Un rapport rendu public le 18 juillet 2020 par la Ligue tchadienne des droits de l’homme (Ltdh) établit les responsabilités de l’Armée, de l’Agence nationale de sécurité (Ans) et de la gendarmerie dans “l’arrestation, la disparition et l’exécution sommaire des 44 prisonniers présumés appartenir à la secte Boko haram”, en avril dernier à la suite de l’opération “Colère de Bohoma”.
Lors de l’opération militaire baptisée “Colère de Bohoma”, environ 70 personnes ont été arrêtées par des soldats tchadiens dans différents villages proches de la zone des opérations et présentées comme de présumés djihadistes, quelques jours plus tard à la presse à Bagasola. 58 d’entre elles sont transférées à N’Djaména, le 14 avril 2020, confiées au procureur de la République qui a décidé de les garder dans les locaux de la légion n°10 de la gendarmerie. Au petit matin du 16 avril, l’on découvre les corps inertes de 44 d’entre elles. L’officiel avait conclu à un suicide collectif des présumés djihadistes. Mais selon le rapport de la Ltdh, cette thèse est indéfendable car ces prisonniers étaient bien fouillés, menottées deux à deux avant d’être parquées dans une cellule. A la veille de leur décès, elles sont extraites de leur cellule pour être auditionnées avant d’y être réintroduites. Et elles constatent du sable qui recouvre le plancher cimenté, ce qui provoquera aussitôt des démangeaisons et des éruptions cutanées. “Puis des dattes leur seront jetées par les persiennes, autour de 13 heures; comme repas de la mort. Elles se les sont partagées et ont manifesté de la soif presque aussitôt, les obligeant à tambouriner sur la porte pour solliciter de l’aide”, note le rapport. “Une petite bouteille d’eau en plastique leur est balancée par les persiennes, insuffisante pour étancher leur soif… Aux environs de 18 h, une fumée noire apparaîtra dans la cellule. S’ensuivra une scène apocalyptique: les uns toussaient, les autres criaient en tapant aux portes et fenêtre, les plus courageux récitaient des versets coraniques, espérant au secours qui ne vint jamais. De l’avis des survivants, à minuit, les 44 avaient cessé de vivre. Et ce n’est qu’au petit matin du 16 avril que la porte fut ouverte par les geôliers pour livrer la découverte macabre”.
Pour le président de la Ltdh, Maxwel. Y. Loalngar, “ce qui s’est passé est gravissime, monstrueux, ignoble, abominable, exécrable… Il n’y a pas de mot juste pour le dire dans le lexique des termes d’indignation”. Les résultats de l’enquête diligentée par la Ltdh sont formels. C’est “un assassinat de masse, sans écarter la qualification des crimes de guerre”. Une conclusion sans équivoque proche de celle du médecin légiste ayant autopsié l’échantillon de 4 cadavres parmi les 44 prisonniers détenus et qui “indique qu’il y a eu consommation d’une substance létale ayant produit un trouble cardiaque chez les uns et une asphyxie sévère (hypoxie) chez les autres. La vue des corps disséqués est insoutenable, les poumons étant entièrement carbonisés”. De ce fait, “s’impose indubitablement la thèse de l’assassinat de masse par empoisonnement sans contester les conclusions du médecin légiste et les déclarations des survivants”, précise le rapport. Aussi, contrairement à l’affirmation selon laquelle ces personnes sont des éléments de la secte Boko Haram, le document indique que ce sont des agriculteurs, éleveurs et commerçants arrêtés par des soldats tchadiens dans des villages proches de Ngouboua et Daboua.
A qui la responsabilité?
“Il va de soi que l’arrestation de ces personnes et les voies de fait qui s’en ont suivi sont à imputer à l’Armée nationale tchadienne (Ant). C’est elle qui, sous l’emprise des opérations militaires dans le Lac-Tchad, les a arrêtées et expédiées à N’Djaména pour être inculpées. Et bien évidemment, c’est également à elle qu’incombe la disparition des 12 autres personnes dont le cas est passé sous silence, ainsi que la confiscation de leurs biens. S’agissant de la mort des 44, la probabilité est que cela soit l’œuvre de la gendarmerie ou de l’Ans, les faits s’étant déroulés dans l’enceinte même de la légion n°10”, relève le document.
En outre, le rapport met en exergue le fait qu’on ne peut soustraire la responsabilité de l’Etat tchadien. “En tout état de cause, la responsabilité de l’Etat tchadien, en tant que garant des libertés et de la sécurité des personnes et des biens, se trouve entièrement engagée”, conclut le rapport. C’est pourquoi, “la Ltdh se réserve le droit d’engager des actions conséquentes afin que la mort de ces 44 concitoyens et la disparition suspecte de 12 autres ne soient pas vaines”.
Togmal David