La Covid-19 occulte une épidémie de rougeole

Une épidémie de rougeole sévit depuis des mois et a fait 7635 victimes au Tchad nécessitant une riposte de taille. Mais l’on craint que “tout retard dans la vaccination contre la rougeole à cause de la Covid-19 pourrait avoir un impact en terme de mortalité/morbidité encore plus grave que la Covid-19”.

Alors que la pandémie du coronavirus frappe de plein fouet le Tchad où l’attention est focalisée sur les voies et moyens à mobiliser pour venir à bout, une autre épidémie et non des moindres tue en silence la population infantile et juvénile sans pour autant montrer un signe de décélération. Les statistiques en notre possession donnent du tournis. Ce sont “118 des 126 départements de santé au Tchad qui ont été infectés depuis le début de l’épidémie en mai 2018, avec des provinces du sud qui font face à une augmentation rapide des cas. Au 30 avril 2020, 28 départements de santé étaient en épidémie de rougeole déclarée. Le ministère de la Santé publique a reporté 7635 cas, avec le nombre de cas les plus élevés dans les départements de Béboto, Kyabé et Goundi”, peut-on lire dans un rapport de situation relative à la rougeole publiée le 28 mai dernier par la coordination des affaires humanitaires au Tchad (Ocha). L’ampleur de l’épidémie a poussé certaines organisations humanitaires notamment Médecins sans frontières (Msf) à organiser une riposte dans certains départements sanitaires dans le but de sauver de nombreux enfants. “Avant le premier cas de Covid-19 enregistré au Tchad le 19 mars, une équipe de réponse d’urgence de Msf s’est rendue dans les régions affectées par la rougeole, y compris à Béboto qui est la plus largement impactée. En conséquence, 25.177 enfants âgés de 6 mois à 9 ans ont été vaccinés contre la rougeole. L’équipe Msf de Béboto a travaillé étroitement avec les leaders communautaires pour les informer sur la prévention contre la rougeole et l’accès gratuit des patients au traitement médical dans les structures sanitaires de Msf. Des activités de sensibilisation étaient cruciales car il s’avérait que certains patients resteraient chez eux et auraient recours à la médecine traditionnelle au lieu d’accéder aux structures de santé locales. Msf a distribué des kits médicaux, des vaccins contre la rougeole et des provisions en eau et assainissement au district sanitaire afin de permettre le traitement des cas par les équipes locales sous la supervision des autorités du district sanitaire”, ajoute le document. Malheureusement, ces actions salutaires ont été estompées par les mesures gouvernementales interdisant le regroupement de plus de 50 personnes. Au niveau du ministère de la Santé publique, aucune déclaration officielle n’a été faite pour situer l’opinion au sujet de l’épidémie de la rougeole, la lutte contre la pandémie du coronavirus qui a pris tout le monde de court focalisant toutes les attentions. Dans les directions techniques chargées des questions épidémiologiques,  l’on “se dit conscient de la situation sur le terrain”. Cependant, la situation de la pandémie du coronavirus avec son corollaire de mesures annihilent toutes les possibilités d’une riposte d’envergure. En lieu et place d’une campagne de vaccination de masse, plus qu’urgente en pareille circonstance, “c’est la vaccination de routine qui est privilégiée en ce moment à cause de l’interdiction de regroupement de plus de 50 personnes édictée par le gouvernement tchadien”, explique Dr Abderamane Addi, le directeur du Programme élargi de vaccination (Pev).

Faut-il mourir de Covid-19 ou de la rougeole?

En dépit des mesures interdisant le regroupement de plus de 50 personnes, certains spécialistes ainsi que les partenaires techniques et financiers du ministère de la santé affirment qu’il est possible d’adapter des stratégies à la situation actuelle pour éviter les rassemblements au-delà de 50 personnes. Une affirmation confirmée par le rapport de situation de la rougeole. “Pour permettre à la campagne d’être menée, vacciner les enfants à la maison, suivant une stratégie “porte-à-porte”, est une option pour réduire les rassemblements et assurer que les campagnes de vaccination ne contribuent pas à la propagation de la Covid-19. Les rassemblements de moins de 50 personnes sont toujours possible, si les files respectent les mesures de distanciation physique et que tout le monde -patients, familles, et bien sûr le personnel de santé- puisse recevoir un équipement de protection individuelle (Epi)”. Ce qui est difficile à l’heure actuelle en raison d’un manque de moyens financiers conséquents du ministère de la Santé publique. Le rapport ajoute par ailleurs: “le manque d’Epi au Tchad rajoute malheureusement une autre couche de difficultés à la réponse à la rougeole, combiné à la difficulté d’amener le personnel international et les autres provisions médicales à l’intérieur du pays”. Aussi, selon des sources concordantes du ministère de la Santé, “tant que les équipements de protection notamment les gants, les cache-nez, la blouse ne sont pas mis à la disposition du personnel de santé, personne ne veut prendre le risque de s’exposer”.

D’après une source du ministère de la Santé publique, une campagne de vaccination contre la rougeole est prévue cette année. Au courant du mois de juin, l’équipe de la surveillance épidémiologie se réunira pour prendre une décision importante à cet effet. Ladite campagne sera soutenue par les partenaires techniques et financiers du Tchad dans le domaine de la santé, notamment l’alliance Gavi et le Fonds des nations unies pour l’enfance. Cependant, le rapport relève que “les craintes d’une propagation de l’épidémie de la Covid-19 pourraient menacer ce projet. Il est important d’assurer que, tout en répondant à l’urgence de la Covid-19, le gouvernement, les bailleurs et les partenaires n’oublient pas l’épidémie de rougeole. Tout retard dans la vaccination contre la rougeole à cause de la Covid-19 pourrait avoir un impact de mortalité/morbidité encore plus grave que la Covid-19”. Des informations qui font peur quand on sait qu’au Tchad, aucune campagne de vaccination complète n’a été entreprise depuis 2015. La couverture d’immunisation contre la rougeole n’est seulement que de 37% alors qu’il faut atteindre une couverture vaccinale de 95% chez les enfants pour obtenir une immunité collective.

Togmal David