Retour au cirque

L’insensibilité au ridicule est sans doute la manifestation la plus éloquente de la bêtise humaine. Cette inertie de la conscience constitue à la fois le carburant de l’obstination dans les entreprises stérile et la flamme de la passion des choses vulgaires. Voilà pourquoi l’opinion qui veut que “le ridicule ne tue pas” est non seulement un délirant leurre, mais surtout révélatrice d’une âme morte, d’une dignité frappée dessiccation.

Dans peu de temps, le pauvre peuple du Tchad sera soumis au supplice d’un nouveau forum dit national et inclusif. L’annonce de cette reproduction de la laide comédie d’État a semblé réjouir l’ensemble de la faune politique; ce qui est propre à suffoquer l’entendement. En effet, quelle humiliation faut-il que boivent les hommes et les femmes politiques de notre pays pour enfin se convaincre que le régime sous lequel nous croupissons est d’un antipatriotisme proverbial et que jamais aucune initiative de lui ne sera pour le bien de notre peuple. Si le forum originel a été une pitrerie des plus lamentables, il n’est point de raison de croire que sa première réplique pourrait être d’un meilleur tonneau. Placé le moindre espoir dans cette énième mascarade équivaudra à penser que le pouvoir en place demeure susceptible d’un quelconque changement pour le meilleur. Mais, que les plus crédules, les plus candides se le tiennent pour dit: ce régime ne se détournera jamais de sa dynamique de déstructuration savante de notre pays, et du démantèlement en règle des prérogatives républicaines. Tous les êtres humains sont certes doués de potentialité de changer pour devenir meilleur. Cependant, cette potentialité réside dans la condition que leurs erreurs et manquements soient des insuffisances de bonne foi. Or, le régime en place et ses alliés ont démontré depuis trois décennies que leur choix d’intervertir l’ordre des valeurs, de célébrer le vice au détriment de la vertu, de saccager tous les fondements d’un Etat égalitaire est parfaitement délibéré. Où est-ce, dès lors que d’aucuns vont-ils puiser la nocive énergie de se laisser berner au moyen d’un stratagème aussi vieux, aussi sclérosé? Tout porte à croire que les descendants du dorénavant célèbre Toumaï se veulent fidèle à leur primate d’ascendant: ils tiennent à jouer aux singes. Nous avons tous en mémoire le pathétique spectacle qu’aura été le tout premier forum dit national et inclusif; cette nauséabonde mascarade où des troupeaux entiers de naïfs se seront laissés abreuver aux tropismes imbéciles du parti au pouvoir, porter au pinacle par la flagornerie d’idiotes brigades d’applaudissement. Est-ce ce servile rôle de figurant qu’acceptent de jouer nos politiques en épousant sans barguigner le projet de cette grotesque assise.

La classe politique tchadienne dans son ensemble, dans son penchant prétendument consensuel, apporte au quotidien la démonstration que le bien-être du peuple et la sauvegarde de la Chose Publique ne sont pas sa préoccupation première. Sinon comment s’expliquer que nous nous complaisons à laisser harponner par le même pouvoir scélérat au gré des mêmes subterfuges tout aussi scélérats? Si le consensus peut être une incontestable preuve de maturité politique, ce n’est que dans le cas où sont menacées les bases du Vivre Ensemble et de l’État de droit. A contrario, lorsqu’il est si systématique, le consensus ne vaut ni plus ni moins qu’une compromission. Et dans un contexte comme le nôtre où les gouvernants sont résolument déterminés à tout détruire de ce qui fait l’Etat de droit, cette compromission vaut une trahison du peuple. La démocratie pour sa vitalité, a besoin de la confrontation des idées fécondes; ce qui dans l’architecture du paysage politique signifie une majorité gouvernante d’une part, et de l’autre une opposition douée de sens critique objectif et responsable. Hélas ! Notre réalité tchadienne est d’une singulière originalité : la majorité gouvernante désigne elle-même son opposition au mépris de toute représentativité concrète des forces politiques. En conséquence de cette supercherie, l’opposition ainsi désignée n’est ni critique ni responsable et encore moins inventive. Pour preuve, si besoin en était, elle consent sans vergogne à aller tenir la chandelle au fallacieux prochain forum pour aider le pouvoir à abuser de notre peuple. Tout cela au prétexte que la politique de la chaise vide n’a jamais servi à rien. Alors le jeu de la figuration aurait-il quelque chance à payer? Tels des forcenés, nous avons bu notre humiliation jusqu’à la lie; mais, nous nous acharnons à mordiller la paroi du calice comme pour manger le contenant après le contenu. Que pense vraiment aller faire l’opposition démocratique à ce grand dîner de cons où les per diem et autres petits fours semblent être la seule chose concrète ??? Décidément, à mesure que passe le temps, le sempiternel slogan dont les thuriféraires du régime nous rabâchent les oreilles, révèle son effroyable visage : “Le Tchad que nous voulons”, c’est vraisemblablement le Tchad des grandes âmes sèches.

Béral Mbaïkoubou, Député.