“Je suis convaincu qu’un Tchad nouveau naîtra si nous sommes capables de tuer la haine et le mépris qui encombrent nos cœurs”,

déclare Monseigneur Djitangar Goetbé Edmond, Archevêque métropolitain de N’Djaména qui s’exprime en exclusivité dans nos colonnes sur l’actualité de l’Eglise, les récentes tragédies d’Abéché et de Sandanan tout en jetant un regard sur le dialogue national en préparation.  

  Vous rentrez de l’Association de la Conférence des Evêques, Région Afrique centrale (Acerac). Que peut-on en retenir ?

Je viens de rentrer en effet de la réunion du Comité permanent de l’ACERAC qui s’est tenue du 21 au 27 février 2022 à Mongomo en Guinée Équatoriale. Nous avons procédé aux derniers préparatifs de l’Assemblée générale qui aura lieu du 17 au 24 juillet prochain sur le thème : “Le mouvement migratoire des jeunes dans la sous-région Afrique centrale, signe d’un malaise social”. L’Eglise de Guinée Equatoriale et son peuple sont fin prêts à offrir la meilleure hospitalité à toutes les délégations des Eglises catholiques d’Afrique centrale.

  Que vous inspire les massacres de Sandana, d’Abéché et les manifestations populaires qui en résultent et dont vous avez été victime ?

De l’horreur ! Les massacres à répétition de paisibles citoyens qui se passent dans toutes les régions du pays sans réaction ou sanction de justice contre les auteurs, ternissent l’image de notre pays comme “Etat de droit”. Si la justice est muette, les populations n’ont pas d’autres choix que d’exprimer leur douleur de différentes manières… Même cela semble illégal aux yeux des autorités qui répriment à tour de bras. Alors je me demande, où allons-nous ?

  De votre œil de pasteur, avez-vous eu le pressentiment que cela pouvait arriver ?

Ce n’est pas une question de simple pressentiment. Tout observateur attentif de ces massacres peut se rendre compte que c’est l’impunité des uns et les interventions répressives disproportionnées de l’Etat contre les autres qui provoquent la multiplication de ces situations.

  Cette situation constitue un défi pour les gouvernants et le peuple. Que peut-on espérer ?

Aux gouvernants d’agir avec responsabilité pour appliquer la loi et rétablir la justice dans les relations entre les citoyens. Alors le peuple se sentira sécurisé et aura confiance en ses gouvernants, autrement nous allons vers la dislocation de ce peuple que nous voulons constituer.

  Vous avez essuyé des tirs de grenades lacrymogènes au cours de la manifestation du 15 février. Quelle serait votre réaction si cela arrivait à l’un des autres leaders confessionnels ?

L’Eglise catholique a, au nom de sa foi et de sa doctrine sociale, toujours prôné sa solidarité avec les pauvres, les petits, les faibles et tous ceux qui souffrent dans la société. Ce qui m’est arrivé est une simple illustration logique de ce choix préférentiel au nom de l’Evangile ; mais nous ne voulons l’imposer à personne. Si cela arrivait à un autre leader religieux, je le féliciterais et lui exprimerais ma sympathie et mon admiration.

  Quels regards portez-vous sur les préparatifs du dialogue national inclusif ?

Le dialogue national inclusif se prépare en saccades… Je m’explique : après la fébrilité avec laquelle ont été organisés les pré-dialogues au niveau des régions, on assiste à un débrayage suite à la difficulté de l’organisation du pré-dialogue avec les groupes armés. On espère que le “glissement” constaté dans le calendrier ne devienne une glissade vu l’opacité qui demeure autour de certains aspects de la préparation du dialogue national inclusif.

  Et pourtant, vous les leaders religieux, vous en aviez été écartés !

Cela ne m’étonne pas. Au Tchad, les leaders religieux sont considérés comme des pompiers… On a besoin d’eux quand l’incendie est déclaré. Même si nous n’avons pas été directement impliqué dans la mise en place des institutions au départ, ne serait-ce que sous forme de conseil ou d’information, nous avons néanmoins été sollicités après-coup pour participer à la réflexion… Peut-être pour donner un peu de crédibilité à la démarche. Nous avons délégué deux prêtres dans le Comité chargé du dialogue et de la réconciliation.

  Malgré cela quel sera votre apport au dialogue pour une paix durable souhaitée par le peuple tchadien ?

Notre Eglise a deux mille ans d’histoire et a accumulé beaucoup d’expériences en matière de médiation et de réconciliation. La vie de notre Eglise actuelle peut être une référence pour encourager ceux qui ont des doutes ou des craintes sur l’aboutissement de ce dialogue : la réconciliation. La refondation du Tchad sera exigeante et demandera le renoncement aux idées reçues et le sacrifice des intérêts personnels. L’égalité en droits et en devoirs de tous les citoyens devra être admise comme règle fondamentale du dialogue et nous y tenons comme condition sine qua non.

  En tant que pasteur de l’Eglise, quelle forme de l’Etat les Saintes Ecritures vous inspirent-elles pour le Tchad ?

Les Saintes Ecritures n’indiquent pas une forme de l’Etat explicite : le peuple d’Israël dont nous avons hérité de la foi a connu la théocratie, la monarchie avant de finir par être intégré à l’Empire grec puis romain… La vie des citoyens est réglée par la loi des autorités politiques que nous respectons quelles qu’elles soient ; mais pour nous, quand la loi des hommes est en contradiction avec la Loi de Dieu, c’est la Loi de Dieu qui prévaut … mais nous renvoyons chaque fidèle à la liberté de sa conscience.

  En tant que citoyen tchadien, quelle forme de l’Etat souhaitez-vous pour le Tchad ?

Je l’exprimerai par suffrage au prochain référendum sur la forme de l’Etat… si référendum il y a. Et j’accepterai les résultats si le référendum est transparent. Dans tous les cas, le scrutin est secret alors il n’est pas nécessaire que je vous dise ma préférence !

  En ce début du carême, quel message peut attendre le peuple en cette période de transition ?

Nous avons souvent comparé la marche du Tchad vers la normalisation de sa vie sociale et politique avec la marche de l’Exode qui a conduit le peuple d’Israël vers la Terre promise… Ce ne fut pas sur une autoroute mais à travers le désert du Sinaï, un chemin semé d’obstacles et de dangers. Dieu a fait errer ce peuple pendant 40 ans… alors qu’en trois jours on eut parcourir la distance… Dieu a voulu que ce soit une génération nouvelle qui entre en Terre promise après avoir appris à marcher avec persévérance dans la Loi de Dieu. Notre pays aussi traverse un temps de désert et n’arrivera à la normalisation de sa vie nationale qu’en surmontant les égoïsmes, les préjugés culturels et religieux hérités des générations précédentes : ce sont-là les obstacles à la paix dans nos relations intercommunautaires. Pour conclure, je suis convaincu qu’un Tchad nouveau naîtra si nous sommes capables de tuer la haine et le mépris qui encombrent nos cœurs… Je vois une nouvelle génération d’hommes et de femmes de grande valeur, capables de dialoguer et de s’entendre pour conduire ce peuple rénové et qui recouvrera sa vraie place dans le concert des nations : il faut leur faire de la place.

Interview réalisée par Djéndoroum Mbaïninga