Les chiffres annoncés lors de la journée mondiale de l’alimentation, célébrée le 16 octobre, montrent que la situation alimentaire, déjà fragile dans les pays du Sahel et au Tchad, est rendue plus préoccupante par la pandémie du coronavirus.
Le 11 août 2009, dans les beaux jardins du Palais rose, au cours d’une conférence de presse, le président Déby avait tenu des propos laconiques au sujet de la situation alimentaire du Tchad: “il n’est pas normal qu’on parle de faim dans un pays traversé par des fleuves, rivières et de milliers d’hectares de terre cultivable”. A la suite de ces propos, de nombreux programmes et projets dont les montants se chiffrent à des milliards de francs CFA ont vu le jour avec l’appui des partenaires techniques et financiers. Et on avait cru que la question de la faim serait un lointain souvenir dans la vie des tchadiens car ces programmes visaient à booster le niveau de production agricole à travers la mécanisation du secteur et l’appui technique aux producteurs, et constituer une sorte de grenier pour le stockage des vivres qui permettra d’apporter des réponses immédiates à des situations de carence alimentaire comme celle annoncée dans la zone sahélienne. Malheureusement, une décennie après, la situation alimentaire du Tchad reste préoccupante. Les chiffres à eux seuls illustrent la situation d’insécurité alimentaire et nutritionnelle à laquelle le Tchad fait face. “Autour de 5,9 millions de personnes n’ont pas régulièrement accès à une alimentation saine, diversifiée, nutritive et en quantité suffisante et 4,4 millions souffrent de malnutrition cette année, selon le Plan de réponse humanitaire. Ces chiffres comprennent les 600 000 personnes déplacées – réfugiés, déplacés internes et retournés – qui ne disposent pas de moyens d’existence suffisants pour couvrir leurs besoins fondamentaux”, relève le communiqué de presse conjoint gouvernement/Fao/Pam en prélude à la journée mondiale de l’alimentation placée sous le thème :“Cultiver, nourrir, préserver, ensemble”. Cette préoccupation se justifie encore d’autant plus que la campagne agricole 2019-2020 est désastreuse. Et comme le malheur ne vient jamais seul, la Covid-19 est venue plomber les quelques efforts fournis par le gouvernement et ses partenaires. Cette dernière donne fait craindre le pire. Et les inondations des deux derniers mois ne sont pas de nature à favoriser la production agricole en cours.
Et pourtant, comme l’a si bien dit le président Déby, ce ne sont pas les potentialités ni les moyens qui manquent. Ces quinze dernières années, des moyens colossaux (environ 300 milliards de francs CFA) ont été déployés par l’État pour éviter que cette situation qui perdure depuis les années 1970 (Ndlr : période où le Tchad a connu une des plus grandes famines ayant frappé le Sahel) ne se répète. Ces sommes faramineuses devraient permettre d’exploiter convenablement des milliers de superficies cultivables constituées de plaines, de polders et autres. Malheureusement, “le développement de l’agriculture n’étant qu’une campagne politique sans intentions réelles, la mauvaise gouvernance s’est rapidement propagée dans la gestion des fonds alloués à cette politique”, observe un spécialiste.
Bien plus, le développement de l’agriculture annoncé par le chef de l’Etat qui y a placé ses deux ou trois derniers mandats, a été un appât politique visant à conquérir le soutien des paysans abandonnés depuis de nombreuses années. Très peu d’études préalables approfondies ont été menées pour cerner les besoins réels, les zones cibles ou encore la faisabilité des projets avant leur mise en œuvre. Ainsi, les nombreux programmes comme le Programme national de sécurité alimentaire (Pnsa) qui a englouti des milliards de francs CFA, n’ont pas donné de résultats probants et sont morts de leur belle mort parce qu’ils ne sont les résultats d’une réelle volonté politique mais des instruments de campagne politique. D’autres structures comme l’Agence nationale de développement rural (Anader), née sur les cendres du Pnsa, de la Société de développement du Lac (Sodelac) et de l’Office national de développement rural (Ondr) peinent à jouer véritablement leur rôle d’encadrement des producteurs ruraux. Ces derniers, abandonnés par l’Etat, se battent avec des moyens rudimentaires pour produire de la nourriture pour les 16 millions de tchadiens. Dans ces conditions, comment ne pas souffrir de déficit alimentaire chronique? Comment ne pas continuer à tendre la sébile?
Togmal David