“J’ai décidé de ne plus rester spectateur”

A travers cet entretien exclusif accordé à votre journal, la figure de prou de la musique tchadienne, Maoundoé Célestin descend dans l’arène politique et se prononce sur le dialogue national.

  En tant qu’artiste et citoyen, c’est quoi le dialogue national pour toi ?

J’avoue que je ne m’intéressais pas à de tel sujet, parce que je me suis toujours dit que ce sont les mascarades des politiciens, pour encore mettre de la brume dans les yeux.  Mais c’est en postulant pour un projet du Pnud “Les voix” que je me suis rendu compte qu’il fallait chercher à argumenter et essayer de comprendre également si c’est un engagement ou non. Naturellement, je me suis engagé en tant qu’artiste et citoyen au-delà de faire ce projet. Et si je dois m’engager, pourquoi je le fais et est-ce vraiment important ? Après, quand j’ai analysé l’environnement politique, je me suis dit que pendant longtemps, on a laissé le pays entre les mains des politiciens, chacun a toujours défini à sa manière, si ce ne sont pas les politiques, c’est l’armée. Ainsi, je me suis dit qu’il était important de m’engager d’abord personnellement et essayer de porter aussi la voix, et dire aux gens de ne pas rester en retrait, mais de s’engager dans ce dialogue, non seulement pour son aspect politique, mais également sur le plan social, économique et culturel. C’est pour ça, que ce dialogue est important pour moi. Je ne veux plus être cet artiste de pause-café. Je suis un acteur de développement. Je sais ce que je fais et ce que j’apporte dans la société aujourd’hui et demain à mon pays. J’ai décidé de ne plus rester spectateur mais être acteur.

  Qu’attends-tu de ce dialogue ?

Que le mot dialogue prenne tout son sens. Qu’on ne fasse pas des choses pour plaire aux chefs des partis politiques, au Conseil militaire de transition (Cmt) ou aux membres du gouvernement de la transition. Il faut qu’à un moment, on arrive à dire les choses avec bienveillance. Nous avons un pays et des enfants. Mes attentes c’est qu’il y ait une vraie remise en question, parce qu’il n’est pas impossible d’aimer. A un moment, il faut comprendre qu’il y a un pays à aimer et à chérir. Et à partir de ce moment, cela nous permet de dire s’il y a un pays à aimer, il faut songer à son avenir. C’est le citoyen qui parle.

Maintenant en tant qu’artiste, j’aimerais avoir un environnement favorable pour m’exprimer dans mon art, avoir des dirigeants qui vont respecter mon métier, et dire que ce métier a de la valeur ajoutée pour le pays. C’est très important. La culture permet aussi à un peuple de se définir et non être là pour permettre de manipuler les jeunes quand on a besoin de séduire les électeurs, etc. On a besoin des artistes parce qu’ils ont des visions de la société qu’on peut partager. Personnellement, en tant qu’artiste, je ne veux plus me laisser définir par un politicien qui qu’il soit. Qu’il soit au pouvoir ou de l’opposition. Je sais ce que je suis et ce que je vaux. Qu’ils fassent leur politique et nous laissent faire notre art. Que les médecins sauvent des gens, les enseignants instruisent et éduquent, que chacun apporte sa pierre à l’édifice.

  Que t’inspirent les reports successifs du dialogue national inclusif et souverain ?

Ça veut dire qu’il y a toujours un problème de sincérité derrière. Il faut qu’à un moment, on règle ce problème de sincérité. On ne va pas au dialogue juste pour la façade et j’ai l’impression que les gens veulent des choses pour sauver des façades. On fait des choses parce qu’on y croit. C’est cela qui peut permettre de les changer. Certains voient en cela l’occasion pour se faire de l’argent, se positionner politiquement. Certes, on ne peut pas empêcher aux gens d’être égoïstes ou avoir des intérêts personnels, parce que ça fait partie de la nature humaine. Mon problème, c’est de savoir est-ce qu’on aime ce pays ? A partir de la réponse on peut avancer.

