant qu’ils ne sont pas bien organisés, aucune personne ne sera autorisée à traverser.
En effet, cette lutte engagée par les personnes en situation de handicap fait suite à l’attaque terroriste des éléments de Boko-haram à Kousséri. Ceci a amené l’État tchadien à fermer ses frontières avec le Cameroun. Il s’en est suivi la pandémie du Covid-19. La vie est devenue difficile pour ces personnes handicapées parmi lesquelles certains ont été renvoyées par leurs bailleurs parce qu’ils n’ont pas de moyen pour payer le loyer. Des couples ont divorcé parce que l’homme n’arrive plus à assurer ne serait-ce qu’un repas par jour. Des enfants ont été renvoyés de l’école, etc.
Lorsque le gouvernement a pris la décision d’ouvrir les frontières en juin 2021, les personnes handicapées ont cru que leur calvaire prenait fin, car disent-ils, “nous avons traversé une dure épreuve pendant que la frontière a été fermée”. Ils se sont donc rendus au pont de Nguéli pour traverser et reprendre leurs activités. Leur surprise a été grande à la frontière. Ils se sont heurtés aux difficultés de garer les tricycles du côté tchadien et de ramper pour aller chercher les marchandises de l’autre côté du Cameroun. Ali Oumbedé Justin et ces compagnons ont trouvé inadmissible cette décision. Ce qui a occasionné une dispute entre eux et la douane tchadienne qui les avait empêchés de traverser avec leur tricycle. Cette brouille a duré toute une journée. Et c’est quand les douaniers se sont retirés pour la prière du soir que les personnes en situation de handicap en ont profité pour traverser et aller se réfugier du côté de Kousséri. Après avoir passé quelques jours dans des conditions très difficiles sous les arbres et à la merci des intempéries, la police camerounaise a été obligée de les rapatrier manu-militari à N’Djaména faisant quelques blessés dans leurs rangs. “De retour à N’Djaména, nous avons tenté de négocier avec les autorités pour qu’elles nous autorisent l’accès avec nos tricycles à Kousséri. Cela n’a malheureusement rien donné comme résultat. Ne pouvant rester sur place et mourir de faim, l’unique option qui s’offrait à nous était de sortir dans la rue. Etant donné que nous n’avons pas de pied pour marcher comme les autres manifestants à l’exemple de Wakhit Tamma ou les militants du parti Les Transformateurs, nous nous sommes lancés dans la rampe”, explique Ali Oumbedé Justin. Selon lui, N’Djaména compte plusieurs associations des personnes en situation de handicap toute catégorie confondue avec une association faîtière qui, insiste-il, a refusé la lutte pour l’ouverture de la route de Kousséri. C’est pourquoi beaucoup de personnes n’ont pas compris le but de la lutte au début. “Ce qui nous réjouit aujourd’hui, c’est le fait qu’après 7 mois de lutte soldée par des arrestations et d’inhalation de gaz lacrymogène, nous sommes arrivés au bout du tunnel”, se réjouit le meneur de la lutte, Ali Oumbedé Justin.
Modeh Boy Trésor