Les voies de la politique tchadienne sont vraiment insondables. L’exemple type est donné par le leader de l’Union nationale pour le développement et le renouveau qui continue à surprendre, chaque fois quand il s’agit d’opérer un choix. Ce faisant, l’alternance claironnée pour abuser les esprits crédules est vidée de tout son sens.
En 1996, contre toute attente, le président de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (Undr), Saleh Kebzabo (Sk), 3ème sur la liste des candidats élus au 1er tour de la présidentielle, après feus Idriss Déby Itno (Idi) et Wadal Abdelkadre Kamougué (Wak), choisit d’appeler son électorat à voter au second tour en faveur du candidat du Mouvement patriotique du salut (Mps). En ce temps-là, beaucoup estimaient, à tort ou à raison, que les voix cumulées par Wak et Sk au second allaient véritablement donner du fil à retordre au candidat du Mps et pourraient faire basculer le pouvoir dans la zone méridionale du Tchad. Simple vue de l’esprit, sans arrière-pensée de calcul politique, ceux qui avaient pensé de la sorte, se sont trompés allègrement. Saleh Kebzabo a préféré, après des calculs propres à son génie, s’aligner derrière le candidat Déby Itno. La suite, tout le monde le sait. Le candidat Déby sort vainqueur de cette présidentielle. “Cette supercherie des soi-disant opposants a d’ailleurs connu le sort qu’elle méritait. Nous sommes aujourd’hui fiers de notre choix qui a permis à Idriss Déby d’avoir une crédibilité nationale. Lui au moins ne peut pas être présenté comme un leader du Nord”, réagissait Saleh Kebzabo en droit de réponse à N’Djaména hebdo dans son éditions n° 244 du 01 août 1996.
Cette réaction du président du parti de la calebasse résulte des articles parus dans le journal N’Djaména Hebdo (238, 239 et 242) dans lesquels il s’est senti écorché. “Une brève rétrospective sur l’opposition s’impose pour mieux comprendre la situation. Le candidat malheureux Kamougué ferait mieux de chercher dans un passé récent les raisons de son échec plutôt que de tirer en permanence sur Kebzabo comme il l’a fait tout au long de la campagne électorale. Il a, en effet, été incapable de rassembler autour de lui les candidats de l’opposition pour à défaut battre Déby, réaliser un score digne d’un véritable opposant. Cette grave défaillance était inscrite dans les faits car les partis politiques et les candidats manquaient de stratégie de conquête du pouvoir. Il ne suffit pas de visiter le “Tchad-profond” pour prétendre qu’on a bâti une stratégie. Le vote allait être tribal ou régional, tout le monde le savait”. A cet effet, “il fallait donc s’organiser en conséquence, et nous pensions que chaque grande formation politique devrait maîtriser un bastion. Cela n’a pas été le cas. Faute de cela, le contrôle effectif des bureaux de vote ne pouvait être aléatoire et la fraude un jeu d’enfant”.
Pour le président de l’Undr, tout se jouait en effet “dans notre incapacité de maîtriser la surveillance des bureaux de vote d’une part et d’autre part celle de disposer des résultats très rapidement pour contrecarrer la Céni. La surveillance commune des bureaux de vote que j’ai préconisée depuis plus d’un mois n’a fait l’unanimité des candidats que la veille du jour du vote. Alors que nous devions nous organiser pour “couvrir” l’étranger, seuls trois partis (Mpdt, Plus, Undr) ont rempli leur engagement en envoyant des délégués au Soudan”, expliquait Kebzabo.
Kebzabo ne s’allie jamais avec les moins forts
Une telle ligne que s’est fixée le président de l’Undr a été suivie de bout de bout en bout depuis ces présidentielles de 1996. Mieux, Kebzabo l’a affinée constamment, en prenant de court, même ses militants parmi les plus fidèles des fidèles.
Au demeurant, le président de la calebasse constatait “le manque de cohérence de l’opposition qui va crier gare à la fraude, alors que c’est elle qui a commis la fraude de la favoriser. Malgré tout, nous pensons que les meubles pouvaient être sauvés si les quatorze candidats se battaient pour obtenir l’annulation du scrutin, soit la Cour d’appel, ce qui paraissait impossible, soit par le désistement de Kamougué”. Et, la dernière hypothèse qu’évoque Kebzabo, représentait pour lui le seul espoir, “jusqu’à la rencontre chez moi, le 11 juin quand Kamougué nous a fait une déclaration en trois points. 1) Il a déposé auprès de la Céni 15 conditions préalables ; 2) avec ou sans nous, Déby gagnera, alors il ne faut pas le laisser seul ; 3) il a lancé un appel à le soutenir, tout en ajoutant qu’il comprendrait ceux qui ne le suivraient pas dans cette aventure”. A partir de là, le président Kebzabo parvient à tirer une conclusion. “Vous comprenez maintenant le dilemme de l’Undr. Nous devions répondre à deux questions : Kamougué avait-il réellement besoin d’être soutenu par les autres candidats ? Y a-t-il, en définitive, un opposant au deuxième ?”.
Très rapidement, le déclic du président du parti de la calebasse penche pour le candidat le plus puissant, celui du Mps, parti au pouvoir qui use de tous les moyens. De cette alliance, que d’aucuns qualifient de contre-nature, Kebzabo gagne des strapontins pour lui et quelques-uns de ses militants au gouvernement. Jusqu’au jour où les choses se sont désagrégées avec le Mps avant de faire un retour fracassant dans l’opposition dite radicale. Mais lui, était toujours à l’affût des situations politiques compliquées.
Après le décès tragique du Maréchal Déby, quand une fois de plus, Saleh Kebzabo a surpris les militants de son parti et les observateurs les plus fins de la scène politique nationale. Il a décidé de tourner casaque et s’allier au Conseil militaire de transition que dirige le fils héritier de son ancien adversaire politique. Depuis lors, et avec ses 78 ans qui semblent entamer sa vigueur, il n’a rien plus rien à prouver. Saleh Kebzabo que les confrères appellent amicalement “Moufti”, a choisi son camp. “Etre avec le tenant du pouvoir, pour gagner des postes de responsabilité”, en attendant probablement le Sénat.
Djéndoroum Mbaïninga