L’arche des noyés

Contrarier la marche de la justice constitue une forme des plus abouties du refus de la civilisation, car de tous nos attributs le rejet de la violence gratuite reste ce qui célèbre le mieux notre humanité. Or, est-il violence plus cruelle, plus néfaste que le délire d’institutionnaliser l’injustice? En d’autres termes, moins l’injustice dans une société est accidentelle, plus cette société se déshumanise. Comble du désastre, ladite déshumanisation ensevelit autant celles et ceux qui la subissent que les esprits retors qui l’actualisent.

À observer de près notre appareil judiciaire en général et en particulier les soubresauts dont il se trouve chahuté ces dernières années, que des questionnements par le truchement desquels nous nous trouvons plongés dans un apparent paradoxe. Appelons de tous nos vœux un pouvoir judiciaire libre, indépendant; autant nous exigeons une franche implication du ministère de tutelle, donc du pouvoir exécutif afin de concrétiser cette liberté, cette indépendance. Comme esquissé tantôt, ce paradoxe n’est qu’apparent, car à la lumière de notre mécanisme institutionnel, c’est bien à l’exécutif qu’incombe la délicate responsabilité de tenir notre système judiciaire au mieux irréprochable. Hélas! Force nous est de nous rendre à l’évidence que l’exécutif, lorsqu’il ne se fait pas violence pour garantir les conditions élémentaires d’un exercice objectif s’obstine littéralement à contrarier et à ridiculiser nos concitoyens, concitoyennes à qui est confiée l’exaltante néanmoins laborieuse mission de distribuer la justice. Qu’est-ce à dire?
Il ne saurait en réalité être considéré comme un fait fortuit qu’à autant de reprises des personnalités soient promues à la tête du département de la justice pour systématiquement se voir harponnées dans les pires illustrations quant au déni de justice dans notre pays. Le récent embastillement de quelques acteurs de la société civile dans le sillage du débordement malheureux des manifestations antifrançaises jette une lumière crue sur l’aversion de nos dirigeants vis-à-vis de toute velléité libertaire. Ce grotesque procès avec son issue de condamnations avec sursis ne manque évidement de faire écho aux scandaleux épisodes des prisonniers en transfèrement lâchement abattus par des primitifs réfractaires aux lois de la République. Dans les deux hideux événements, deux personnalités initialement sinon adulées du moins appréciées du grand public, qui de brûlent les ailes aux lamentables flammes de l’archaïsme paradigmatique d’une gouvernance hostile aux valeurs républicaines et démocratiques. Il va sans dire que l’individualité desdites personnalités ne représente pour nous aucun intérêt analytique. En revanche, la voix, les principes qu’elles auront incarnés avant de se fracasser la réputation contre les diaboliques remparts des arrière-gardes rétrogrades du système gouvernant intéresse à plus d’un titre…. Le symbole est loin d’être anecdotique lorsque l’institution judiciaire se trouve prêtée à la machiavélique entreprise de la mise à mort de figures incarnant une certaine probité morale ou une compétence avérée. Le message subliminal que nous envoient sans ambiguïté ces pratiques est qu’aucune des prérogatives de la démocratie que nous aimons tant à scander n’aura jamais droit de cité sous nos cieux. L’humiliation morale ainsi que le discrédit politique dont les différents ministres de la justice sont frappés après avoir acceptés d’apporter quelques pierres à l’édifice de notre société, traduit un choix délibérément opéré: le choix de l’arbitraire au détriment du bon droit; le choix de la subjectivité. Face à cet état de fait, la tentation peut être forte de penser qu’il vaudrait mieux s’abstraire de tout engagement politique de premier plan pour se calfeutrer dans les limbes de l’opposition fanatique et de la dénonciation hystérique. Et pourtant, c’est davantage dans les conditions de l’engagement en soi que réside le défi. En effet, il ya dans la participation à tout gouvernement des mythes frappés de dessiccation tels que le principe de la solidarité gouvernementale, le devoir de réserve ou le sens du secret d’État qui se sont enkystés en dogmes sacro-saints de la gestion étatique, mais qui dans la réalité offrent le plantureux prétexte d’un lâche musellement et d’une tenue en joug des conscience.
Dès lors quiconque aspire conscieusement contribué à la remise en rails de notre Chose Publique se doit de se délester de tous les mythes captieux qui couvent sous sceaux des grands principes censés caractériser un homme ou une femme d’État. Autrement dit, il est urgent de se convaincre rigoureusement et en conscience que tout pacte qui se prétend secret d’État tout en nuisant aux principes cardinaux de l’État na vaut trop que complot ourdi contre l’État. Par conséquent, à contrario de ce que tentent de nous vendre les chantres du secret d’État, les traîtres de la République ne sont pas ceux qui lancent l’alerte sur les pratiques hétérodoxes, mais ceux qui se taisent pour laisser faire. L’objectivité de conscience n’est en rien une devance; elle est une noblesse de l’âme et de l’esprit…
En tout état de cause, en tant qu’elle demeure le plus cardinal de nos foyers régaliens, la justice constitue la colonne vertébrale par excellence de nos aspirations. Aussi, toutes les persécutions dont elle se trouve accablée montrent-elles à suffisance la réticence des hommes et des femmes qui nous gouvernent à laisser émerger un État de droit. Il n’est point de société qui fût-ce consciemment ou inconsciemment ne connaisse de repère symbolique. Ainsi, que dans notre pays l’institution judiciaire fasse office d’une obséquieuse rive de l’humiliation morale et de la noyade politique déploie une puissance symbolique des plus éloquentes. Les premiers naufragés de cet épouvantail antirépublicains auront certes, fait les frais de leur candeur patriotique. Cependant, ils resteront surtout les sacrifiés pour l’exemple dont se devront de s’inspirer toutes les consciences résistantes désireuses de contribuer à la marche vers le meilleur. La preuve est implacable et sans équivoque: pas si facile de changer les choses de l’intérieur, tenons-nous pour dit.

Béral Mbaïkoubou,
Député