“Les perspectives économiques du Tchad sont bonnes”. Le 4 novembre dernier, le ministre des Finances et du budget, Tahir Hamid Nguilin, et le conseiller Afrique du Fonds monétaire international (Fmi), Edward Gemayel, vantaient ainsi à chœur les performances accomplies pour redresser l’économie et annonçaient de jours meilleurs.
Le projet de budget général de l’Etat tchadien pour l’exercice 2020, adopté le 9 décembre en conseil des ministres, intervient dans ce sillage. Les recettes totales pour 2020, sont évaluées à 1210 milliards y compris les dons. Sur cette rubrique, les recettes propres sont arrêtées à 1046 milliards, contre 983 milliards de francs CFA en 2019, soit une hausse de 23%, avec une croissance du Produit intérieur brut attendue de 3,4%. Les dépenses pour 2020 sont estimées à 1326 milliards environ, soit une hausse de 20% par rapport à l’année qui s’achève.
Une bonne nouvelle ne vient rarement seule, le conseil d’administration du Fmi a conclu la cinquième revue du Programme économique du Tchad, soutenue par un accord de Facilité de crédit élargie (Fec) le 13 décembre 2019. L’achèvement de l’examen permet le décaissement d’environ 38,8 millions de dollars. La Banque mondiale devra lui emboîter le pas et décaisser 100 millions de dollars début 2020. Ces apports extérieurs, auxquels il faudra ajouter ceux d’autres partenaires comme l’Union européenne et l’Agence française de développement, permettront de combler le déficit prévisionnel de 117 milliards de francs CFA prévu dans le budget 2020.
Ainsi, la crise née de la baisse des cours du pétrole en 2014, est résorbée. “La maladie est passée. Maintenant nous gérons la phase de convalescence qui est une phase délicate mais qui est bien meilleure et est porteuse de toutes les espérances”, se réjouissait Tahir Nguilin début novembre.
Toutes les institutions et tous les ministères verront donc leurs budgets augmentés substantiellement par rapport aux dotations de l’année 2019. Cette augmentation concerne aussi les dépenses totales d’investissement qui passeront de 313 milliards à 337 milliards de francs CFA. La machine administrative recommencera à fonctionner normalement. Les grues seront remises en marche sur les chantiers ici et là. Mais l’urgence est-elle les bâtiments? Pourquoi jeter de l’argent dans des infrastructures, alors que les hommes qui sont appelés à y travailler, ont faim et jonglent des conditions précaires? Si ce n’est pour engraisser des pontes du régime comme on le voit avec l’immeuble de la radiotélévision nationale, véritable Tour de Babel dont le coût initial annoncé en 2011 était de 19 milliards de francs CFA mais qui dépasserait aujourd’hui les 70 milliards, après moult circonvolutions financières appelées avenants.
Les évêques, dans leur message de Noël 2019 publié la semaine dernière, l’ont bien rappelé: les Tchadiens n’ont rien à faire d’une télévision ou d’une “émergence 2030”, leurs urgences s’appellent “bien-être” et “paix sociale”, compromis par une politique synonyme de mensonge et d’enrichissement illicite comme le prouvent les nombreux scandales financiers qui défraient la chronique ces derniers mois. Les valeurs républicaines et l’autorité de l’État ont disparu sur l’ensemble du territoire national, notent à juste titre les évêques; elles sont emportées par une politisation à outrance de l’administration, de la justice, de l’éducation, de la santé, du développement.
Certes, au moins 34% des dépenses primaires en 2020 concerneront des secteurs sociaux tels l’éducation nationale et la santé. Certes, tous les grands hôpitaux de N’Djaména et ceux des provinces verront leurs allocations augmentées. Reste à voir leurs impacts sur le quotidien des Tchadiens. A quoi bon accorder des milliards de francs CFA de subvention à une structure sanitaire comme l’hôpital de la Renaissance, pris en otage par des Français et qui pratique des frais qui sont hors de portée du fonctionnaire tchadien?
Si la crise est terminée, ses effets doivent aussi l’être: les 16 mesures doivent cesser, surtout la plus emblématique et dure d’elles qui est la coupe des augmentations générales spécifiques, des primes et indemnités, ainsi que la suspension des effets financiers des avancements et reclassements des agents de l’Etat. Or, il n’en est nullement question dans le projet de loi de finances 2020. Le gouvernement rechigne toujours à rétablir les augmentations générales spécifiques des fonctionnaires, comme prévu dans l’accord signé le 26 octobre 2018 avec les syndicats. L’arrestation du ministre secrétaire général de la présidence, Kalzeubé Payimi Deubet, principal interlocuteur des syndicats, vient corser la donne.
Si les indicateurs économiques et financiers pour 2020 sont au vert, les voyants sont au rouge sur le plan social.
La Rédaction.