La balafre du diable

La paix conçoit et érige des ponts, mais jamais ne dresse de barrière car elle n’est non seulement l’invincible liant qui tient unis les Hommes mieux, l’éclat subliminal qui réifie leur altérité. Dès lors, parler de paix tout en produisant des faits et gestes illustratifs du mépris, de la division, de la violence répond automatiquement d’un absurde cynisme. Les Hommes sincèrement épris d’idéaux pacifistes ne connaissent qu’une haine : celle de la violence.

Alors qu’approche peu ou prou le rendez-vous du désormais célèbre dialogue national inclusif, nous semblons tacitement acter le fait accompli d’un détail au bas mot diabolique : la tranchée abyssale qui plus ou moins cerne notre capitale. Aussi affligeant que cela soit, il nous est si coutumier de nous répandre en diatribes contre les pires monstruosités à nous infligées pour aussitôt résoudre à la résignation mangeant éternellement notre chapeau de citoyens indignés. Et pourtant, cette tranchée que d’aucuns affublent non sans raison du patronyme de notre défunt maréchal, demeure une entreprise saugrenue inepte, et des plus ignobles quant à nos désirs de Vivre-Ensemble. Il n’est aucune explication objective qui puisse en justifier ni l’existence ni le maintien. D’ailleurs, les arguties cacophoniques de certains membres de l’actuel gouvernement pour tenter d’en présenter l’utilité démontrent à elles seules que cette œuvre est le pur fruit d’une bêtise politico-stratégique, elle-même émanation de la légendaire paranoïa inhérente à tous les pouvoirs brutaux, autoritaires, illégitimes. Pour que l’on connaisse le contexte historique ayant conduit à creuser cette tranchée, l’on peut aisément se rendre à l’évidence qu’il s’agit de l’incarnation d’un véritable stigmate psychologique de nos populations ; la guerre n’a jamais été un souvenir des plus réjouissants. Pourquoi tenir vaille que vaille à en garder une relique aussi hideuse ? L’on est parfaitement en droit d’estimer qu’en entretenant ce démoniaque ouvrage, nos gouvernants montrent qu’ils n’entendent pas de si tôt exclure la solution militaire de nos préoccupations socio-politiques. En d’autres termes, l’idée de devoir un jour quitter le pouvoir constitue la plus cauchemardesque de leurs hantises futuristes. À qui veut-on faire l’insulte d’expliquer que cette satanée tranchée est destinée à protéger nos populations dès lors que celles-ci ne vivant pas toutes dans la cité capitale ? La seule et unique spécificité de la capitale est qu’elle abrite le cœur du pouvoir politique. Aussi, toute hystérie sécuritaire ou protectionniste qui s’y concentre ne saurait-elle avoir de visée autre que la défense de ce cœur du pouvoir politique. À moins d’aller arguer que les populations sont tributaires de valeurs variables selon le coin géographique du pays où elles résident, il n’est point besoin d’être un génie de logique philosophique pour déduire la finalité de ce diabolique abysse, …
Comment est-ce que les hommes et les femmes qui nous gouvernent peuvent-ils consentir sans vergogne à considérer d’un œil indifférent, voire complice et approbateur un ouvrage qui isole des pans entiers de populations, les coupe des maigres services sociaux de base, spolie des enfants de leurs aires de loisirs de fortune, les prive d’écoles tout en leur constituant un permanent danger de mort? Quelles que soient les délices du pouvoir, elles ne sauraient mériter que l’on en brime, méprise, humilie tant de monde. Il y a quelque chose de radicalement révoltant dans cette gigantesque tranchée lamentablement surnommée du patronyme de notre défunt maréchal. Tout porte à croire que nos gouvernants ne se satisfont guère des murs culturels, sociaux, psychologiques qu’ils se seront de tout temps évertués à dresser entre eux et le peuple ; entre différentes communautés. Aussi, leur semble-t-il impériaux de creuser un fossé physique, réel tel un hymne charnel au clivage à la désunion. La symbolique de cette maudite tranchée demeure loin d’être anodine.
La paix que l’on scande à longueur de journée ne vaut ni plus ni moins qu’une formule convenue dans l’air du temps. En réalité, nous parlons de paix comme la bienséance nous impose d’appeler “beau-père” ou “belle-mère” les géniteurs de nos conjoints indifféremment de la vérité esthétique qui les caractérise. En un mot, la paix tant scandée ne vaut pour nos dirigeants qu’une convenance discursive, une hypocrisie collective. Sinon, comment s’expliquer que nous parlons autant de paix sans jamais éprouver de la gêne à ne point l’imprimer dans nos comportements au quotidien? En tout état de cause, il nous est aujourd’hui urgent d’inscrire nos indignations, nos protestations, nos élans contestataires dans la durée. Car, rien n’est plus insensé que d’élever une protestation qui ne dure que l’instant d’une bourrasque émotionnelle. Et si nos combats s’avèrent tant stériles, c’est pour la bête et banale raison que nous sommes enclins à nous accommoder de tout et n’importe quoi ; tant et si bien que la laideur même la plus horrifiante finit toujours par nous séduire ou du moins par nous indifférer. Certes, l’avalanche des inepties politiques dans notre pays est si bien rythmée qu’il n’est pas évident de maintenir bien longtemps un sujet dans le débat public. Cependant, il faut savoir choisir ses combats et c’est en cela que réside l’art de vaincre. Mieux vaut choisir un combat et se donner toutes les chances de le gagner que de dispenser ses forces sur une kyrielle de batailles avec la certitude de toutes les perdre. Cette tranchée de la désunion mérite à plus d’un titre que les Consciences Résistantes la ressortent de la torpeur des oubliettes.

Béral Mbaïkoubou,
Député.