“Je fais beaucoup plus du mécénat que du business”

Marabaye Datolbi Roger, est un jeune entrepreneur du domaine de la maintenance en froid, climatisation et des ascenseurs. Il croit qu’investir dans les artistes peut être porteur, à condition qu’ils veuillent bien aller à l’école de la vie et aussi de l’art.

Roger représente au Tchad la société Sodimas, une entreprise de fabrication des ascenseurs. Son histoire avec les artistes remonte en l’an 2000 à Moundou, quand tout jeune, il gérait le plus grand bar dancing appelé “La croisière nouvelle formule’’. C’est à partir de là où il a commencé à donner des coups de pouce aux artistes avant de remonter sur N’Djaména. Actuellement, il gère le Concept bar qui est devenu plus ou moins, un espace culturel très prisé par les artistes, qui s’y produisent quasiment tous les weekends. Choisir d’investir dans l’art ou dans l’accompagnement des artistes sous le ciel tchadien, n’est pas évident pour plusieurs raisons : ils sont réputés très ingrats, pas du tout reconnaissants envers leurs bienfaiteurs, mais aussi pour la  grande partie sans une vision ou projet de développement de carrière. La preuve, chaque année, beaucoup arpentent les couloirs du ministère en charge de la culture, pour les mêmes motifs : production d’albums, réalisations des clips, tenues de festivals, etc. Des activités rarement évaluées, qui constituent des gouffres à sous sans retour sur investissement.

Roger qu’on appelle tantôt dans le milieu manager, tantôt Dg, préfère relativiser avec des propos condescendants. “Le mot ingrat est trop grand. Je pense qu’ils ne savent pas ce qu’ils cherchent. Si on va avec un mécène ou promoteur, qui cherche de l’argent afin que tu avances dans l’art, et que tu utilises cet argent pour t’acheter des habits, motos, faire la fête, ce n’est pas cela le but recherché. Quand on met l’argent, c’est pour te faire avancer dans ton art et non pour les tape-à-l’œil. J’ai beaucoup d’exemples de ce genre mais je ne voudrais pas en citer”, observe-t-il. Et d’ajouter que “quand on gère un bar-dancing, certainement on est mélomane et l’amour de la musique nous conduit à nous intéresser aux artistes”. C’est d’ailleurs pour cette raison que Roger a commencé à investir. “Même si à un moment on se dit qu’on fait du business, on ne cerne pas très bien les contours, ce qui nous a amené à perdre beaucoup d’argent. On a quand même essayé, même si cela n’a pas marché. Par exemple à Moundou, j’ai essayé avec le regretté Saint Mbété Bao avec lequel nous avions signé un contrat de production de son troisième album, je crois. Généralement, les sorties des albums se passent vers la fin d’année, et  pour cela, je m’étais déplacé sur Douala (Cameroun) où j’ai mis un mois. J’y ai mis beaucoup d’argent et c’est là-bas que notre problème avait commencé. Saint Mbété n’avait pas voulu que mon séjour soit pris en charge par le projet de production d’album. Donc, j’ai commencé à perdre de l’argent, ensuite la distribution et la commercialisation n’ont pas donné les résultats escomptés. Cela ne m’a aucunement découragé”, raconte-t-il sa mésaventure.