  Qui doit prendre part au dialogue, selon toi ?

D’abord ceux qui ont des choses à partager. On va au dialogue parce qu’on est tous conscients qu’il y a eu des faux départs, des mauvais virages. Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est parce qu’il y a eu des laisser-aller au niveau des détournements, il y a eu des frustrations. Si on se décide à aller au dialogue, c’est parce que quelque part, on a encore quelque chose en commun qui est le Tchad. Et qu’on aimerait s’asseoir et en parler. Je pense que cela est possible. Donc, ceux qui doivent aller au dialogue, sont ceux-là qui ont réellement de l’amour pour ce pays et quelque chose à apporter. Pour moi, ce n’est pas juste aller remplir des formalités. Quand on était jeune, je me rappelle qu’on nous disait que les gens qui étaient à la Conférence nationale souveraine (Cns) sont allés pour les per diem. C’est vrai que ce pays a atteint un stade de corruption et d’injustice très élevé, mais rien n’empêche que les gens l’aiment. Que le comité d’organisation du dialogue ne soit pas là pour le pouvoir ou pour un parti quelconque, mais qu’on permette aux gens de s’exprimer.

  As-tu le sentiment que les tchadiens sont prêts pour le dialogue ?

Est-ce qu’on est prêt pour aimer son pays, je ne sais pas. Ce sont des choses qu’on ne choisit pas. C’est la volonté qu’on va se donner qui va déterminer. Peut-être qu’hier on n’était pas prêt et que demain on ne le sera pas. Est-ce qu’on était prêt pour voir mourir le Maréchal du Tchad et que les choses allaient prendre cette tournure ? Si des situations arrivent, il faut se mettre dans la danse et surtout penser qu’il y a un pays à aimer et penser à son avenir.

  Quel est ton message aux tchadiens par rapport au dialogue à venir ?

Déjà il faut s’intéresser et non rester en arrière pour dire que cela ne va pas aboutir. Si sur les 17 millions de Tchadiens, 500 ou 1000 personnes s’y intéressent cela va attirer l’attention. Parfois, on ne demande pas de vous engager directement mais de vous intéresser à la chose. C’est d’abord cela qui est important. Après, cela va certainement vous donner des idées à proposer et surtout à être attentif à ceux qui parlent en votre nom. Si tu ne t’y intéresses pas, ils vont parler en ton nom et définir selon leurs critères qui ne sont pas forcément ta définition. Intéressons-nous au dialogue, c’est cela mon message.

  Autres choses à ajouter ?

Evidemment il y a beaucoup à redire. Mais sur ce projet baptisé “Fadalngom” avec lequel on a postulé avec l’association Au nom de l’art, cela nous a donné d’autres idées. Aujourd’hui, ce projet est ouvert aux autres artistes, parce que nous avons juste assis le socle et nous sommes ouverts à ceux qui voudraient apporter leur pierre pour le bâtir. A l’intérieur de ce projet, il y a une chanson “Hini da Tchad” (entendez ici c’est le Tchad) en arabe local, qui a été rééditée, qui figure dans l’album Au nom de l’art. Cette chanson exprime la fierté d’être tchadien et si tu n’aimes pas ce pays, tu ne pourras pas penser à la paix et au dialogue. Cet album Au nom de l’art est devenu aujourd’hui un vrai engagement citoyen, parce que nous irons en tournée dans les provinces pour rencontrer des jeunes, ramener les potières de Gaoui au sud pour faire de la peinture murale avec leurs sœurs du sud, construire des salles de classes en amenant les populations à s’approprier eux-mêmes le travail et non attendre une quelconque assistance. Surtout pour des choses que nous pouvons faire, alors qu’il y a tellement des jeunes en chômage. On n’a pas besoin d’attendre les politiques pour cela. L’album est déjà sorti mais on compte faire un lancement officiel dans le cadre de ce projet au mois de septembre prochain. Et également faire venir les autres artistes qui sont intervenus sur le projet, pour proposer d’autres démarches artistiques à la culture tchadienne.

Interview réalisée par Roy Moussa