A Sarh, chef-lieu de la province du Moyen-Chari, lorsque vous longez l’avenue Kaskanaye, en partant de l’aéroport vers le quartier Maïngara, vous trouverez en face du commissariat central de police, un écriteau sur fond rouge, qui vous montre “l’Institut des beaux-arts Pablo Picasso du Tchad”.
C’est le temple des connaissances, de savoir-faire et de la transmission du savoir des beaux arts, créé il y a une trentaine d’années, par Djimasra Emmanuel, artiste peintre professionnel. Plusieurs panneaux signalétiques réalisés sont entreposés à l’entrée de la réception; l’intérieur en jonche aussi. L’homme est reconnaissable à sa frêle stature élancée, et se déploie tel un échassier, pour accueillir ses visiteurs. Ce qui frappe aussi chez lui, c’est son style vestimentaire qui le caractérise. Tantôt il est identifiable à un touareg du désert par sa tunique bleue, composée de djellaba et turban de même couleur, tantôt à un rasta man lorsqu’il décide d’être dans ses accoutrements faits de pantalon jean’s, T-shirt et bonnet ou béret.
Toujours souriant, il rassure, lorsqu’on veut savoir un peu plus sur son métier, sur les conditions de son exercice ainsi que son parcours. “Je vis de ma passion. C’est depuis l’école maternelle que je m’intéressais à cela. Au fil des années, j’ai fini par intégrer le centre artisanal pour être formé dans le domaine, et j’ai embrassé la carrière. Au centre, nous avions plusieurs domaines et la section artistique est multiple. Il y a l’artisanat et aussi l’artisanat d’art. J’ai été formé en maroquinerie, peinture, céramique. Je crée aussi des designs et suis céramiste qualifié. L’art plastique en général, je m’y trouve là dedans”, confie-t-il, en ce qui concerne son parcours. Manu Picasso informe aussi qu’il est de la dernière promotion 1987-1990, avant la fermeture des centres de formation en 1992.
La création de l’Institut des beaux-arts est survenue lorsque, agent commercial à la Manufacture des cigarettes du Tchad (Mct), il avait effectué une retraite. A son retour, il lui a été signifié qu’il n’y avait plus de place de disponible. Il décide alors de s’installer à son propre compte. “J’ai ouvert ma propre structure à travers cette institution. Je continue de former les jeunes, qui arrivent suite à un test de présélection. On les recrute en tenant compte de leur cursus scolaire. Mais cela n’empêche pas qu’on forme aussi les enfants de la rue et ceux qui sont démunis, mais passionnés par le métier. Nous organisons des formations à la carte aussi, de façon individuelle ou collective. La durée de formation dépend des postulants, ce qui permet d’aménager et d’adapter les programmes. Il y a des formations de trois mois ou d’un an, mais aussi des formations académiques de neuf mois. Les formations dispensées sont dans le domaine de maroquinerie, céramique, dessin publicitaire et peinture. A ce jour, j’ai formé près d’une centaine de jeunes, dont certains se sont installés à leur propre compte à N’Djaména”, renseigne Manu. Néanmoins, il reconnaît que ce métier passionnant n’attire pas beaucoup de gens, car il faut toujours les stimuler, afin qu’ils le comprennent. “Aujourd’hui, beaucoup d’établissements scolaires et leurs responsables sombrent, parce qu’ils ne savent pas et ne comprennent pas qu’en intégrant l’art dans les programmes (matières), ils peuvent redonner vie à leur établissement”, justifie l’artiste avec regret. Il ajoute que le fait que la première école des arts appliqués soit créée à Sarh, est une source de motivation pour continuer à former et perpétrer un enseignement qui est à la fois utile et indispensable.
La méconnaissance d’un secteur porteur de potentialités
Une passion dont l’exercice ne se passe pas sans difficulté, reconnaît Picasso, qui admet qu’au-delà de la passion, il n’a pas et n’a jamais reçu de financement, cherche et n’en trouve pas. Ce qui fait qu’il vole de ses propres ailes en plomb, selon ses termes. “Mais je tiens par la passion et la volonté, avec ces difficultés depuis plus de trente ans. Sur le plan institutionnel, j’ai une collaboration avec le Centre de formation artisanal de Sarh, qui est en état de somnolence aussi. Je collabore aussi avec des structures privées, dont certaines me permettent de prendre part à des foires nationales et internationales, à des festivals. Mais là encore, pour établir un partenariat durable, ce n’est pas facile. C’est là où le bât blesse. On se défend pour défendre notre art”. Sans pour autant se laisser aller au désespoir, Manu Picasso regrette qu’“au niveau de la délégation provinciale du ministère en charge des arts, généralement, ceux qu’on responsabilise ne maîtrisent pas le domaine. Donc la collaboration est souvent difficile, à cause de leur vision étriquée. Or une institution culturelle et artistique fait partie de la vitrine d’un pays. Mais c’est difficile ici au Tchad. J’ai plus de 30 ans d’activités, mais jamais une autorité administrative n’a daigné rendre visite à mon institution. A cause justement de la méconnaissance d’un secteur porteur de potentialités. Et pourtant, quand les autorités locales se retrouvent en difficulté dans ce domaine, on me sollicite le plus souvent pour des solutions d’urgences de l’heure. Après, … plus rien”, constate le dernier des mohicans, d’une génération de transmetteurs, qui continue à transmettre.
Roy Moussa