Les œuvres du mécène

Pour le manager Roger, il ne faut pas s’attendre à un retour sur investissement en accompagnant les artistes pour le moment. Il s’encourage à dire que rater le coach une fois n’est pas la fin de la vie. En 2008, il décide de tendre la main à la voix montante de la musique tchadienne, Mélodji Clarisse. Il l’accompagne dans la réalisation de deux clips de son album produit par un tiers, qui passent régulièrement sur la chaîne internationale Trace Tv. Ce qui a eu le mérite de booster son image, pour la suite de sa carrière, où elle a été finaliste du prix Découvertes Rfi en 2015. C’est un motif de satisfaction pour Roger. “Nous n’avons pas signé un contrat quelconque de production avec elle. Je fais beaucoup plus du mécénat que du business. Je l’ai fait parce que c’est une fille qui a une voix, du talent et de la volonté pour réussir. Aujourd’hui, si elle réussit à s’entourer d’un staff vraiment professionnel, elle va beaucoup faire parler de la musique tchadienne à l’international”, plaide le mécène. Pour l’heure, il arrive à Marabaye Datolbi Roger de répondre aux sollicitations, autant qu’il peut et apporte sa contribution. Il avoue que s’il y a un artiste très proche de lui, c’est Maoundoé Célestin, un petit-frère avec qui il a choisi d’être plus ami. Quand il a envie de discuter des aspects relatifs à l’art, il le contacte parce que, dit-il, Maoundoé lui apporte beaucoup avec son expérience artistique à l’international. Mais “il y a également le rappeur Sultan, qui est aussi un très bon gars avec lequel on peut entreprendre des aventures artistiques et culturelles. Avec lui, on avait projeté d’organiser le marché de Noël en décembre 2019, mais cela a capoté faute de partenaires pour nous accompagner. Il m’avait soutenu et accompagné jusqu’au bout. Tout le monde m’approche en pensant que j’ai beaucoup d’argent pour cela. Mais je me sens quand même utile pour les artistes, parce que déjà au niveau du Concept, nous avons dégagé cinq millions de francs pour acheter du matériel de concert et le mettre à leur disposition. Cela leur permet de s’exprimer dans un cadre adapté et au public de découvrir leurs œuvres”.

L’avènement de la Covid-19 en mars 2020, précédé de l’environnement économique morose lié aux 16 mesures et à l’augmentation des prix des boissons par les brasseries, ont impacté négativement les activités du Concept et réduit les marges bénéficiaires. Jusque-là, le promoteur avoue n’avoir pas encore vraiment trouvé une formule pour relever le niveau des recettes. Les artistes qui prestent gagnent un montant sur le bouchon des bouteilles vendues, mais ont en charge l’entretien du matériel. Le concept dispose d’un groupe de musiciens à qui le matériel est confié pour le travail, mais ils ne sont pas payés par le Concept. Chaque vendredi, samedi, dimanche et jours fériés, ils animent et se font payer sur le droit des bouchons. Tout ce qu’on appelle “gombo” leur revient. “En temps normal, ils s’en sortent très bien, malgré cela ils se lamentent alors que c’est une question de mauvaise gestion. Par soirée, ils ont autour de 15 000 francs CFA chacun. Pour quelqu’un qui veut grandir, quand il touche son pactole la nuit, il ne rentre pas avec directement. En quittant le concept vers 23 h, ils vont encore faire la fête, dilapident tout leur argent, s’endettent quelquefois et arrivent le lendemain sans un jeton. Or trois soirées leur rapportent 45 000 francs par semaine, ce qui fait 190 000 francs le mois. C’est plus que le salaire d’un licencié au Tchad. S’ils épargnent 30 000 francs par mois, au bout d’une année, ils sont millionnaires et peuvent investir dans un petit commerce. C’est une question de prise de conscience et aussi avoir un peu de jugeote. Les artistes qui veulent se produire ont deux options: soit ils louent carrément le coin, renforcent le matériel ou arrivent avec les leurs. Ils fixent leur droit d’entrée et imposent la tarification sur les boissons, et nous on perçoit le loyer par soirée. Soit ils perçoivent sur les droits de bouchon et négocient pour avoir une entrée payante qui va de 1 000 à 2 000 francs”, justifie Roger.

Marabaye Datolbi Roger conseille les artistes à aller à l’école. Qu’ils soient d’abord formés pour la vie, savoir comment se comporter au milieu des gens, vis-à-vis des partenaires et d’eux-mêmes en tant que personne. Ensuite, il faut aussi les former artistiquement. “On ne se lève pas un beau matin pour dire qu’on est artiste. Ceux qui ont l’expérience de l’extérieur en savent quelque chose. Il y a un travail à faire, qui commence par l’apprentissage. Il ne faut pas compter sur l’argent d’un tiers pour devenir artiste. C’est par ton travail que tu gagneras de l’argent et tu deviendras un grand artiste”, exhorte-il.

Roy Moussa